Ce lundi de rentrée scolaire, j’ai finalement toute la journée de libre. J’en profite pour faire un tour de ville avec mon Nikon compact et mes yeux tout neufs. Il fait doux en ce début janvier, un soleil poudré glisse en oblique sur Torréon.
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Sans objectif précis donc, je déambule dans cette étendue urbaine rétro-moderne au charme étrange, qui ressemble à une banlieue commerciale et résidentielle plutôt qu’à un centre-ville, malgré la présence de grands édifices administratifs perdus au milieu de successions de bâtiments et maisons rectangulaires. Des pavés de ciment, de pierre, de verre, de brique. Des blocs destructurés et parfois colorés, ammoncelés façon Rubik’s Cube, déclinés sous tous les angles selon la fantaisie des commanditaires et des architectes.
De hautes usines métalliques garnies de passerelles et de cheminées fumantes, des panneaux publicitaires géants, signalisation routière, quelques antennes-relais camouflées en palmier longiligne surplombent l’ensemble. Une poignée de grands hôtels vétustes d’une dizaine d’étages animent la plate skyline, avec des silots tubulaires et compacts au loin.
La présence d’usines, d’une industrie lourde (traitement des minerais arrivant notemment de l’état de Zacatecas) jusqu’au coeur de la ville atteste de la vocation industrielle et de la forte tradition commerciale de Torreón, située dans l’état de Coahuila. Elle constitue, avec les deux autres villes limotrophes Gomez Palacio et Lerda, situées dans l’état frontalier de Durango, la Laguna, nouvelle et improbable mégapole, aujourd’hui la plus grande zone urbaine du Mexique.
Seuls les nombreux – et bien réels – palmiers plantés le long des avenues semblent percer le ciel, en donnant à la ville un petit air d’oasis. De nombreuses espèces coéxistent : les imposants palmiers dattiers royaux du Maroc, les grands plumets hollywoodiens qui s’élancent en ondulant vers l’azur, les palmiers mexicains au tronc lisse et aux palmes effilées.
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L’état de Coahuila est tout à fait au nord du pays, à la frontière étasunienne et de fait plus tournée vers le grand voisin Yankee, que vers le sud. Les habitants sont en effet attirés par la clinquante Monterrey, capitale économique du Mexique, et les grandes villes du Texas et de Californie, plutôt que par México D.F., l’intemporelle capitale des États-Unis du Mexique. Oui, je suis bien dans une ville américaine, à cheval entre le Nord et le Sud. Une sorte de cocktail étrange entre efficacité, rationalisme gringo, nonchalance mexicaine avec une touche exotique arabo-andalouse.
Une ville géante, qui semble s’étendre à l’infini, idéale pour les voitures, les autobus… et les bicyclettes ! Les véhicules, très majoritairement motorisés – à part quelques remorques en bois d’un autre temps, tirées par un âne ou un cheval – rythment par vague, comme des jouets bien synchronisés sur les feux de circulation, les avenues et les rues rares en piétons. Ils glissent et s’immobilisent dans un bel ensemble, légèrement perturbé par les arrêts intempestifs des taxis jaunes ou blancs, ponctués d’un petit coup de klaxon pour les clients éventuels. Un Playtime de Tati transposé sous le soleil aride du Mexique, la poussière et un environnement de montagnes blanches, comme brulées par le soleil.
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Le réseau routier est tracé à l’équerre : parfaitement quadrillé au centre-ville, l’asphalte se déroule ensuite en courbes, lignes fuyantes et échangeurs, carrefours, ronds-points lorsqu’on se dirige vers la périphérie de la ville. C’est le tracé initial, mathématique, le squelette tout théorique de Torreón, ville récente et dynamique qui a grandi à partir d’un pueblito (petit village) il y a une à peine une centaine d’années. Rares sont donc les édifices baroques, à part une chapelle par ci par là, dont les coupoles couvertes de céramiques ou peintes de couleurs vives émergent des toits terrasses uniformes.
Comme le climat est caniculaire à partir de mai-juin, les systémes d’aérations, des sortes de limaces grises métalliques, conduits rectangulaires extérieurs en acier galvanisé, adèrent aux bâtiments, se glissent sur les façades comme dans scénario dans un film B de science-fiction, quelquechose comme une attaque technico-virale, invasion de laideur et promesse rampante d’air frais !!
Mais le paysage urbain de Torreón est divers et attachant. Horizontal, fuyant, dégluingué, mais des exemples architecturaux intéressants m’arrêtent : les villas californiennes des années 20-30, des immeubles streamline des années 50, des façades contemporaines post-modernes, en passant par des villas composites, le tout dans un concert de palmiers. Un taxista me racontait que de nombreux Arabes ont contribué à la création de la ville, soit en apportant la culture metissée arabo-andalouse via l’Espagne coloniale, soit en venant commercer directement au Mexique. Le Teatro Martínez est un pur exemple de façade Art Nouveau aux influences mauresques.
Quelques villas blanches aux fenêtres en ogive et aux tuiles vertes donnent l’impression de s’être égaré dans un quartier résidentiel de Casablanca, Alger ou Safi. Et au printemps, la ville se charge des lourdes senteurs des orangers en fleur, donnant à Torreón un air de conte de Shérazade.
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Des exemples architecturaux intéressants mais délabrées ou complétement à l’abandon, des maisons crevées en pisé créent également une atmosphère de sortilège. Beaucoup de vides, des zones de désertification urbaine (immeubles abandonnés, villas murées, terrains carrés en friche) attestent d’une parenthèse dans le temps, comme si, ici, celui-ci retenait son souffle… Une oasis urbaine dormante ! La faute à la dernière crise économique peut-être, mais aussi au narco-trafic qui a fait vivre aux habitants, il y a à peine deux ans, une veritable terreur quotidienne, avec règlements de comptes, fusillades et morts en série dans les rues, les boîtes de nuit.
Les commerces, des bars et restaurants réouvrent doucement dans un centre-ville où plus personne n’osait sortir le soir. Mais comme au Mexique on vit avant tout au présent, les traumatismes passés sont vites enfouis à défaut d’être complètements oubliés, ou mieux, les problèmes définitivement réglés.
Mais la vie reprend ses droits en ce début 2015, et les habitants de Torreón sont aimables et chaleureux. On sent qu’ils restent encore un peu sur leurs réserves, et un contact direct et sans arrière-pensée dans la rue est plutôt bien perú, les sourires se dñecrispent. Et le sésame Soy francés ouvre bien des conversations ! Les chicos, muchachas sont plutôt guapos/guapas et succombent aux dernières modes des States, où beaucoup vont passer des vacances, tenter une expérience de vie ou visiter de la famille.
Et puis il y a comme un air de fête populaire le dimanche, avec un bal pour señores y señoras de chachacha et paso doble sur la Plaza de las Armas, incroyable, ou encore un concert pastiche bien péchu le même soir sur la Alameda.
Beaucoup de vie dans cette ville suspendue de Torréon entre ciel et désert. Le Christ blanc en gloire, réplique plus petite de celui de Rio, écarte ses bras sur la ville semblant vouloir réveiller tant d’énergies en attente !!
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Florent Hugoniot
Florent Hugoniot ©Photos et texte