Rocket Fighter Ship, Montpellier 2011
Étudiant à l’École Estienne à Paris, j’avais assisté à une conférence qui m’avait fortement marquée, à l’occasion de la deuxième édition de « La Semaine Culturelle Européenne », entièrement articulée sur le thème du langage. Il s’agissait d’une réflexion passionnante, proposée par Claude Julien sur la désinformation et suivie d’un vif débat. C’était en 1987, mais cette réflexion reste toujours pertinente, comme par exemple avec la propagande militaire sur les « armes de destruction massive » en Irak en 2003, ou encore la promotion du Traité Constitutionnel pour l’Europe (TCE) en 2005, et aujourd’hui le positionnement plus qu’ambigu des grandes puissances, en fonction de leurs intérêts économiques particuliers, par rapport aux mouvements d’émancipation démocratique dans les pays arabes.
Alors directeur du Monde Diplomatique, Claude Julien avait captivé le jeune auditoire en expliquant comment, dans nos « Démocraties occidentales », désinformer ne signifiait pas censurer ou mentir grossièrement sur des faits, mais plutôt manipuler et sélectionner l’information. Occulter certains événements pour en mettre en lumière d’autres – grossir à la loupe, faire des effets de prisme – et jouer du langage afin d’orienter notre lecture et perception de la réalité. Le Monde Diplo, figure de proue de l’opposition à la globalisation comme aux doctrines du FMI et de la Banque Mondiale, est resté un fin outil d’analyse pour notre époque confuse. Ce journal résolument indépendant a très bien su mettre en évidence avec une belle constance, la marche forcée imposée à nos sociétés occidentales, après celles latines et africaines vers la mondialisation béate, une libre concurrence effrénée et la destruction de toute valeur non monnayable.
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Facile de pervertir le premier amendement de la constitution des USA, (Bill of Rights de 1791), ou comment au nom de la Liberté d’expression, certains pouvoirs, sous la forme de lobbies et via la corruption, peuvent nuire aux principes fondamentaux d’une démocratie participative et éclairée. Encore eut-il fallu que les USA fussent une véritable démocratie dès ses origines, ce qui reste encore à démontrer… Combien d’espoirs d’un monde meilleur se sont ainsi envolés en fumée, combien le désir de vérité s’est à nouveau assombri, voilé par de nouveaux écrans de fumée, la magie des apparences, le mythe de la transparence, les dissimulations, théories du complot, endoctrinements et contrôle des masses ??…
Vrais masques et faux-semblants
Certes, les stratégies de la communication et du travestissement, la rétention ou le « fuitage » d’éléments plus ou moins sensibles de la part des élites (politiques, économiques, religieuses, etc.) en direction la population, existent depuis l’aube de l’humanité : comment tel précieux enseignement sera révélé ou caché tandis que tel autre, plus insignifiant, sera mis en avant… Le contrôle des savoirs et des sources d’information reste, encore plus dans nos modernes démocraties, un réel enjeu de pouvoir. Essayez donc de connaître le budget réel de l’Assemblée Nationale en France, ou des fonds versés par l’Intelligence étasunienne aux guerillas en Amérique du Sud… un bel exemple d’opacité républicaine !
Aujourd’hui, avec les stratégies de communication de plus en plus élaborées, un « débat public », un fait divers, un sondage, un scoop, un buzz, peuvent rapidement et efficacement phagocyter toutes les informations essentielles, afin d’appuyer une ligne politique ou de valider telle idéologie, tout en écrasant des débats de fond un peu trop gênants.
Go West ou tous à l’Ouest ?
Dans le monde occidental, depuis la fin de la seconde guerre mondiale puis l’offensive tout azimut du néolibéralisme dans les années 70, il s’est agit de promouvoir le capitalisme et de déstructurer l’économie mondiale en donnant l’avantage aux multinationales déjà dominantes et aux organismes financiers sur les citoyens, Bref d’amplifier les phénomènes de domination d’une petite minotité sur la grande majorité. Mais surtout de rendre cette dernière impuissante, en commençant par la rendre aveugle et sourde – muette elle l’était déjà – de paralyser toute contestation. Une véritable guerre de stratégie économique s’est déroulée en temps de paix relative, mais pas pour la totalité de la planète. Pourtant, malgré toutes les justifications au nom d’une illusoire liberté des peuples – conduisant surtout à produire et à consommer d’avantage – le monde, qui est désormais présenté comme un charmant Global Village après la chute du mur de Berlin, n’est pas devenu si idyllique que ça…
Après $ Superstar, voici le Dieu €
Rappelons-nous de la campagne pour le OUI au projet de constitution européenne ; comment le capitalisme et sa logique du PROFIT à défaut de PROGRÈS devenait le seul propulseur de la société, comment on arrivait à « la fin de l’histoire ». Cette thèse, en opposition avec le bon sens des citoyens ayant voté à majorité NON, fut soutenue par tous les ténors des médias alignés, les conservateurs et les serviteurs serviles, les volontaires super-dynamiques-avançons-vite-viîite… Tous en chœur pour une Solution Unique à graver dans le marbre !! Depuis cette logique a été sanctionnée lourdement par la crise des subprimes de 2008 et ses conséquences dévastatrices sociales au niveau mondial.
