Mot à mot, Facebook se traduirait en français par « livre des visages », ou encore trombinoscope, bon vieux souvenir de nos années lycéennes et étudiantes. C’est sûrement le Réseau Social (RS) qui, par son ampleur – plus d’un milliard d’utilisateurs actifs dans le monde, 25 millions en France en 2012 – illustre le mieux notre désir de construction d’un moi social idéalisé. Gigantesque tuyauterie virtuelle, il est devenu LA chambre d’écho de tant d’individualités disséminées, atomisées déjà par les révolutions industrielles successives, avec la postmodernité et son envahissement des espaces publics comme privés par la communication et la publicité. Mais il faut désormais compter avec la nouvelle révolution numérique, initiée il y a 60 ans mais dont le large public s’est emparé il y a juste 30 ans ! La dimension anthropologique de cette révolution serait à mettre au niveau de l’invention de l’écriture, imaginez les enjeux !!
Facebook est partout… et nulle part !
Né sur la Toile, Facebook s’y est développé d’une manière exponentielle, et à ce jour, aucun « objet Facebook » n’est venu atterrir dans notre réalité concrète. Il reste donc une marque et un service. Pour autant, ce réseau social n’est pas limité, dans ses conséquences. au monde du virtuel. Sa récente cotation en bourse se fonde sur beaucoup d’irrationnel, de projections financières et de perspectives publicitaires très aléatoires.
Pourtant Facebook est plébiscité et présent presque dans le monde entier (même en Chine malgré la censure pratiquée sur le Net, et dans d’autres dictatures plus ou moins soft), c’est devenu un club gigantesque et ouvert. Mais pour l’inscrit(e), l’utilisation du réseau va très généralement se limiter à un cadre beaucoup plus familier, quelques dizaines, parfois centaines d’ « amis » qu’il ou elle, aura réussi à rassembler. Ou plutôt autour de son double, le fameux « profil Facebook » dont le premier choix d’une photographie emblématique n’est pas la moindre affaire…
De profil et de Face, haut les masques !
Aimable, intime ou distancié, ironique ou caricatural, c’est un reflet plus ou moins fidèle de notre personne. En général, chacun essaie de présenter une image « authentique » sur le site, mais qui n’est en fait qu’un écart par rapport à notre propre construction sociale et publique, déjà une simplification, une adaptation de notre être propre. Visage sympathique ou masque déroutant, le profil Facebook est de toute manière une construction virtuelle, un collage d’éléments disparates en fonction de ses propres références sociales, de ses opinions socioculturelles et politiques, de ses goûts. C’est un moyen ludique de valoriser son propre ego, ce qui pour les narcissiques peut prendre des proportions inégalées ! C’est donc une recréation et une récréation de soi.
A la maison ou au travail, dans la rue ou en déplacement, le but est de rester en permanence connecté à son réseau « d’amis » et de connaissances, fut-il très lointain. On s’y retrouve, et on s’y mélange, mais à distance, proprement, chacun de son côté. Ce qui peut entraîner de la satisfaction comme de la frustration, et exacerber les problèmes liés à la réception d’un message écrit en différé (lire le mail source de malentendu). Et puis selon le ton, la familiarité ou la sécheresse du propos, certains quiproquos et mésententes adviennent. On peut éprouver aussi e l’agacement aussi face à l’omniprésence de certains amis, la futilité d’autres, et découvrir la face cachée et pas toujours avantageuse de certaines connaissances…
Manèges sociaux : un petit tour sur FB ?
En tout cas Facebook nous donne cette impression de n’être jamais vraiment seul, un remède placebo au face à face muet avec son écran d’ordinateur. En théorie il rend plus « sociable » puisque c’est son objectif affiché. Mais tout en créant une accoutumance pour l’utilisateur, cette offre de lien virtuel et permanent le coupe temporairement de son environnement proche puisqu’il le prend en otage à différents moments de la journée, ou pendant de longues heures solitaires passées chez soi – allant parfois jusqu’à un déni de la réalité extérieure. Il y avait déjà les téléphones portables qui morcelaient les rendez-vous entre amis, maintenant il faut aussi compter avec Facebook (et Twitter) !! À l’inverse, certains y voient un facteur de socialisation. D’ailleurs ceux qui ont déjà une vie sociale intense dans la réalité vraie sont souvent très présents sur le site, publiant des post et des liens régulièrement, avertissant sa communauté des futurs événements. L’utilisation dépend aussi du caractère de chacun.
