La maison, toit du moi et du nous

El Tule, Oaxaca 2023

J’aime traiter de thèmes qui me sont sensibles et, selon les besoins de l’écriture, élargir ma recherche en m’appuyant sur des documents menant ma réflexion plus loin. C’est une manière de prendre du recul par rapport à des problématiques personnelles dans un mouvement allant du centre à la périphérie. Également dans le but de ne pas tourner constamment autour de mon nombril, le travers étant de faire de son cas personnel une généralité. Partant de ma difficulté existentielle à occuper une habitation durablement, à trouver un « chez moi », le pérenniser ou le défendre, je prolongerai ici avec des documents traitant de la dualité enracinement/déplacement, en relation avec le thème de l’appropriation, de la colonisation et des exemples emblématiques de l’actualité. Cela afin de susciter une prise de conscience sur les tensions qui s’accumulent pour avoir un lieu de vie stable, (re)construire une éthique de l’existence et la maison symbolique. Ce texte est publié en deux parties

J’ai ressenti l’inconfort du néo-nomadisme d’une manière plus ou moins pressante tout au long de mon périple mexicain. Même si le fait de ne pas pouvoir m’enraciner durablement pour évoluer selon le standard de vie occidental – devenir propriétaire de son lieu d’habitation, acheter et remplacer régulièrement une voiture personnelle, acquérir des biens de valeur, avoir une descendance et lui assurer un socle de stabilité – ne m’a pas empêché de croitre à mon niveau de manière satisfaisante et de partager les fruits de cette croissance. Mais, de retour dans mon pays natal, je constate la difficulté à se faire une place dans le contexte inflationniste et d’une crise de l’emploi, mais aussi du fait du désordre intime et social que la crise covidiste a contribué à étendre.

Du fait du « darwinisme socioculturel », certains, certaines sont plus enclins à pouvoir choisir leur lieu de résidence, sinon à rester durablement dans un espace précis et à vivre selon un rythme relativement naturel et ritualisé. Tandis que d’autres doivent accepter la flexibilité et la mobilité dans des zones de plus en plus vastes pour satisfaire au marché de l’emploi. De plus, la pression immobilière, l’appropriation des espaces sous des formes douces comme violentes font que la crainte de ne jamais disposer d’un « chez-soi » angoisse de plus en plus de gens ; jusqu’aux personnes âgées qui savent qu’elles seront possiblement traitées comme de simples leviers de rentabilité économique dans des EPAHD ou autres maisons pour personnes âgées et qui, souvent du fait de services à domicile couteux et de désert médical, craignent de devoir définitivement quitter leur foyer. La stabilité géographique est en train de devenir un privilège, alors que jusqu’à récemment, c’est le fait de voyager et d’être volontairement mobile qui l’était.

Oaxaca, printemps 2019

D’autre part, le fait d’avoir vécu plus de dix ans au Mexique et d’être témoin des ravages de la colonisation et de ses effets sur le long terme, de conflits toujours vivaces pour conserver ou s’approprier des territoires qui possèdent des richesses naturelles ou des opportunités de développements touristiques m’a amené à ce même constat. Posséder et conserver (ou pas) un terrain, une maison me semble un facteur éloquent dans notre époque de bouleversements anthropologiques. Avec la possibilité de travailler à distance pour beaucoup d’emplois de services, de finance, de commerce et d’éducation, de nouvelles vagues d’arrivants fortunés déstabilisent les économies locales. Des propriétaires voyant le prix des terrains constructibles s’envoler finissent par céder aux sirènes du confort postmoderne et à vendre leur bien foncier pour un intérêt immédiat mais probablement pas sur le long terme, participant ainsi au déracinement des familles natives.

Invasive modernité

Nous vivons de nouvelles formes d’invasion et de prise de possession, en plus de celles évoquées : colonisation des esprits, de l’imaginaire, des rêves et injonctions autoritaires au niveau même des corps (se faire vacciner, se faire implanter une puce), donc de l’ÊTRE dans son ensemble. Images de succès et modèles de vie multipliés à l’infini pour atteindre un maximum de cœurs et de cibles ; starisation de la sphère intime, trivialité partagée sur les réseaux sociaux et illusion de succès pourtant éphémère ; modes de vie et de pensée normalisées, obligations de moins en moins feutrées de se situer du bon côté de la barrière, dans le « camp du bien » et contre le « camp du mal » afin de feindre l’individu civilisé ; stigmatisation de ceux et celles qui ne souhaitent pas entrer dans les cases prévues la sélection socio-économique, morale, religieuse, philosophique ; limitation de nos existences à des aspects matériels, rejet des parcours atypiques qui produisent d’autres formes de richesses et de connaissances ; carcans invisibles ou virtuels avec la désintégration d’anciennes valeurs et solidarités ; dématérialisation et déshumanisation des services publics et de santé…

Le transfert forcé sur des plateformes informatiques pour la moindre démarche administrative, demande d’information ou de rendez-vous peut devenir rapidement un casse-tête. Au point qu’on parle d’État-plateforme ! Citons entre autres les banques et assurances, Impot.gouv, Parcoursup, France Travail, la CAF, Ameli (avec « amelibot, le petit robot de l’Assurance Maladie pour vous aider dans vos recherches ! ») et Doctolib.

