L’Orangina du Palais Longchamp

Longchamp est un des plus beaux parcs de Marseille, et sans doute, un des plus appréciés des Marseillais. Situé en plein centre-ville, avec près de 8 hectares de verdure, c’est un lieu hors du temps à deux pas de la Canebière.

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Il faisait très beau à Marseille ce jour-là. Comme chaque été, nous étions en vacances en France pour trois mois et cette fois, mes grands-parents passaient avec nous tout le mois de juillet dans la « maison cassée ». C’est peut-être ce même été que mon père et mon grand-père avaient décidé de couvrir la terrasse de ces dalles beiges et plates aux formes irrégulières marquées par des plantes fossiles, de fines empruntes de fougères qui couraient sur les plaques de schiste et en soulignaient les bords. Une opération délicate étant donné la fragilité de ces dalles naturelles, qui cassaient au moindre faux geste.

Avec toute la famille, nous avions décidé de visiter la cité phocéenne : tournée du Vieux-Port et des environs, bouillabaisse dans un restau au dessus des calanques, baignade dans la mer turquoise, visite du parc et du Palais Longchamp. Parmi ces souvenirs plaisants d’une époque insouciante, c’est ce dernier lieu qui m’avait surtout marqué du fait de sa théâtralité romantique, mais plus certainement par son exubérance aquatique, ses jeux d’eau, ses fontaines, le brouhaha des cascades qui amenaient en ville un peu de fraicheur à cette journée caniculaire.

Avait-on fait des photos au pied du Palais et de sa monumentale colonnade ionique incurvée ? Qu’importe, dans le cadre d’une ballade touristique, tout me paraissait briller d’un éclat plus vif. Ma mère était heureuse, ma grand-mère légère et attentionnée et tous les moments de cette journée particulière furent ponctués de rires suite aux interventions du papi qui prenait l’accent marseillais pour raconter des blagues et mettre l’ambiance. Savaient-ils quelque chose de la maladie de ma mère ? S’agissait-il déjà de tenter de vivre « normalement » et de faire comme si ? De mon point de vue d’enfant (je devais avoir 6 ou 7 ans), cette sortie était une véritable fête dans laquelle le torrent de vie emportait toutes les amertumes passées et à venir. Bien sûr, je me tenais à distance respectable de mon père dont la brutalité et la rudesse persistaient, même dans les événements les plus joyeux. Cela suffisait à me maintenir dans un état vibratile qui s’accordait parfaitement avec celle qui liait chaque membre de la famille. Mon frère était présent, mais je tenais à être le centre de mon royaume, l’objet principal de l’attention que mes proches voulaient bien m’accorder.

Insistance du vacarme de l’eau, reflet dansant des clapotis, piqûre des rayons du soleil, vertige des escaliers… Le décorum troisième Empire avec sa débauche de portiques, de cariatides, de chimères et de faunes ajoutait à toute cette architecture aérienne bien qu’un peu écrasante, une touche de sombre mystère.Tandis que mon grand-père me faisait remarquer les filets de pêche petrifiés et le nom des cours d’eau des Alpes inscrits sur chacune des deux colonnes encadrant la majestueuse allégorie à la Durance – « regarde là, tu vois plus haut, dans la deuxième cartouche ? Le mot ASSE est gravé, c’est le nom de la rivière dans laquelle tu te baignes tous les jours à Oraison. » – je m’abandonnais à l’ambiance grandiloquente de l’ensemble.

Le style Napoléon III trouve dans ce monument et ses alentours, tout à la gloire de la France industrielle néo-classique et de l’ingénierie triomphante de cette époque, un aboutissement parfait, si tant est qu’on puisse cataloguer de style cet art composite, pompier et franchement décadent. Sa postérité s’étendra longtemps jusque sur les arrangements des tombes et les sculptures des cimetières. Son parfum de fin de règne métissé de modernisme et de positivisme en faisait le cadre parfait pour que s’y déploient les univers de Baudelaire, de Victor Hugo ou encore de Huysmans. Inauguré en 1969, le Palais Longchamp est un peu le chant du cygne de Napoléon III et de sa cour, car l’entrée des Prussiens à Paris un an plus tard mis fin à son empire de pacotille.

Une fois la façade du Palais Longchamp examinée sous différents angles, nous décidâmes d’aller côté jardin par le couloir au fond de l’édifice. Après une allée de cyprès taillés en cônes se trouve une petite buvette – ou était-ce un glacier ? – à droite de l’esplanade qui domine tout l’ensemble paysager.

Forcément, il y avait ce jour-là une multitude de roses qui souriaient au soleil, les parterres fleuris étaient splendides, bien entretenus et de toutes les couleurs. Du moins dans mon souvenir car il est possible que l’état des platebandes était aussi désolé, sec et pellé qu’aujourd’hui… Mais je confonds peut-être avec d’autres jardins, celui posé sur la Citadelle Vauban de Besançon ou le parc botanique de Nice avec son panorama maritime incroyable, les souvenirs de cette époque s’entremêlant souvent. En tout cas, le grand cône en plastique rose-fraise et blanc-vanille signalant un distributeur automatique de glaces à l’italienne qui trône devant la terrasse semble avoir traversé toutes les époques. J’ai cru l’avoir reconnu quand j’ai fait la série de photos qui accompagnent ce texte.

