Du côté de Montécheroux

Vue panoramique entrecoupée d’arbres composée de plusieurs photos assemblées et retouchées par Windows live photo galery – HAF 932 – 8 mai 2010 – Domaine public

La photographie ci-dessous marque le début de quelque chose d’important pour moi. Elle immortalise une étape de mon développement personnel, une journée de renaissance qui annonce des floraisons à venir. Cette photo tirée sur papier satiné dans les années 80, surexposée et ici mal reproduite a su pourtant capturer et conserver un moment privilégié où la matière devient translucide et la lumière palpable. Elle fait partie d’une courte série de clichés de ma sortie de l’enfance que je publie à la suite dans cet article. J’aime comment le paysage vibre tout autour des corps allégés, j‘aime ce qu’exprime la gestuelle des personnes présentes cette après-midi de fin de printemps à Montécheroux, dans le Haut-Doubs.

C’est moi en premier plan, marchant sur un chemin dans les environs du village, accompagné d’une partie de ma famille. On peut repérer le début de la marche aux deux voitures garées en contrebas, elle ne faisait que commencer. J’ai presque 14 ans et mon cœur d’ouvre enfin en France, après la tragédie de la mort de ma mère et le retour définitif de Mauritanie deux ans plus tôt. J’entre à peine dans l’adolescence. Tout cela plus les énergies printanières me fait retrouver mon vrai sourire solaire. Même si je pose un peu et je détourne le regard, je suis heureux et je veux bien donner ce moment de délivrance à l’objectif. D’autant plus que j’ai fait moi-même les autres photos. C’était peut-être la première fois que je me permettais et que je prenais la responsabilité de faire des photos de famille. Je me plie donc aussi aux règles de bienséances pour faire partie de la série d’images à placer plus tard dans un album. Qui m’a saisi des mains l’appareil, en me disant « Y a pas de raison que toi aussi on te photographie puisque tu nous a tous pris » ? Ma tante Joce peut-être…

Les hommes : de gauche à droite, Jean Stein, Pierre Monamy et Charles Thiebaud

D’ailleurs aux regards appuyés, surpris ou interrogateurs des participants à cette grande marche digestive du dimanche, on comprend qu’il se passe quelque chose dans mes mouvements intimes. Cela se voit que je prends en main ce moment. J’ai enfin décidé d’utiliser l’appareil photo que je venais d’acheter à un ami de mon frère, un reflex Minolta qui me servira de nombreuses années, notamment pendant mes études à Paris, plus tard au Congo et encore à Montpellier jusqu’au début des années 2000. Et puis je suis le seul enfant à avoir accompagné la petite troupe d’adultes. Mon frère Renaud et mes cousins Sylvain, Jessie et Julien sont certainement en train de jouer au foot dans le village avec Christian, le mari de Joce, et mon père. Mes arrière-grands-parents Alice et César Hugoniot sont restés chez eux, trop âgés pour cette marche.

Le nouveau millénaire est encore loin, nous sommes en plein dans la fin du XXe siècle, et l’on peut reconnaître sur les quatre photos – il en a d’autres de cette journée, mais je ne les ai pas sélectionnées pour leur peu d’intérêt ici – mes deux grands-parents maternels Pierre et Renée Monamy, ma marraine Yvonne et son mari Jean Stein, Jocelyne Rochet, sœur de mon père (absent lui de ces photos), et puis la Jeannette, cousine de mon père et son mari Charles Thiebaud, qui nous avaient tous invités à manger chez eux à Montécheroux.

Les femmes : de gauche à droite Yvonne Stein, Jocelyne Rochet, Jeannette Gueutal et Renée Monamy

Aujourd’hui, de ce souvenir désormais lointain, restent mon père Alain Hugoniot, Jocelyne, ses enfants et mon frère qui eux-même ont les leurs, Yvonne et Jean auxquels j’ai dédié le texte Sur la route de Vandoncourt. Celui-ci en est le miroir. Le premier se passe dans le village de ma famille maternelle, Seloncourt ; le second dans le village de ma famille paternelle, Montécheroux, d’où vient principalement mon nom Hugoniot.