Alors qu’on ne cesse en contrepoint de chanter et d’idéaliser le « vivre ensemble », dématérialisaion, communautarisme, ségrégation socio-économique et leurs effets tels que l’indifférence ou le repli sur soi deviennent une réalité criante dans une société à la fois en perte de repères concrets et de mémoire, deux éléments fondamentaux à notre construction et à notre fonctionnement. Cette techno-société-plateforme, déconnectée des réalités et besoins humains occulte l’importance et la richesse des relations humaines comme par exemple la curiosité, l’empathie, l’altruisme, l’écoute, l’échange désintéressé, la générosité, le désir, ces éléments en partie moteurs de l’activité artistique. Bref ce qui définit une société évoluée et civilisée.

Je me suis intéressé à ce qu’on nomme le wétiko dans les traditions amérindiennes situées au nord-est du continent chez les Iroquois et Algonquins, entre le Canada et les USA. C’est Jack D. Forbes qui a le premier avancé une thèse selon laquelle il explique les fondements psychiques du désordre des temps modernes. On pourrait ajouter la fuite en avant eschatologique de l’époque contemporaine avec toutes ses formes de dépossession. Voici quelques extraits éclairant d’un article de Paul Levy sur le site Sott.net, publié initialement en anglais sur Reality Sandwich :

extraits de l’article « Le virus du wétiko – La plus terrible des pandémies connues de l’humanité » par Paul Levy

On y adhère ou pas, mais cette approche sous l’aspect psychique et viral d’un mode de vie qui comprend également la participation à l’économie globalisée, dérégulée, prédatrice, soucieuse de rentabilité et beaucoup moins d’écologie, de bon sens naturel ou de la réalité humaine me semble pertinente. Les deux articles mis en lien dans SOURCES et correspondant aux extraits sur le wétiko sont parfois répétitifs – (pas autant que les miens j’espère !) mais les enjeux néolibéraux et leurs effets délétères méritent de chercher les raisons, et d’envisager des solutions – ou en termes médicaux, faire un diagnostic et proposer une thérapie – afin de ne pas subir ce système deshumanisant pendant encore plusieurs générations.

La gestion des flux humains

Circuit intégré tel un plan de techno-ville

L’urbanisme nouvelle vague est une incitation à vivre en vase clos dans un espace délimité et surveillé tel que promu avec les « villes 30 minutes », les « I-cités » et autres villes-mirages. Un tropisme technologique que ne compensent pas suffisamment les jardins partagés et autres trouvailles bienveillantes, afin de pallier aux solitudes contemporaines. Les expérimentation sociales sont limitées et de plus en plus encadrées, ou ne peuvent s’implanter que dans les marges, des ilots de calme ou des zones périphériques, à l’écart des flux de centres urbains voués exclusivement aux affaires et au commerce, faisant de la campagne, des banlieues, les derniers territoire de liberté. Pourtant, ces pépinières d’expériences participatives et d’économie collaborative produisent les jeunes pousses pour des lendemains plus chantants.

En parallèle, le risque d’expulsion de leur logis pour les pauvres et ceux aux revenus modestes (le nouveau lumpenprolétariat) est un facteur de « déclassement social ». C’est le cas de personnes qui ont un travail sous-payé ne leur permettant pas d’accéder au marché du logement locatif et qui dorment dans leur voiture, dernier refuge privé quand elles en possèdent encore une. D’autres encore moins chanceuses finissent oubliées à la rue, sous les ponts, dans une société du spectacle qui ne veut entendre parler que de réussites brillantes, de success stories et de « vie active ». La peur du nomadisme populaire du fait de migrations économiques, de l’état du marché de l’emploi qui oblige à aller trouver toujours plus loin un emploi est un facteur de rejet supplémentaire des défavorisés, de même que les grandes migrations dites climatiques (souvent motivée par un conflit local, des intérêts de clans et des conflits politico-militaires).

