
En ce printemps 2022, les fleurs nouvelles ornaient les arbres de Zacatecas et jonchaient les rues, déjà sèches mais toujours odorantes. Fleurs bleu lavande des jacarandas qui s’envolent vers un ciel parfaitement azur, fleurs aux couleurs éclatantes des bougainvilliers, fleurs jaune-orangées d’un jour et si délicates des nopals. Ce sont les offrandes avec lesquelles j‘avais envie d’alimenter le premier de la série des cérémonies du feux inaugurées avec Sarah pendant ces vacances de Pâques. Les rougeoyantes fleurs de flamboyant fleurissant plus tard ne faisaient pas partie du menu. Pour le festival d’arômes naturels, j‘avais ajouté à mon panier des graines roses de pirul, (originaire du Pérou) et des feuilles vert pâle d’eucalyptus (originaire d’Australie), également en fleur avec leur pompons pourpres et allongés.
Ce samedi, le temps était changeant, les orages menaçaient, envoyaient parfois une douche rapide d’eau de pluie sur les dalles de la terrasse. Après une dernière ondée au coucher du soleil, avertissement de l’élément eau qui aurait pu annuler notre entreprise, nous avons estimé avec soulagement que les éléments nous seraient favorables, le vent ayant pris le dessus sur les nuages.
Nous avons procédé de cette manière, simplement, suivant notre instinct et selon certains préceptes appris à la fois de notre expérience mexicaine et de notre pratique de l’art de la céramique. Tout d’abord nous avons allumé le brasier dans le foyer de la cheminée élancée en argile cuite, qui fit parfaitement son office en protégeant notre feu sacré du vent capricieux. Une fois que le feu avait convenablement pris, une belle flamme dansant sur les premières bûches, nous l’avons purifié avec un verre de mezcal et quelques grains de résine de copal. Puis nous avons remercié oralement les quatre éléments – terre, eau, air, feu – de nous être conciliants. Nous avons enfin dédié ce feu au soleil qui disparaissait derrière les tours baroques de la cathédrale, les toits plats des maisons et des palais coloniaux de Zacatecas. Intimement, j‘associais ce feu à la couleur bleue.
Auparavant, nous avions écrit sur de petites feuilles de papiers blancs les mots et les pensées que nous désirions donner à manger à ce feu. Nous avons utilisé de l’encre de Chine noire et des pinceaux, un mode d’emploi que j‘ai conservé pour les cérémonies suivantes. Pour formuler à l’écrit avec un mot, une ou deux phrases ses espoirs, de la matière symbolique, mais aussi de la substance vitale parmi toutes ces choses dont nous souhaitons nous débarrasser, libérer notre existence. Car la cérémonie du feu est à la fois un acte d’offrande, de respect à la flamme qui nous anime, notre feu intérieur, au feu prométhéen des civilisations humaines qui nous chauffe et nous rend puissants, mais également à l’astre solaire qui nous éclaire et guide nos pas. Ce geste vient peut-être avant tout d’un besoin personnel, d’un désir particulier de purification et de transformation.
Le rituel des papiers brûlés pouvait commencer, certains dans des enveloppes, d’autres seulement pliés. Un peu comme avec de l’encre invisible, les mots calligraphiés au pinceau prirent une intéressante teinte violacée et cuivrée en se laissant consumer. Peurs et tristesses qui partent en fumée, souhaits sublimés sur les braises incandescentes.
Être tout feu tout flamme est une expression qui signifie que quelqu’un est très enthousiaste, passionné ou excité à propos de quelque chose.
Le souffle chaud du brasier sur le visage et le corps ajouté aux quelques verres de mezcal bus pendant la cérémonie créèrent un état d’excitation, que la contemplation des flammes, variant du bleu électrique au jaune-orangé selon le combustible, venait apaiser.
Une fois que le rituel nous sembla accompli et que le feu faiblissait faute de nourriture, une douce fatigue nous gagnait. Pour une première, ce fut une belle performance. Dans son sarcophage d’argile, les braises pouvaient se réduire en cendre en toute quiétude tandis que vers minuit, Morphée nous entourait de ses bras et nous berçait de rêves salvateurs.
Le lendemain, un dimanche, comme il restait encore beaucoup de bois et d’essences à brûler, vinrent quelques amis. Ce qui était une cérémonie dans l’intimité de nos deux êtres, devint une fogata aromatique. Les graines de pirul, mais surtout les feuilles d’eucalyptus faisaient éclater leurs parfums pour toute la compagnie qui se diverti fort tard. Les deux ou trois jours suivant la cérémonie, je senti des forces agissant au niveau de mes entrailles et dans mon mental. Il me fallu beaucoup boire d’eau pour me réhydrater, certainement du fait du feu mais possiblement aussi de l’alcool !
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Cérémonies 1, 2, 3 et 4
Pour les cérémonies suivantes, je m’occupais seul de l’organisation et du déroulé du rituel. Parfois j’en fais un juste pour moi, mais le plus souvent il se déroule accompagné d’amis invités. Auparavant, je nettoie ma maison à fond puis la purifie à l’encens ou au copal. Pendant au moins une semaine, je prévois le matériel, de quelles essences de bois, de fleurs ou de graine je nourrirai le feu. Elle peut être motivée par un événement en cours, à venir, un problème personnel persistant, un ressenti intérieur ou tout simplement l’air du temps. Cependant je n’en abuse pas étant donné l’énergie que cela nécessite et le caractère sacré que je lui accorde. Une cérémonie du feu venant à point participe ainsi du Kaïros (voir définition plus bas).