Lorsque je regarde maintenant des albums de famille, ce type d’espace-temps me semble à des années lumières. Les repas familiaux étaient nombreux en participants, généreux, les occasions diverses. Il est vrai qu’inviter une vingtaine de personnes chez soi ne ruinait pas encore un budget mensuel. Et puis il  avait toujours des « retours d’invitation » qui entraînaient une chaîne ininterrompue de retrouvailles familiales tout au long de l’année. On ne craignait pas d’alourdir sa facture carbone en mangeant abondamment ou en faisant de kilomètres en voiture à essence pour se retrouver ; celles au diesel-qui-pue étaient encore rares, les voitures électriques un truc de science-fiction. Depuis ces années 80 douces-amères, nous avons progressivement été dessaisis de la politique au sens de « vie de la cité », nous avons été dépossédés de tant de nos libertés, partant de nos espaces les plus intimes à la vision d’un futur collectif. La vie rurale s’est anémiée, la Smart City productive et efficace traversée par la 5G est devenue la règle universelle tandis que la quête d’oasis de vie plus saines se fait davantage pressante. On nous a volé beaucoup de notre présence au monde et de notre disponibilité, et de fait des moments très précieux, de nouvelles fournées de madeleines de Proust. Le voyage dans le temps s’est figé au présent.

Pourquoi cette modification des modalités intergénérationnelles, pourquoi le manque de disponibilité pour ces repas sans fin, ces moments qui s’immobilisent, pourquoi cette accélération des choses ? Pour aller vers où, quels éblouissements, quelles révélations, quels néants, quels abîmes, quels bouleversements, quels lendemains et quels espoirs ? Je n’écris pas ces lignes par regret d’une époque révolue, même si la nostalgie y pointe le bout de son nez, mais pour constater qu’alors, on prenait le temps de le perdre agréablement et que mes proches parents, familiers, amis, les adultes de cette génération n’avaient pas peur d’être, tout simplement, et encore moins de s’exprimer assez librement sans craindre la stigmatisation ou en se sentant forcé de pratiquer l’autocensure sur tant de sujets de société. Ni les photos, ni la volonté de s’imprimer dans la durée ou de se voir publié, de se mettre soi-même en scène sur les réseaux sociaux ne dictaient les attitudes et les paroles. Les infos officielles devenues aujourd’hui de la pure propagande et l’actualité people n’avaient pas encore réduit au silence les dimanches en famille. On n’en avait que des échos qui nourrissaient parfois des discussions pendant les repas ou au digestif ; ce qui laissait encore la place à la vie pour s’écouler à son rythme, selon la cadence de chacun.

Je note encore pour la première photo que j’avais déboutonné ma chemise, car ma nature appartenait à la Nature toute entière et cela me libérait de tous les poids du passé et des doutes de l’avenir. Je me représentais comme un bourgeon prêt à éclore, un petit faune. Les immensités vallonnées, les forêts sombres des environs de Montécheroux, l’air doux parfumé aux odeurs du pollen des fleurs champêtres, tout cela me donnait des ailes. Tout était à nouveau possible, hier et demain me poussaient, me tiraient gentiment dans la montée du chemin. Et je savais que le vent et les nuages me porteraient loin, bien loin du goût de la mort sur mes lèvres et des cendres qui recouvraient les dunes du Sahara. Le soleil éclairerait toujours la beauté de ce monde, des plages de Mauritanie aux volcans du Mexique. N’ayant pas moi-même de descendance, je dois aussi accepter que ce cycle naturel des générations et un certaine chaleur familiale me sont désormais moins accessibles. Pour autant, les forêts du Haut-Doubs, les vagues de l’Atlantique comme du Pacifique, saisies par les derniers rayons du couchant conservent également cette même éternité songeuse et dorée.

Florent Hugoniot, Marseille, le 25 décembre 2023

Légende photos – Photo 1 : Renaud et moi entourant notre arrière-grand-mère paternelle Alice, dite « la mémère » – Photo 2 : le temple de Montécheroux – Photo 3 : dans le verger de mes grands-parents maternels à Seloncourt, de gauche à droite au premier plan César Hugoniot, Renaud, moi-même, Alice Hugoniot ; au second plan Madame Imel, Pierre et Renée Monamy, ma mère, Ingeborg Josel-Monamy et Monsieur Imel

À mes parents

Alain et Marianne Hugoniot (née Monamy) le jour de leur mariage, le … 1968

Brève histoire de Montécheroux

Origine du nom « Hugoniot ».