Mais le clou de cette sortie fut, suite à l’ascension des marches et la traversée du petit jardin à la française, quand toute la famille s’assit avec soulagement sous un parasol autour d’une table ronde en métal et que nous fut présentée la carte des boissons. Après 9 mois passés dans la sécheresse et la privation consumériste en Mauritanie, cerné par le désert du Sahara et le mur bleu marine de l’Atlantique, un de mes plaisirs récurrents pendant les vacances d’été était de boire, à l’occasion de chaque pause en terrasse de café, un grand verre glacé d’Orangina. Cette mythique bouteille galbée contenait toute la France des années 70, les chansons de Cloclo (qui restèrent toujours inconnues en Afrique), les mini-jupes et les coiffures féminines arrangées comme des perruques, les foules d’estivants se rendant en tong des campings au centre-ville de Saint-Raphaël, les seins nus cramoisis sur les plages de la Côte d’Azur, l’odeur de monoï… Et la mollesse des vagues méditerranéennes comparées à la houle de l’océan. Bref une joie de vivre étalée partout, presque indécente aux yeux d’un enfant d’expats.

Et puis je crois que c’est un des derniers souvenirs où je retrouvais ma mère en public telle qu’elle m’était toujours apparue, naturelle, entièrement elle-même, une femme de tête accomplie mais toujours fille de bourgeois aisés, sûre de son aura de belle brune et confiante en moi, évidemment, son unique vrai blondinet que les autres couples lui enviaient avec discrétion ; et plus généralement fière de ses enfants, de son mari et de ses projets d’avenir. Avec moi, elle ne se cachait pas, se dissimulait rarement, une attitude qu’ensuite sa longue descente dans l’enfer de sa maladie ne lui a plus jamais permis de cultiver.

À cette même époque, un soir, dans le salon de notre dernière maison à Nouackchott, ma mère eut une idée lumineuse : pour me faire comprendre le principe de la rotation de la terre sur son axe et autour du soleil, elle prit une orange dans la corbeille de fruits, et avec un léger mouvement du poignet qu’elle avait si fin, elle la fit tourner sur elle-même puis autour de l’abat-jour de la lampe posée sur une commode. J‘en restais fasciné, l’image de ma mère se superposant définitivement avec celle de l’astre solaire.

C’est pourquoi il y aura toujours, où que ce soit dans le monde, une bouteille d’Orangina qui m’attend, fraîche et acide, un peu amère du fait de la recette si particulière de ce soda à la pulpe d’orange.

À ma mère, à toutes les mères du monde

Florent Hugoniot

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L’histoire du Palais Longchamp

Ce parc est une mise en scène grandiose qui célèbre l’arrivée de l’eau à Marseille. Depuis toujours, la question de l’eau est prépondérante, elle devient la préoccupation principale de la municipalité, accentuée par une épidémie de choléra durant l’année 1835. Déjà au XVIème siècle, on envisage de creuser un canal qui alimenterait Marseille avec l’eau de la Durance. Dès 1838 des projets pour le creusement de ce canal sont établis, et c’est celui de l’ingénieur des ponts et chaussées Franz Mayor de Montricher qui est retenu. Un grand concours d’architecture est lancé et c’est Henry Espérandieu qui est alors choisi. Marseille lui doit également la basilique Notre-Dame de la Garde. Pour creuser ce canal, long de 93 kilomètres, il a fallu ouvrir des souterrains et construire 18 ponts et aqueducs.
Près de 15 ans de travaux ont été nécessaires pour construire le château d’eau qui fut achevé en 1869 par la construction du Palais Longchamp, ensemble architectural reliant par une colonnade monumentale couverte, deux musées : le Museum d’histoire naturelle dans l’aile droite et le Musée des beaux-arts dans l’aile gauche.

Le parc Longchamp

La création du jardin public

Le jardin du plateau fut inauguré en 1869, en même temps que le château d’eau, le jardin de l’Observatoire a été quant à lui réalisé entre 1863 et 1864. Des bassins souterrains, éléments essentiels du système hydraulique, ayant la forme de deux grandes salles superposées et soutenues par une multitude de lourds piliers, constituent un immense réservoir d’eau destinée à être redistribuée dans la ville.

Espérandieu a dessiné à l’arrière du château d’eau un jardin à la française.  L’accès à ce jardin du plateau se fait par la colonnade, derrière la cascade représentant la Durance et l’arrivée du Canal à Marseille.

Le jardin zoologique

L’idée d’installer un jardin zoologique sur le jardin “du plateau” est envisagée dès le début de l’aménagement du jardin (en 1854). C’est quelques années après, en 1856, que débute sa construction. La surface du zoo (5 hectares) étant trop petite, la municipalité décide d’étendre le parc en contre-bas du jardin, après l’actuel Boulevard Cassini. Ce zoo en 2 parties sera relié par un pont qui surplombe le Boulevard Cassini mais également par un escalier placé le long d’une cascade. Le zoo comptait une grande variété d’espèces d’animaux. Il a fermé ses portes en 1987. Les cages sont encore visibles aujourd’hui.

https://www.marseille-tourisme.com/decouvrez-marseille/calanques-plages-et-nature/les-parcs-dans-marseille/parcs-et-jardins-a-marseille/parc-palais-longchamp/

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1 Response to L’Orangina du Palais Longchamp

  1. « Un phénomène qui attire l’œil. Samedi et dimanche, de nouvelles rencontres citoyennes sont organisées à 15 h 45 sur les hauteurs du jardin Longchamp (4e) pour découvrir les intentions cachées de Henri-Jacques Espérandieu, l’architecte du monument. D’après une découverte de Hachim Nitu, amateur d’histoire, cette place incontournable de Marseille serait un palais cosmique. « On peut assister au point culminant de l’alignement du soleil sur le dôme », indique-t-il. L’orientation choisie permet à la lumière solaire de traverser la lucarne du sommet et d’éclairer la partie haute du palais. En mai dernier, cette trouvaille a été certifiée par l’Observatoire de Marseille. »

    https://www.laprovence.com/article/region/1316313777190916/marseille-cosmologie-au-palais-longchamp

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