
La Côte d’Azur conserve toujours son air insouciant de fleurs d’oranger, comme un léger parfum d’insouciance et de bon-vivre, malgré une urbanisation de plus en plus intense. À peine plus loin que Marseille, de l’autre côté du massif des Calanques, commence le Var qui se termine un peu plus loin que Fréjus. Effectuer un trajet le long de cette partie du littoral méditerranéen, c’est comme suivre le fil d’un immense collier de perle dénoué, serpentant le long de la mer. Se succèdent le nom évocateur de villes de soleil et d’eau salée, célèbres zones de villégiature. En vitesse et allant du levant au ponant : Saint-Tropez, Cavalaire-sur-Mer, Le Lavandou, Bormes-les-Mimosas, Hyères, La Seyne-sur-Mer, Bandol… Appartenant déjà au domaine maritime, l’île du Levant, l’île de Porquerolles et la presqu’île de Giens ponctuent l’horizon miroitant. Avec comme médaillon du collier la rade de Toulon étalée, qui serait un camée finement ciselé, un peu érotique et rocaille.
Comme il y a en ce moment dans cette belle ville la 7e édition de la Design Parade Toulon (jusqu’à début novembre 2013), un événement artistique lancé en 2016 et parrainé par Ronan et Erwan Bouroullec, j’y suis allé récemment prendre le pouls et faire un repérage culturel.
En une journée bien remplie, en plus des rues et places du centre-ville historique, j‘ai visité trois espaces d’exposition :
- Le MAP (Maison de la Photographie), Place du Globe
- L’Ancien Evêché, 69 cours Lafayette
- Le Centre d’Art TPM, 236 Bd du Mal Leclerc
Ce que j‘en ai vu m’a rempli de joie et suscité beaucoup d’intérêt.
Première étape à la MAP, où on peut se plonger dans différentes époques et espaces grâce à l’exposition de 5 femmes photographes de l’agence Magnum : Eva Arnold, Nanna Heitmann, Susan Meiselas, Inge Morath et Maryline Silverstone.
« La Maison de la Photographie poursuit son partenariat avec la prestigieuse agence Magnum Photos. Cette année l’accent se porte sur quelques-unes des grandes figures féminines de la Photographie. Eve Arnold et Inge Morath ont rejoint la célèbre agence dès les années 1950. Suivrons Maryline Silverstone, Susan Meiselas et plus récemment en 2019, la jeune photographe allemande Nanna Heitmann.
L’exposition propose plusieurs séries mêlant portraits de célébrités et d’anonymes, reportages sociétaux, photographies de voyage et immersion poétique. »
Dans la matinée est arrivé un groupe d’une vingtaine de scolaires, moyenne d’âge 8-9 ans, reçus avec professionnalisme par une médiatrice qui a su éveiller leur curiosité dans cette exposition de photo majoritairement rétro et en noir et blanc, et les tenir en éveil (donc disciplinés) pendant tout le temps de la visite.
Deuxième étape, l’Office du tourisme de la ville de Toulon, avec un accueil attentionné. Où j’ai appris que la première fabrique de savons dits de Marseille fut fondée à Toulon en 1430 par un certain Palmier, industriel de Grasse. Je me suis même laissé allé à acheter quelques souvenirs dans l’espace boutique, après les indications précieuse fournies par les hôtesses d’accueil.
Puis direction les espaces officiels de la 7e édition de la Design Parade Toulon, pour les troisième et quatrième étapes.
À l’Ancien Evêché, j’ai pratiquement tout aimé ou du moins tout regardé avec émotion. Y est installée l’exposition des 10 jeunes architectes d’intérieur, finalistes du Festival Design Parade Toulon, sélectionnés par le jury d’Aline Asmar d’Amman. Leur travail a consisté à réaliser la pièce de leur rêve, sur le thème de la Méditerranée.
Plusieurs espaces consacrés à ce type de mécénat, On peut découvrir le travail des architectes sélectionnés en deux volets, avec une maquette de vitrine et une salle d’ambiance pour chacun(e). Le duo Anaïs Hervé et Arthur Ristor qui forme l’équipe lauréate du prix décerné par Chanel a réalisé un bijou de vitrine. J’ai aussi aimé leur salle d’inspiration Bohème orientale.
Le Festival Design Parade présente 10 jeunes architectes d’intérieur en compétition pour le Grand Prix Design Parade Toulon Van Cleef & Arpels, le Prix Visual Merchandising de CHANEL, le Prix du Mobilier national et le Prix du public, ville de Toulon.