Croix protestante à l’étoile de Malte, aux quatre fleurs de lys et à la colombre représentant l’Esprit Saint

Ce nom de famille, courant dans le Doubs, est dérivé du qualificatif huguenot (surnom, péjoratif à l’origine, donné par les catholiques aux protestants calvinistes, en France, du xvie au xviiie siècle). D’autres variantes existent tel que « Hugonnet ». On retrouve des familles Hugoniot dans le monde entier, jusqu’aux USA et au Mexique, du fait de la persécution dont ont été victimes les protestants, surtout après la révocation de l’Édit de Nantes. Celle-ci a été actée par Louis XIV qui signa l’Édit de Fontainebleau le 18 octobre 1685. En annulant ainsi l’édit par lequel Henri IV, en 1598, avait octroyé une certaine liberté de culte aux protestants du royaume suite aux guerres de religion qui ont meurtrit tout le 16e siècle, Louis XIV a interdit le culte protestant en France pendant un siècle. Le 7 novembre 1787, Louis XVI rend aux protestants une existence légale par l’Édit de Versailles qui institue pour les non-catholiques un état civil laïc (tenu par des juges royaux), ce qui permet aux protestants de faire lever la mention infamante d’enfant illégitime jusque-là accolée à toutes les naissances protestantes dans les registres paroissiaux. Mais l’édit déçoit malgré tout une grande partie des protestants français, puisque ce dernier ne leur reconnaît toujours pas la liberté de culte. Le 26 août 1789, l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen promulgue la liberté de conscience et de culte et établit l’égalité entre tous les citoyens quelle que soit leur conviction religieuse. Le conventionnel protestant Rabaut-Saint-Étienne, fils d’un pasteur du Désert, a particulièrement et éloquemment plaidé pour obtenir un article 10 sans aucune ambiguïté : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses.

Pourquoi les protestants sont appelés huguenots ?

L’Encyclopédie catholique propose cette étymologie : « À Tours, le roi Huguet était un terme générique pour désigner les fantômes qui viennent hanter les vivants, au lieu de faire leur temps au purgatoire. Comme les protestants sortaient la nuit, on commença à les appeler huguenots. Puis l’expression se propagea ».

Recensement dans les départements

  • Doubs (25) (5 421)
  • Territoire de Belfort (90) (112)
  • Haute-Saône (70) (21)
  • Paris (75) (18)
  • Pyrénées-Orientales (66) (11)

Recensement dans les communes

  • Montécheroux (3 378)
  • Hérimoncourt (888)
  • Pierrefontaine-lès-Blamont (301)
  • Abbévillers (176)
  • Glay (128)

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SOURCES

https://fr.wikipedia.org/wiki/Mont%C3%A9cheroux

https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Temple_de_Mont%C3%A9cheroux

http://www.montecheroux.fr/

https://www.filae.com/nom-de-famille/HUGONIOT.html

http://clochers.free.fr/base/montecheroux.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Protestantisme_en_France

https://www.telerama.fr/television/nous-vendons-du-temps-de-cerveau-humain-disponible-quand-patrick-le-lay-tentait-de-se-defendre,n6618251.php

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1 Response to Du côté de Montécheroux

  1. Je n’ai pas trouvé d’enquête au niveau mondial sur la dispersion du nom Hugoniot depuis la Franche-Comté. Cependant, en tapant « Hugoniot, Canada » est sorti mon nom ! Car j’ai participé avec un texte intitulé « La rébellion des images » à l’édition d’une monographie sur Speedy Graphito, désormais traduite en anglais et en vente en ligne, sous le titre The World of Speedy Graphito (édition originale en français « Serial Painter » par Somogy éditions d’Art) :

    https://www.leslibraires.ca/auteur/florent-hugoniot-285762

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