Tout feu tout flamme (1)

Cinquième cérémonie du feu et soirée de despedida – Oaxaca, août 2023

En ce printemps 2022, les fleurs nouvelles ornaient les arbres de Zacatecas et jonchaient les rues, déjà sèches mais toujours odorantes. Fleurs bleu lavande des jacarandas qui s’envolent vers un ciel parfaitement azur, fleurs aux couleurs éclatantes des bougainvilliers, fleurs jaune-orangées d’un jour et si délicates des nopals. Ce sont les offrandes avec lesquelles j‘avais envie d’alimenter le premier de la série des cérémonies du feux inaugurées avec Sarah pendant ces vacances de Pâques. Les rougeoyantes fleurs de flamboyant fleurissant plus tard ne faisaient pas partie du menu. Pour le festival d’arômes naturels, j‘avais ajouté à mon panier des graines roses de pirul, (originaire du Pérou) et des feuilles vert pâle d’eucalyptus (originaire d’Australie), également en fleur avec leur pompons pourpres et allongés.

Ce samedi, le temps était changeant, les orages menaçaient, envoyaient parfois une douche rapide d’eau de pluie sur les dalles de la terrasse. Après une dernière ondée au coucher du soleil, avertissement de l’élément eau qui aurait pu annuler notre entreprise, nous avons estimé avec soulagement que les éléments nous seraient favorables, le vent ayant pris le dessus sur les nuages.

Première cérémonie du feu Oaxaca avril 2022 – cheminée en argile

Nous avons procédé de cette manière, simplement, suivant notre instinct et selon certains préceptes appris à la fois de notre expérience mexicaine et de notre pratique de l’art de la céramique. Tout d’abord nous avons allumé le brasier dans le foyer de la cheminée élancée en argile cuite, qui fit parfaitement son office en protégeant notre feu sacré du vent capricieux. Une fois que le feu avait convenablement pris, une belle flamme dansant sur les premières bûches, nous l’avons purifié avec un verre de mezcal et quelques grains de résine de copal. Puis nous avons remercié oralement les quatre éléments – terre, eau, air, feu – de nous être conciliants. Nous avons enfin dédié ce feu au soleil qui disparaissait derrière les tours baroques de la cathédrale, les toits plats des maisons et des palais coloniaux de Zacatecas. Intimement, j‘associais ce feu à la couleur bleue.

Auparavant, nous avions écrit sur de petites feuilles de papiers blancs les mots et les pensées que nous désirions donner à manger à ce feu. Nous avons utilisé de l’encre de Chine noire et des pinceaux, un mode d’emploi que j‘ai conservé pour les cérémonies suivantes. Pour formuler à l’écrit avec un mot, une ou deux phrases ses espoirs, de la matière symbolique, mais aussi de la substance vitale parmi toutes ces choses dont nous souhaitons nous débarrasser, libérer notre existence. Car la cérémonie du feu est à la fois un acte d’offrande, de respect à la flamme qui nous anime, notre feu intérieur, au feu prométhéen des civilisations humaines qui nous chauffe et nous rend puissants, mais également à l’astre solaire qui nous éclaire et guide nos pas. Ce geste vient peut-être avant tout d’un besoin personnel, d’un désir particulier de purification et de transformation.

Le rituel des papiers brûlés pouvait commencer, certains dans des enveloppes, d’autres seulement pliés. Un peu comme avec de l’encre invisible, les mots calligraphiés au pinceau prirent une intéressante teinte violacée et cuivrée en se laissant consumer. Peurs et tristesses qui partent en fumée, souhaits sublimés sur les braises incandescentes.

Première cérémonie du feu Oaxaca avril 2022 – foyer incandescent

Le souffle chaud du brasier sur le visage et le corps ajouté aux quelques verres de mezcal bus pendant la cérémonie créèrent un état d’excitation, que la contemplation des flammes, variant du bleu électrique au jaune-orangé selon le combustible, venait apaiser.

Une fois que le rituel nous sembla accompli et que le feu faiblissait faute de nourriture, une douce fatigue nous gagnait. Pour une première, ce fut une belle performance. Dans son sarcophage d’argile, les braises pouvaient se réduire en cendre en toute quiétude tandis que vers minuit, Morphée nous entourait de ses bras et nous berçait de rêves salvateurs.

Le lendemain, un dimanche, comme il restait encore beaucoup de bois et d’essences à brûler, vinrent quelques amis. Ce qui était une cérémonie dans l’intimité de nos deux êtres, devint une fogata aromatique. Les graines de pirul, mais surtout les feuilles d’eucalyptus faisaient éclater leurs parfums pour toute la compagnie qui se diverti fort tard. Les deux ou trois jours suivant la cérémonie,  je senti des forces agissant au niveau de mes entrailles et dans mon mental. Il me fallu beaucoup boire d’eau pour me réhydrater, certainement du fait du feu mais possiblement aussi de l’alcool !

Cérémonies 1, 2, 3 et 4

Pour les cérémonies suivantes, je m’occupais seul de l’organisation et du déroulé du rituel. Parfois j’en fais un juste pour moi, mais le plus souvent il se déroule accompagné d’amis invités. Auparavant, je nettoie ma maison à fond puis la purifie à l’encens ou au copal. Pendant au moins une semaine, je prévois le matériel, de quelles essences de bois, de fleurs ou de graine je nourrirai le feu. Elle peut être motivée par un événement en cours, à venir, un problème personnel persistant, un ressenti intérieur ou tout simplement l’air du temps. Cependant je n’en abuse pas étant donné l’énergie que cela nécessite et le caractère sacré que je lui accorde. Une cérémonie du feu venant à point participe ainsi du Kaïros (voir définition plus bas).

La fabrication de l’autel est en général rudimentaire : deux piles de parpaings pour maintenir un récipient de fer ou de terre qui vont servir de foyer. J’entretiens le feu pendant au moins deux heures, puis le laisse s’éteindre de lui-même. Le lendemain, les braises encore chaudes sous les cendres peuvent servir à le faire reprendre.

Les cérémonies 2, 3, 4 et 5 se déroulèrent chez moi à Oaxaca entre 2022 et 2023. La deuxième en présence de Domi et d’Edith, la troisième seul, la quatrième avec Laurine. La cinquième fut organisée avec de nombreux autres amis, à l’occasion de ma fête de du départ du Mexique, après 10 années passées dans ce pays qui m’a tant apporté et changé.

La sixième et septième cérémonie à Marseille, chez Isabelle et Lotfi. Je ne reporte pas dans ce texte tout ce qu’il y aurait à savoir – ou pas, chaque cérémonie devant conserver son caractère privé comme le secret des messages brûlés et de certaines confidences  – mais les photos du diaporama ci-dessous seront suffisamment éloquentes. La cérémonie la plus impressionnante jusqu’à ce jour reste la cinquième, qui dura environ 4 heures et dont l’autel put recevoir trois foyers superposés.

Il existe trois traditions auxquelles on peut se référer concernant la cérémonie du feu. La première, pays hôte oblige, la mésoaméricaine qu’on appellera le rituel aztèque ; la deuxième, d’origine hindoue (en Inde) et la troisième, du zoroastrisme venu de l’ancienne Perse (actuellement l’Iran).

La cérémonie du feu nouveau chez les Aztèques

Représentation d’une cérémonie du feu nouveau – Codex Borbonicus
Le Masque de Xiuhtecuhtli – Encyclopédie de l’Histoire du Monde – D.A.: bathporeia | Crédits : bathporeia / Flickr

Suite dans la deuxième partie

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