La fabrication de l’autel est en général rudimentaire : deux piles de parpaings pour maintenir un récipient de fer ou de terre qui vont servir de foyer. J’entretiens le feu pendant au moins deux heures, puis le laisse s’éteindre de lui-même. Le lendemain, les braises encore chaudes sous les cendres peuvent servir à le faire reprendre.
Les cérémonies 2, 3, 4 et 5 se déroulèrent chez moi à Oaxaca entre 2022 et 2023. La deuxième en présence de Domi et d’Edith, la troisième seul, la quatrième avec Laurine. La cinquième fut organisée avec de nombreux autres amis, à l’occasion de ma fête de du départ du Mexique, après 10 années passées dans ce pays qui m’a tant apporté et changé.
La sixième et septième cérémonie à Marseille, chez Isabelle et Lotfi. Je ne reporte pas dans ce texte tout ce qu’il y aurait à savoir – ou pas, chaque cérémonie devant conserver son caractère privé comme le secret des messages brûlés et de certaines confidences – mais les photos du diaporama ci-dessous seront suffisamment éloquentes. La cérémonie la plus impressionnante jusqu’à ce jour reste la cinquième, qui dura environ 4 heures et dont l’autel put recevoir trois foyers superposés.
Il existe trois traditions auxquelles on peut se référer concernant la cérémonie du feu. La première, pays hôte oblige, la mésoaméricaine qu’on appellera le rituel aztèque ; la deuxième, d’origine hindoue (en Inde) et la troisième, du zoroastrisme venu de l’ancienne Perse (actuellement l’Iran).
La cérémonie du feu nouveau chez les Aztèques

« La cérémonie du feu nouveau, également connue sous le nom de cérémonie de ligature des années, était un rituel qui se tenait tous les 52 ans au mois de novembre, à la fin d’un cycle complet de l’année solaire aztèque (xiuhmopilli). Son but n’était autre que de renouveler le soleil et d’assurer un autre cycle de 52 ans. La cérémonie du feu nouveau, ou Toxhiuhmolpilia, comme les Aztèques l’appelaient, était de loin l’événement le plus important du calendrier religieux car, tout simplement, si la cérémonie échouait, la civilisation aztèque s’éteindrait. (…)
Xiuhtecuhtli Dieu du feu
La cérémonie était supervisée par Xiuhtecuhtli, également connu sous le nom de « Seigneur Turquoise », le dieu aztèque du feu. Son nom révèle non seulement son association avec la turquoise mais aussi avec le temps, car xiuhitl en nahuatl, la langue des Aztèques, signifie à la fois « turquoise » et « année ». Le feu, comme dans de nombreuses autres cultures anciennes, était considéré comme un élément fondamental de l’univers, présent dans toutes choses. Le pilier de feu de Xiuhtecuhtli était censé traverser tout le cosmos, de Mictlan, les Enfers, à Topan, les Cieux. L’association entre le soleil et le feu est faite dans la mythologie aztèque avec l’auto-sacrifice des dieux Nanahuatzin et Tecuciztecatl qui se jetèrent dans un feu à Teotihuacan afin de produire respectivement le Soleil et la Lune. Comme nous allons le voir, dans la cérémonie du feu nouveau, un feu particulier était essentiel pour assurer le retour du soleil vivifiant. (…)
Préparation de la cérémonie

Les préparatifs de la cérémonie commençaient par l’extinction de tous les feux, des temples aux foyers domestiques, ces derniers étant particulièrement associés à Xiuhtecuhtli. Ensuite, on procédait à un nettoyage en profondeur des rues, on jetait les vieilles pierres de foyer, les vieux ustensiles de cuisine et les vieux vêtements, et même les idoles étaient cérémonieusement lavées et nettoyées. Un autre rituel consistait à attacher ensemble des fagots de 52 roseaux, créant ainsi un xiuhmopilli symbolique. Les femmes enceintes étaient enfermées dans des greniers et leurs visages étaient peints en bleu dans l’espoir qu’elles ne se transforment pas en monstres pendant la nuit. Les enfants avaient également le visage peint et on leur empêchait de dormir pour éviter qu’ils ne se transforment en souris. Enfin, à la tombée de la nuit, la population cessait toute activité, grimpait sur les toits des maisons et attendait, dans un silence feutré, ce qui allait se passer. Si le feu brûlait avec éclat, Xiuhtecuhtli avait béni le peuple avec un autre soleil. Sinon, c’était la fin du monde. (…)
La cérémonie du feu nouveau fut organisée avec succès en 1351, 1403, 1455 et à nouveau en 1507. Curieusement, bien que cela indique peut-être que les Aztèques croyaient que chaque cycle était un nouveau départ, ils ne dataient pas spécifiquement les différents cycles de 52 ans. Le calendrier, pour ainsi dire, était à chaque fois remis à zéro. La dernière cérémonie du feu nouveau inaugura donc le cinquième soleil de l’ère aztèque, le dernier selon la mythologie aztèque, ce qui s’avéra être le cas avec l’arrivée des envahisseurs européens. »
Source : worldhistory.org
Suite dans la deuxième partie



