À voir :
- « L’Amour, la Mer, les Femmes » par Aline Asmar d’Amman, présidente du jury et invitée d’honneur
- « Architectures », par Karl Lagerfeld, en collaboration avec Aline Asmar d’Amman et Carpenters Workshop Gallery
- « Résonances artistiques », Alexandre Benjamin Navet, Arthur Hoffner et Van Cleef & Arpels
- « Bibi Ker », par Bibi Seck, de la Galerie du 19M Dakar
- « Melitosfex », Madeleine Oltra & Angelo de Taisne, lauréats du Grand Prix Design Parade Toulon Van Cleef & Arpels 2022
- « Le cabinet aux mirages », Paul Bonlarron, lauréat du Prix Mobilier national 2022
- « Don’t Break My Heart », nouvel aménagement de la boutique, par Jacent, Jade Foures-Varnier et Vincent de Hoym
- « Les oiseaux », nouveau décors peint in situ sur la voute d’entrée de l’immeuble l’ancien évêché par Matthieu Cosse
- « Stéphane Ruchaud », commande photographique.
Le tout est très bien agencé autour du patio central et dans les étages. La visite de tous les espaces est entièrement gratuite, voici les horaires d’ouverture :
Du 23/06 au 05/11/2023 – Ouverture le mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi de 11h à 18h. Le dimanche de 11h à 15h. sauf le 1er novembre. Fermé le lundi.
Mais la perle des expositions à l’Ancien Archevêché est certainement celle d’Aline Asmar d’Amman, qui rassemble beaucoup de délicatesse et de savoir-faire dans tous les métiers d’art, et dont je retranscris le beau texte introductif :
« L’amour, la mer, les femmes »
Promenade littéraire à travers une matérialité poétique
L’Amour, la Mer, les Femmes évoque le pouvoir des mots sur notre imaginaire dans une architecture intérieure sous influence. Porté par le sentiment de liberté et de sensualité qu’appellent les vagues de la Méditerranée, l’espace se déploie comme autant de pages à feuilleter, emprisonnant dans des alcôves dédiées, l’écho de nos inlassables quêtes de beauté.
Empreint de références au roman et à l’écriture au travers du prisme féminin, le décor onirique questionne le rapport aux objets narratifs pris dans un jeu de conversations et de mémoire. Il invite à l’émerveillement sensoriel, en équilibre entre sophistication et brutalisme.
Mettant en scène des mots et des textures qui associent la magie de l’écriture à celle du geste, l’exposition carte blanche de l’architecte est marquée de souvenirs personnels liés à son enfance au Liban, et à la promesse indéfectible du livre, bouclier protecteur, porte du rêve.
Des livres choisis, aimés, sont enchâssés dans une terre bétonnée pour faire naître une série de meubles sculpturaux en ‘béton littéraire’. Conçues expressément pour cette exposition, ces pièces cristallisent l’idée de la culture comme armature essentielle.
Des plis se déploient dans un éventail de luminaires solaires, surlignés d’or-argent. Des murs entiers se couvrent de matières nouvelles, portant la signature haute-couture des Maisons Lemarié et Lognon. Des livres suspendus sont ornés de mots retenus pour leur pouvoir évocateur et brodés par la Maison Lesage. La promenade est une rencontre avec soi, le reflet des miroirs est présent. C’est aussi un chemin vers l’autre et tout le message du ‘miroir des cultures’, prolongeant à l’infini la mosaïque de nos différences.
Sanctuaire inspiré dédié aux femmes autrices, « le bureau d’écriture » amorce les espaces de nuit. Des paravents articulés sont tatoués de textes puissants.
Glisser de la douceur du jour à l’ombre argentée, de la clarté de l’aube à l’érotique de la nuit. S’allonger sous le « mobile des métiers » et rejoindre le sommeil. Objet suspendu aux huit branches tentaculaires, attrape-rêve géant, il tient en équilibre autour de tiges en chanvre et en métal frappé, les créations délicates des Métiers d’art de la Mode réunis par Chanel au 19M.
L’art contemporain, vécu comme un amplificateur de résonnances, est intensément présent. Le choix curatorial confié à Docent et à Hélène Nguyen-Ban par Aline Asmar d’Amman souligne avec acuité le dialogue entre l’architecture intérieure et la richesse de la création artistique. Des œuvres singulières renouvellent le plaisir des correspondances inattendues. Elles semblent toutes appartenir à un mythe que la mer aurait vu naître.
Berceau des cultures, la Méditerranée apparaît ainsi comme l’espoir de l’éternel voyage vers des horizons fertiles et des lieux à soi.
La matière et le papier, l’encre les pierres se correspondent. La légèreté émane de la gravité. Ainsi se succèdent les espaces, animés et incarnés, comme pris dans un ciment des songes. »

ALINE ASMAR D’AMMAN – PRÉSIDENTE DU JURY DESIGN PARADE TOULON
Née au Liban, Aline Asmar d’Amman est architecte et fondatrice de Culture in Architecture. Basée à Paris et à Beyrouth, l’agence crée des ponts entre les cultures tout en tissant un lien entre le passé et le présent. (…) Aline Asmar d’Amman poursuit un travail transversal allant de l’architecture intérieure à la direction artistique et la scénographie dans les quatre coins du monde, avec une facture contemporaine engagée dans la transmission des savoirs, la collaboration avec les métiers d’art et les conversations culturelles. Aline Asmar d’Amman poursuit un travail transversal allant de l’architecture intérieure à la direction artistique et la scénographie dans les quatre coins du monde, avec une facture contemporaine engagée dans la transmission des savoirs, la collaboration avec les métiers d’art et les conversations culturelles.

















