
Ce texte fait suite à L’Orangina du parc Longchamp.
Le zoo du parc Longchamp
À Marseille, l’idée d’installer un jardin zoologique sur le jardin dit « du plateau » est envisagée dès le début de l’aménagement du site en 1854. C’est quelques années après, en 1856, que débute sa construction. La surface du zoo de 5 hectares étant trop petite, la municipalité décide d’étendre le parc en contrebas du jardin, après l’actuel Boulevard Cassini. Ce zoo en deux parties sera relié par un pont qui surplombe le Boulevard Cassini mais également par un escalier placé le long d’une cascade de style naturaliste. Le zoo comptait une grande variété d’espèces d’animaux. Il a fermé ses portes en 1987. Les cages sont encore visibles aujourd’hui.
En 1854, soit la même année que la fondation du Jardin zoologique de Marseille, est créée à Paris, par Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, une société savante : la Société Zoologique d’Acclimatation qui, un an plus tard change d’appellation, après avoir été reconnue d’utilité publique pour devenir : la Société Impériale d’Acclimatation. Elle se place directement sous la protection de l’Empereur Napoléon III et bénéficie de larges moyens financiers et d’importants soutiens politiques. L’acclimatation d’espèces exotiques devient un sujet d’actualité et sert les desseins du développement économique et technique de la France du Second-Empire. Le premier zoo de Marseille devient ainsi une annexe méridionale du zoo parisien situé dans le bois de Boulogne.
Beaucoup de grandes réalisations urbaines et architecturales qui ont fariqué l’image de la France moderne et sophistiquée à l’étranger datent de la deuxième période du XIXe siècle. Elles sont souvent associées au Baron Haussmann qui a redessiné Paris à cette époque. À Marseille, une seule avenue peut se targuer de l’appellation haussmannienne : la Rue de la République où passe aujourd’hui le tramway et qui a défrayé la chronique lors de la vente à la découpe de ses grands immeubles de pierre taillée, rachetés par des fonds d’investissements nord-américains et français.
« Quatorze ans après sa réhabilitation menée par des fonds d’investissement avec le soutien de la mairie de Marseille, la rue de la République ne décolle pas. La moitié des commerces sont inoccupés et la plupart des logements sont vides. (…) Quartier artificiel Retour en arrière. En 2004, la Société immobilière de Marseille (SIM) vend la totalité des immeubles de la rue à deux fonds d’investissement. Lonestar, l’Américain, rachète la partie Sadi-Carnot-Joliette et ANF, le Français, prend le côté Sadi-Carnot-Vieux-Port. Ils s’engagent à réhabiliter le quartier. L’objectif est clair et assumé : monter l’artère en grade pour attirer des cadres sup’ « ceux qui payent leur impôt », dixit Jean-Claude Gaudin. « C’est le péché originel. Ce chantier n’a jamais été une opération immobilière mais une opération de finance internationale », décrypte Patrick Lacoste, d’un Centre-ville pour tous.» Paul Goiffon, La Marseillaise, 2019
Situé à une entrée du parc, rue Lacépède et à la sortie de la station de métro Longchamp-Cinq Avenues, on peut voir le monument à Antonin Artaud. Celui-ci se trouvait en 1996 au carrefour des Cinq Avenues. C’est l’œuvre du sculpteur François Bouché (1924-2005) qui a réalisé ce portrait stylisé à l’extrême, quasi fantomatique.
Bouché était considéré comme l’un des grands sculpteurs du XXème siècle. Artaud est un natif de Marseille puisqu’il y a vu le jour le 4 septembre 1896. Après une vie tumultueuse en tant qu’artiste avant-gardiste à Paris (il fut un théoricien du théâtre, acteur, écrivain, essayiste, dessinateur et poète français) et un séjour au Mexique, il est mort à Ivry-sur-Seine le 4 mars 1948, des suites de souffrances mentales et physiques mais aussi de traitements pas toujours adaptés à son état ; on peut ajouter également du fait de son isolement progressif de la scène artistique et intellectuelle, malgré des amitiés sincères et durables dans ce milieu.
Il y a un long passage sur Antonin Artaud dans Du réel, de l’irréel et de l’art en analyse.
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NAVIRE MYSTIQUE
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Il se sera perdu le navire archaïque
Aux mers où baigneront mes rêves éperdus ;
Et ses immenses mâts se seront confondus
Dans les brouillards d’un ciel de bible et de cantiques.
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Un air jouera, mais non d’antique bucolique,
Mystérieusement parmi les arbres nus ;
Et le navire saint n’aura jamais vendu
La très rare denrée aux pays exotiques.
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Il ne sait pas les feux des havres de la terre.
Il ne connaît que Dieu, et sans fin, solitaire
Il sépare les flots glorieux de l’infini.
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Le bout de son beaupré plonge dans le mystère.
Aux pointes de ses mâts tremble toutes les nuits
L’argent mystique et pur de l’étoile polaire.