Manipulations et désorientations
L’esthétique vulgaire de la RAI de Berlusconi, étendue à toutes les TV de divertissement, le matraquage des infos « de première importance » par les chaines TV d’info en continu, mais aussi le petit persiflage du bon sens et le détournement des valeurs « humanistes » pour faire accepter un monde néolibéral qui, par un amalgame douteux, serait le seul à pouvoir nous faire vivre EN TOTALE LIBERTÉ : c’est aussi ÇA la désinformation, ou plutôt la mal-information, toxique comme la mal-bouffe. Les buts restent souvent cachés, mais on peut au moins prendre de la distance avec de la méthode, essayer de garder son libre arbitre et les pensées claires. Car cette paralysie progressive nécessite, à défaut d’une entière et totale approbation, une accoutumance certaine. Une sorte de syndrome de Stockholm appliqué à des pays entiers !
ON NOUS CACHE TOUT ON NOUS DIT RIEN !
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J’ai continué à acheter régulièrement le Monde Diplo, et j’en apprécie toujours la profondeur et la clairvoyance, à contre-courant de la DOXA médiatique. D’ailleurs le ton général de la sphère médiatique a tellement changé depuis 50 ans : d’austère et encore magistral, il est passé à une attitude plus décontracté, populaire et accessible, puis à la séduction tendance TFI, people-starisé, mais pour une meilleure incompréhension du monde qui nous entoure. Il est d’ailleurs notable de voir comment le foot et les faits divers ont pris une place prépondérante à la TV au détriment des analyses et de la géopolitique (en dehors des périodes de crise qui brouillent tout rt réduisent tout dans l’immédiateté). Bombardement de faits qui s’annihilent les uns après les autres. Hormis sur Arte, quid d’une information à échelle véritablement européenne – au fait, c’est où l’Europe, ça a commencé quand ?
Sauver les apparences
Les exemples de manipulation politiques sont légions, ne serait-ce que pendant le XXème siècle, quand la communication de masse s’est réellement développée dans la société. On pense bien sûr aux propagandes nazies et aux censures soviétiques, sur lesquelles on peut facilement aujourd’hui avoir une approche plus distanciée. Mais loin des périodes totalitaires, sans le recul du temps et la validation de l’histoire, il est plus difficile de démonter les mécanismes de diffusion des données et des thèses, des idéologies qui façonnent actuellement la société. Quoique l’Histoire elle-même est en perpétuelle réécriture, d’où la polémique lancée en 2010 par la création d’un Musée de l’Histoire de France sous la présidence de N. Sarkosy : un prétexte culturel afin de servir quelle doctrine, quels intérêts électoralistes à court terme, marquer quels esprits ? Quelle est l’opportunité d’une muséification/mystification de l’Histoire ? Derrière la volonté de rendre une lecture plus claire et linéaire du passé et du présent, plus directement accessible, n’y en a-t-il pas une autre plus sombre, une instrumentalisation du passé pour quels desseins cachés ?
Alors que la Cité de l’Immigration à la Porte Dorée de Vincennes, fort de son succès public, continue d’être snobée par les personnalités politiques. Le thème de l’immigration – qui fait pourtant réellement partie de l’histoire de France – n’est sûrement pas assez vendeur dans cette nouvelle période réactionnaire.
Bien des simplifications ont été abusives, et parfois ce sont des trésors de sagesse qui ont été jetés en voulant faire des simplifications abusives ou carrément table rase du passé pour réécrire l’histoire, comme pendant la Révolution Culturelle sous Mao.
Affiche de propagande chinoise sous Mao
CONFUSianisme
Comment se faire une opinion pertinente du monde en étant noyé dans un flux d’informations souvent contradictoires ? N’est-il pas temps de revoir notre hiérarchie des valeurs afin pouvoir continuer à faire un tri, garder un esprit critique dans le tourbillon d’actualités venues du monde entier, réaffirmer sa qualité d’acteur et de créateur, réapprendre à dire JE et à redevenir sujet ?
Communiquer de la vacuité, neutraliser la pensée, se griser de la vitesse et de nouveaux gadgets. Zapper et fragmenter la réflexion, perdre le fil…
L’ouverture du Web
Internet reste encore un territoire de liberté et permet de se repositionner dans toute cette confusion, si on sait ou on peut utilement en jouir. Cet espace virtuel d’échange et de partage d’informations est évidemment censuré par de nombreuses dictatures, dont en premier lieu la Chine communiste de 2012, entièrement reconvertie au capitalisme mais surtout pas à la liberté d’expression. Et dans les démocraties, les tentatives politiques sont nombreuses pour restreindre cette insupportable marge de liberté laissée aux citoyens, comme l’Hadopi en France et le traité WCIT ou encore les projets de législation Sopa et Pipa aux USA (articles en lien respectivement sur geeko-le soir.b et OWNI).