Du 23/06 au 05/11/2023 – Ouverture le mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi de 11h à 18h, le dimanche de 11h à 15h (sauf le 1er novembre) – Fermé le lundi.
J‘ai beaucoup aimé la sensualité à fleur de peau qui émane de l’ensemble, la sensation d’évoluer non pas dans « Une chambre à soi » (A Room of One’s Own de Virginia Woolf) mais dans un appartement entièrement au féminin. Cependant la touche de Aline Asmar d’Amman tient moins dans une cohérence que dans les détails. Je dirais même que cette exposition nous prouve plus ses talents de décoratrice que d’architecte d’intérieur. Je retiendrais surtout les poufs en association de velours et marbre beige-rose, les tapisseries et coupes en verre soufflé, le « mobile des métiers », les céramiques peintes évoquant les sirènes et femmes faciles à marins, le travail pointu sur les matières, les pliages puis moulages de pliages. Le parcours de l’exposition, qui ressemble à un appartement-boudoir ou un gynécée très amélioré, se fait selon une succession de salles : « l’entré des contes », « le salon de conversation », « le miroir des cultures », « le bureau d’écriture », « la matière poétique », « le mobile des métiers », « le salon de bain » qui correspondent peu ou prou à première et deuxième entrée, antichambre, bureau, chambre de repos conviviale (mais encombrée du mobile prenant tout l’espace), salle-de-bain d’inspiration coquillage et crustacés.
Dans les murs de cette expo, j’ai un peu moins apprécié la chaise Andrée Putman, rigide derrière un bureau anguleux et franchement agressif, les paravents trop figés. Et pas du tout les « meubles sculpturaux en béton littéraire ». Mais le tout a un air de cabinet de curiosité géant qui retient le regard, à la recherche d’anecdotes et de correspondances qui nous font écho. Ce qui ressort de ce geste artistique, c’est avant tout la mise en scène de l’éternel féminin, magnifié ici dans un style franchement bourgeois et conventionnel, même dans le coquin), et peut-être l’évocation en creux de la personnalité d’Aline Asmar d’Amman, car il y a un dévoilement tout à fait manifeste et maitrisé, comme si l’auteure-artiste nous prenait magiquement par la main pour la visite, ce qui rend cette exposition d’autant plus vivante et séduisante.

Le Jardin Secret de Bleu Chardon
Il y a également une alcôve à part, à gauche de l’entrée de l’expo (ou à droite de la sortie) qui ne semble pas entrer dans la scénographie de l’Amour, la Mer, les Femmes, mais qui vaut aussi le détour et dont voici quelques vues :
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« Lauréat du prix Mobilier national Design Parade Toulon 2022, Paul Bonlarron a bénéficié pendant 9 mois d’une résidence de création au sein du Mobilier national. Il a développé un cabinet aux mirages, élément central de cette nouvelle scénographie, réalisée par l’ARC – Atelier de Recherche et de Création interne au Mobilier national.
Dans le silence d’un coffre résonnent des poèmes intérieurs, des rimes qui demandent à être déployées. Le cabinet aux mirages appelle à la contemplation de ces choses que l’on collecte et qui nous habitent en secret. Des tiroirs à mirages, des miroirs à images. Son architecture, en apparence opaque, laisse découvrir une quantité de compartiments agencés comme un réseau de pièces à exposer. Peut-être faut-il se promener autour pour dévoiler les merveilles qu’il concentre ? Le cabinet aux mirages s’inspire des cabinets à secrets de la Renaissance construits comme de véritables mises en scènes miniatures qui manipulent les perspectives dans de petits théâtres à miroir ou cachent des tiroirs dans d’autres tiroirs. Au lieu de conserver des trésors à l’abri des regards, ce meuble sert ici de dispositif de présentation de petits objets. (…) »
Au rez-de-chaussée, la partie orchestrée par Karl Lagerfeld est d’une rigidité désolante, limitée aux tonalités noir-blanc- gris froids, toute de marbre poli (qu’on imagine exclusivement de Carrare), d’une inspiration qui se veut hors du temps (ah le Classicisme de la Grèce intemporelle) mais qui a bien vieilli depuis sa création. Autant la richesse et la profusion des propositions, projets de la plupart des nouveaux créateurs fait parfois sourire mais reste attachante dans son aspect bazar, autant le désir de pureté de l’ancien leader de Chanel, brillant pour la mode féminine mais moins en architecture intérieure, me demeure hermétique. L’exposition dans une petite salle d’au rez-de-chaussée, en hommage à K. Lagerfeld, décédé le 19 février 2019, est glacée et mortuaire ; tandis que celle d’A. Asmar d’Amman à l’étage est habitée, avec son charme à la fois frais et suranné.
Expositions entièrement gratuites, jusqu’au 5 novembre 2023
Suite avec la deuxième partie.
Florent Hugoniot


