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Antonin ARTAUD
La Criée, août 1922, p. 5
Antonin Artaud – Le Navire mystique; Association des amis de Jean Giono, n° 2 automne-hiver 1973 (extrait), 1973 (p. 5). Littérature et Poésie
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S’acclimater
Le jardin d’acclimatation est un type de jardin botanique présentant en métropole une collection de plantes exotiques importées des comptoirs coloniaux. Il peut aussi se définir comme jardin zoologique lorsqu’y vivent aussi des animaux exotiques, ou encore comme parc d’attractions avec manèges, aires de jeux, promenades à cheval, ateliers et événements. On retrouve climat dans le mot acclimatation imaginé en 1832 pour désigner le fait d’habituer une plante ou un animal à un autre climat que le sien d’origine.
Après un long séjour à l’étranger, pas si évident de revenir vivre dans son propre pays. Les procédures administratives sont de plus en plus tortueuses ne serait-ce que, par exemple, pour retrouver ses droits à la Sécu ; un parcours professionnel hors de France ne semble pas un atout vis à vis d’une Éducation Nationale qui se disloque et cumule les incohérences : elle manque de postulants pour devenir professeur, subit une fuite massive de titulaires ou jeunes enseignants diplômés du fait des mauvaises conditions de travail, et malgré des campagnes publicitaires pour recruter tout azimut et dans la minute, exige toujours un niveau Bac+3, Bac+5 pour candidater en tant que prof contractuel, avec tous les aléas et exigence de flexibilité que ce statut signifie. De plus l’articulation entre les différents services de gestion du personnel au niveau du rectorat semblent fonctionner avec autant de fluidité qu’un tronc de chêne et autant de sens de la communication qu’entre une carpe et une chouette.
Je finis par me demander s’il n’est pas plus compliqué pour des citoyens français ayant vécu à l’étranger de recouvrer leurs droits à la Sécu (donc la possibilité de s’inscrire â Pôle Emploi) qu’un migrant accompagné par une association d’insertion ou un réfugié fraîchement arrivé d’Ukraine… Il faut prouver de trois mois de résidence à la même adresse pour que la procédure s’ouvre enfin. Sachant que lorsqu’on travaille pour des Alliances françaises, dont on vante régulièrement l’effort pour le rayonnement de la langue et de la culture françaises, on n’a droit ni à la sécurité sociale localement (sauf à de très rares exceptions), ni à des vacances payées, ni à des droits pour le chômage ou la retraite en France, ni même au remboursement du billet d’avion pour rejoindre son poste, où que ce soit dans le monde, cela n’aide pas à la réinstallation dans la mère patrie. Alors que la pensée mondialiste sans racines s’affiche partout avec le globish qui l’accompagne, Marianne est fauchée et devient bien suspicieuse et pinailleuse avec ses propres enfants… Pourtant je n’ai jamais prôné la hiérarchisation des cas ou un traitement différent en fonction de la nationalité ou de la situation personnelle. Je constate juste que l’administration française devient de plus en plus dysfonctionnelle et qu’il est difficilement « légitime » de faire valoir ses droits à son retour.
Cette impression de me sentir de plus en plus distant de ma culture d’origine, je l’ai de nombreuses fois évoquée sur ce blog. Mais j’en fais maintenant l’expérimentation sur le terrain, ce qui me donne le sentiment de vivre dans un léger flottement, en tout cas d’une manière plus perceptible qu’au Mexique. Et je n’aborderai pas le sujet familial… Même si je m’attendais à n’être plus tout à fait en phase avec la France, c’est tout de même quelque chose d’étrange ! Et puis, malgré le décorum républicain, les témoignages de la brillante et fertile culture française tels que les agencements urbains de l’époque impériale, les églises et places construites durant l’Ancien Régime ou les réalisations architecturales plus contemporaines et réussies comme le MUCEM, toujours là pour enchanter le regard, l’organisation sociale, les relations humaines, bien plus mouvants et malléables que les pierres, l’asphalte et le béton, sont dans une période de chamboulement. Beaucoup en perdent leurs repères : le réel et l’imaginaire, le vrai et le faux, le stable et l’instable font une ronde incessante qui donne le vertige. De l’ère du fluide nous passons à celle du volatile !
« Mitterrand devait faire disparaître le chômage, Chirac, la fracture sociale, Sarkozy, les problèmes de pouvoir d’achat, et Hollande, ses ennemis de la finance, et tous ont échoué. Mais Macron est en train de régler tout ces problèmes en une fois : il fait disparaître la France. » Avner Solal sur X
Malgré tout, je reste convaincu que ce séjour prolongé en France (à voir si je m’y enracinerai réellement) a sa justification. Marseille, dont un ami m’avait dit que c’était le Mexique de la France, est une ville généreusement ensoleillée, ouverte sur les horizons maritimes, alpins et provençaux, balayée parfois par le mistral glacial. C’est un port méditerranéen de premier plan avec des poches de pauvreté extrême, un point de passage avec un cœur qui bat encore, des formes de solidarité vivantes et une tradition d’accueil tenace.
Pour terminer en images, retournons au zoo du parc Longchamp. Les anciens pavillons exotiques et les cages désertées de leurs animaux (heureusement pour eux, quelle torture dans si peu d’espace) valent le coup d’œil, au milieu d’une végétation enflammée, qui offre aux frimas du mois de novembre ses derniers éclats de rouge, d’ocre et d’or.
Florent Hugoniot
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SOURCES
https://www.francebleu.fr/emissions/au-nom-des-lieux/107-1/au-nom-des-lieux-70

