La nouvelle Loi immigration en France restreint l’accès au territoire pour tous les étrangers, même les étudiants. Inversement l’administration rend de plus en plus délicate le retour des Français ayant longtemps vécu à l’étranger sans un statut privilégié ; ceux sous contrats locaux assorti de non-droits à la Sécu, au chômage et à la retraite, par exemple lorsqu’on travaille en tant que prof dans des Alliances françaises. Contribuer au « rayonnement de la France » à moindre frais pour l’État est un cas que je connais bien, même si chacun est à même de trouver dans son itinéraire à l’étranger des compensations sans réelle valeur marchande, de créer des conditions de vie enrichissantes d’un point de vue de son expérience, de la découverte de l’autre et de sa culture, de créer des amitiés durables ou même de rencontrer l’amour !

Tandis que la figure du businessman, de l’agent commercial qui se conforme aux nouvelles formes d’exploitation softs ou brutales, l’expatriation pour raisons professionnelles offrant avantages et rémunération conséquente restent vécues comme une qualité, une preuve de succès et même de victoire dans les catégories nanties d’un fort capital symbolique et encore à l’abri du besoin. Une autre forme de darwinisme social érigé en mode de vie par cette seconde catégorie, où la loi du mieux renseigné, du plus malin et du plus fort prédomine. Voyager pour des raisons d’aventure personnelles, artistiques ou d’interculturalité redevient un luxe, Dans ces cas-là, les visas pour s’établir durablement ailleurs sont de plus en plus difficile à obtenir, d’autan plus que le coût de la vie s’envole dans des pays considérés il y a peu comme accessibles, du fait de l’économie globalisée et de la mise en concurrence de tout ce qui peut rapporter.

Montpellier 2024

À plus grande échelle, la pensée néocoloniale s’affirme, par exemple dans le but de s’approprier des terres habitées, comme au temps de la conquête de l’Ouest, selon une norme à géométrie très variable du droit international (celui sous l’égide des puissantes nations occidentales). En 2024, deux zones de tension internationale maximale illustrent cette idée d’une ruée sur la Terre par de nouveaux barbares : en Ukraine, un tiers des terres arables, les fameuses terres noires, sont devenues la propriété de fonds d’investissements étasuniens ; en Palestine où la population native est acculée à l‘exil dans le désert du Sinaï, sinon à la soumission et à l’effacement pour qu’avance le projet d’un Grand Israël aux frontières floutées et en expansion continue. À un niveau légèrement moins guerrier, la pression sur les zones encore inhabitées ou sur les populations locales pour une exploitation démesurée des richesses naturelles se constate sur toute la planète, de l’Amazonie au Mexique, en passant par le Congo et la région des Grands Lacs (dont découlent les génocides au Rwanda), jusqu’aux terres australes. Plus courant en France et ailleurs dans le monde occidental, on assiste à une augmentation du prix du foncier, celui des locations et à leur raréfaction du fait du développement de la pratique du AirBNB, et au final à la constitution d’une dangereuse bulle immobilière pour l’économie toute entière.

Cette volonté de posséder mille ou cent-mille fois plus que les autres n’est pas récente, mais malgré les apparences d’une lutte des classes dépassionnée, elle persiste toujours aujourd’hui. Les prédateurs peuvent se donner des airs de philanthropes et d’âmes sensibles, ils n’en restent pas moins des suprémacistes, ce qui permet les bénéfices indécents des grands groupes en bourse, reversé à des dirigeants et actionnaires qui n’ont absolument rien à faire des conséquences sur leurs prochains du fonctionnement ultralibéral qu’il vénèrent. En fait, la figure de l’autre n’existe pas chez eux, seuls leurs semblables comptent à leurs yeux. Une autre forme de stigmatisation et de racisme chez des individus de toute provenance ethnique, culturelle et religieuse mais versée à majorité dans un mode de pensée et de de vie occidental. Ceux-ci se croient privilégiés, tels des nouveaux aristos passablement dérangés du ciboulot. Les manipulateurs pervers et monstres narcissiques évoluent en maîtres dans ces milieux.

Zipolite, Mexique 2022

Concernant la démesure à vouloir posséder, le fait de s’approprier toute forme du matériel et disposer  entièrement des ressources naturelles pour son standing de vie (quitte à en gaspiller une bonne partie et à ne jamais maitriser un équilibre viable entre les besoins humains et ceux du reste des espèces vivantes sur cette planète), on retrouve la primauté donnée à l’AVOIR sur l’ÊTRE, déjà dénoncée par des philosophes de l’Antiquité tel Diogène. Expulser et s’approprier, c’est aussi l’histoire de la Reconquista en Espagne : d’abord l’expulsion des communautés juives, puis des Arabes avec la fin du califat de Grenade par décret royal et très catholique. Une fois ces deux objectifs achevés, la conquête des Amériques a pu commencer à partir de 1492, initiée par Christophe Colomb, un agent de la Couronne espagnole de Castille et des banques du Piémont au nord de l’Italie.