Aller sur la Toile permet aujourd’hui de comparer, d’aller chercher l’info à la source, de mieux se documenter et de rétablir certaines vérités. Pour qu’elle ne devienne pas un nouveau territoire filtré et normatif, il faut continuer à se tenir au courant des tentatives de bâillonnement (toujours sous couvert de bonnes intentions, ordre public, morale, religion, justice, propriété privée et droits d’auteurs, etc. ) pour mieux les combattre. La défense des citoyens existe et s’organise. Encore faut-il qu’elle ne se retrouve pas pervertie, quadrillée, neutralisée par des structures faussement humanistes ou humanitaires, comme par exemple AVAAZ, vraissemblablement sous-marin de certains intérêts us, ou Human Right Watch, manipulée en sous-main par le milliardaire Georges Soros.
Au final, il faut vraiment faire preuve de perspicacité et de vision large afin de ne pas se perdre dans ce labyrinthe virtuel, savoir garder son fil d’Ariane. Ni attribuer à cet outil formidable un statut d’Absolu en l’adorant comme un nouveau Veau d’Or, en le sacralisant et en en faisant le creuset de la mémoire collective en même temps qu’une sauvegarde illimitée (et au final insondable) pour nos moindres oublis, le garant de nos convictions intimes. On appelle d’ailleurs extimité cette tendance à l’auto-promotion sur le net, teintée d’un fort narcissisme, qui fait que les services d’intelligence balayant la Toile au radar n’ont plus qu’à tendre la main pour recueillir toutes les informations personnelles qu’ils souhaitent, afin de se constituer d’immenses bases de données, nouvelle arme de destruction massive contre les peuples.
Penser par soi-même
Redécouvrir les chemins de la réflexion, en allant par exemple à la rencontre des Anciens et de leurs enseignements. La Philosophie grecque est d’une aide précieuse afin d’essayer de trouver une dynamique constructive à partir d’éléments chaotiques, dans le tourbillon de forces qui nous dépassent. Voir ou revoir la lumineuse série L’Héritage de la Chouette de Chris Marker, qui redonne toute son importance aux fondements de la pensée occidentale : comment la SOPHIA antique a traversé les différentes époques et irrigue encore notre manière d’articuler un discours, comment elle modèle notre capacité à analyser et à inventer de nouvelles solutions. Pour se réconcilier avec la rhétorique et toujours pouvoir formuler sa pensée !
Une question de survie
La société humaine en est arrivée à un degré de développement technologique sans précédent. Elle doit maintenant rééquilibrer ses objectifs en fonction de l’impact catastrophique qu’elle a sur l’environnement. Ce qui se passe actuellement au Japon, avec la catastrophe nucléaire de Fukushima est un nouvel exemple tragique. Cela va l’obliger à redéfinir ses priorités. Telle un démiurge un peu désemparé, assise au milieu de ses idoles contemporaines, lassée, acculée, va-elle se souvenir que d’autres voies existent ? Il y va maintenant de la survie de la planète et de l’espèce humaine. En ce début de deuxième millénaire, Pouvoir, Argent et Sexe ne sont pourtant que les descendants d’autres divinités anciennes, des enfants très turbulents. L’éternel conflit entre Éros et Thanatos…
Rester en phase avec la PHYSIS qui nous anime ainsi que l’univers, toucher du doigt l’essence des choses. Se désaliéner et retrouver une ÉTHIQUE.
XContinuons donc à faire fructifier le LOGOS comme nous cultivons notre jardin !
Cet article fait partie d’un cycle sur le langage. Vous pouvez retrouver tous les articles dans la rubrique Flux du langage
Florent Hugoniot
Les tentatives pour resteindre la liberté d’accès et de publication sur le Net sont toujours plus pressantes : http://www.journaldugeek.com/2014/10/30/verizon-sugarstring-censure-neutralite-surveillance/
Un exemple flagrant de de désinformation dans la société israélienne par le pouvoir de l’argent, en diffusant de la presse gratuite et de caniveau afin d’orienter et de manipuler l’opinion de la société (ici dans l’adhésion et la justification du sionisme) : http://www.courrierinternational.com/article/2014/11/14/comment-contrer-un-journal-gratuit-tres-lu-et-tres-partisan
Noyer les infos essentielles dans un flot d’annonces ineptes est aussi une tactique de la désinformation. À mettre en parallèle en France avec ce type de presse (Métro, 20 minutes, etc) divertissante, abrutissante et certainement pas exigeante sur le fond et les sujets. Ou encore la presse économique ultra libérale sponsorisée par des grands groupes du CAC40, de la City, de Wall Street, au service des intérêts des Magnats et PDG célèbres. Un pot bien pourri de titres comme La Tribune, Les Échos, The Economist, Forbes, The Wall Street Journal..