Florent Hugoniot, avril 2024

Suite sur La maison flottante et la ville fluide

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SOURCES

https://fr.sott.net/article/35041-Le-virus-du-wetiko-La-plus-terrible-des-pandemies-connue-de-l-humanite

https://realitysandwich.com/greatest_epidemic

https://www.monde-diplomatique.fr/2019/07/MONTJOYE/60042

https://www.amnesty.be/infos/blogs/blog-paroles-chercheurs-defenseurs-victimes/villes-intelligentes-reve-pourrait-virer-cauchemar

https://blogs.mediapart.fr/hendrik-davi/blog/230224/urgence-logement

https://www.monde-diplomatique.fr/2017/04/LEYMARIE/57365

https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2014-1-page-82.htm

Entretien avec Louis Fouché – Mettre en mots et mieux comprendre le monde

Manipulation & perversité : comment les repérer et les mettre en échec ?!

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3 commentaires pour La maison, toit du moi et du nous

  1. Contre l’empire de la vidéosurveillance algorithmique, La Quadrature contre-attaque

    L’« expérimentation » de la vidéosurveillance algorithmique dans le cadre fixé par la loi Jeux Olympiques n’en est pas une : elle n’est qu’une manœuvre hypocrite destinée à légaliser par petites touches une infrastructure policière déjà massivement déployée en France. Pour contrer cette stratégie, La Quadrature du Net lance aujourd’hui une campagne visant à nourrir l’opposition populaire à la VSA.

    L’« expérimentation » de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) dans le cadre fixé par la loi « Jeux Olympiques » adoptée l’an dernier n’en est pas une : elle n’est qu’une manœuvre hypocrite destinée à légaliser par petites touches une infrastructure policière déjà massivement déployée en France. (…)

    https://blogs.mediapart.fr/la-quadrature-du-net/blog/020524/contre-l-empire-de-la-videosurveillance-algorithmique-la-quadrature-contre-attaque

  2. Le site de ré-information Réseau International qui est une mine d’informations, propose une compilation d’articles souvent publiés ailleurs. En voici trois :

    « Le musicien Gilad Atzmon nous donne son analyse de la situation en Palestine occupée. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’est pas optimiste puisqu’il prévoit la fuite en masse des juifs ashkénazes vers l’Europe, fuite qui aurait commencé.

    Atzmon sait sans doute de quoi il parle puisque lui-même a quitté définitivement l’entité il y a a un certain nombre d’années tout en renonçant au judaïsme.

    Il est aujourd’hui citoyen britannique et, en marge de son travail artistique, il dénonce de manière radicale le sionisme. Il publie sur X et Facebook. »

    https://reseauinternational.net/vers-la-fin-du-reve-sioniste/

    « L’ignorance explique les maux subis pendant l’urgence sanitaire. Mais il est possible de réagir. Entretien avec Me David Guyon.

    David Guyon, avocat au barreau de Montpellier, s’est activement engagé dans la lutte contre les mesures liberticides prises pendant la crise sanitaire. Portant en étendard son slogan «La défense de vos libertés fondamentales», il défend notamment les soignants suspendus afin de leur obtenir une juste indemnisation. Essentiel News s’est entretenu avec lui. »     par Essentiel News

    https://reseauinternational.net/ne-renoncons-jamais-a-nous-battre-pour-nos-libertes/

    « On a désormais des gagnants en trompe l’œil. Si Casino continue de mourir à vive allure, Carrefour et Auchan entament leur marche funèbre. En gros, ceux qui se portent bien sont ceux qui sont en train de dévorer les autres… Mais globalement, on assiste à la mort progressive du système. »    source : La Chute

    https://reseauinternational.net/distribution-la-crise-se-confirme/

  3. INVESTIG’ACTION   Exterminez toutes les brutes : Gaza 2009
    https://investigaction.net/exterminez-toutes-les-brutes-gaza/
    NOAM CHOMSKY – Source : http://www.legrandsoir.info

    En 1947, le plan de partage de la Palestine accorde 56 % du territoire aux Juifs, alors qu’ils ne représentent que 30 % de la population. Mais cet avantage ne suffit pas à leurs dirigeants. Dès la fin de la première guerre israélo-arabe (1948/49) les Juifs possèderont 78% du territoire palestinien. Et manifestement, ça ne suffit toujours pas.

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