Comme dans un journal intime en open source, on y poste ses intérêts culturels, ses events favoris et ses distractions avec photos et vidéos à l’appui, ses engagements, ses créations artistiques et ses coups de gueule. On y imprime également en creux ses pulsions narcissiques, son désir d’exister quelque part au delà du champ médiatique et de la dépersonnalisation due à la culture de masse. On parlera ici du concept d’extimité, terme rendu célèbre par le psychanaliste-dandy Jacques Lacan :
« Keep in Touch » avec tes amis grâce aux touches de ton clavier et de ton smartphone, viens glisser sur l’écran plat pour t’envoler vers tant d’ailleurs…
On se connecte également à Facebook comme on s’embarque dans un manège, pour se dépayser avec une petite aventure intrusive dans la vie des autres…Le but premier étant à la fois de se savoir en théorie en contact avec son réseau, d’être rassuré quand à ses repères sociaux, mais aussi en pratique d’avoir la possibilité de se connecter à tout moment sur le flux continu d’informations, personnelles ou non, qui sont publiées sur la page d’accueil. On peut également, comme sur le site Copainsdavantretrouver des connaissances perdues de vue, ou encore se faire plein d’amis virtuels qu’on ne croisera jamais ! Facebook est donc avant tout un moyen convivial et ludique d’échanges, encore facilités avec l’apparition du Web.2. Dans une société ou les liens réel se sont largement distendus, on s’y sent appartenir à une nouvelle tribu, une famille d’amis supposés bienveillants. De l’ami intime à l’inconnu, en passant par les relations sociales et professionnelles, tout le monde y est donc condamné à une attitude positive (dérivé du Think Positive anglo-saxon), et l’interface est organisée de telle manière que chacun nourrisse les bons sentiments à l’égard des autres, au pire « ignore » les remarques désobligeantes…
Dans ce mélange des genres, on peut cependant zapper certains amis un peu lourds ou encombrants, mais en toute discrétion, dans le noir et en coulisse, comme on exécuterait un meurtre virtuel sans aucun rituel…
Veille et voyeurisme : dans l’œil du numérique
On a aussi cette possibilité de s’inscrire et naviguer sur Facebook en restant muet, se vêtir de transparence, et observer le spectacle que les autres aiment à donner d’eux-même, devenir un voyeur et y faire de la « veille informatique » pour se distraire. On peut aussi visualiser qui est connecté en temps réel, la fréquence d’utilisation, etc… Ou encore se transformer en espion tels ces parents soucieux de connaître les activités et les relations de ses enfants, ou une entreprise désirant en savoir plus sur un candidat et potentiel employé. D’ailleurs il existe désormais des nettoyeurs du Net, qui vont contre rémunération supprimer de la Toile, et souvent principalement sur ce réseau submergé par son succès, des éléments pouvant nuire à l’image parfaite que chacun se doit d’afficher dans la société contemporaine normalisée et où désormais tout se sait. Sous couvert du terme « e-reputation« , il s’agit encore de sauver les apparences ! Après les Fashion Victims, voici maintenant les Facebook Addicts…
On a sinon pour les cas les plus graves, les dépités du Web.2 ou les névrosés de la surveillance, la possibilité de se désabonner, encore que la procédure soit très contraignante. Il est toujours possible de snober royalement Facebook, et de ne pas y glisser ne serai-ce qu’un regard, de vivre sans, tout simplement !
Artifices virtuels et dématérialisation
Se créer un profil Facebook rejoint le processus de « dématérialisation » de la société actuelle du tout numérique. Paradoxalement, participer de la construction du réseau permet de résister et de participer tout à la fois d’une uniformisation généralisée, de devenir acteur d’un mise en scène calibrée, selon des normes bien définies : apparence et interface identique pour tous et qu’on arrange comme on accroche quelques photos perso dans un studio meublé à l’identique et à l’infini. Ce qui compte c’est ce que chacun va afficher à sa fenêtre, sur les murs, raconter dans ses commentaires. On y publie un post comme on jette une bouteille à la mer, sans savoir qui le recevra sur une autre île, dans cet archipel numérique immense que dessine le Web.2. Paradis des individualités en construction permanente, embarquement immédiat pour l’illusion d’une liberté retrouvée… Alors qu’en fait on s’y transforme chacun en un Robinson à la recherche de multiples Vendredis !
Dématérialisation, ce mot glaçant qui sonne presque comme « désintégration » et dont sont friands tant d’analyses journalistiques et sociologiques est dorénavant omniprésent dans les documents de travail de très nombreux secteurs professionnels, brrr… Ici, le monde réel du quotidien, comme le temps et l’espace tout entier semblent se réorganiser, engloutis, digérés doucement dans un monde parallèle, un nouveau miroir aux alouettes. Tel un Narcisse géant, la société contemporaine se mire et s’abîme dans sa propre image virtuelle.
Un antidote à la solitude postmoderne ?…
Les méandres de la pensée humaine ont pourtant déjà inventé, par exemple grâce à la littérature ou au cinéma, avec l’artifice des arts et le support de l’industrie, tant d’autres infinis imaginaires, autorisant toutes les d’échappées, toutes les rêveries et tant plongées vertigineuses. Mais les réseaux sociaux du Web comme Facebook ou Twitter ont en plus révolutionné la façon dont les gens interagissent entre eux. On a l’impression que les frontières entre la réalité complexe et la fiction narrative ont été ici abolies. Il s’agit de faire entrer en osmose plusieurs univers, la construction forcément plurielle de soi avec une ouverture à l’autre, aux autres, dynamique qui peut aussi s’emballer vers une fuite hors de soi. Pour certains comportements adolescents (qui ne s’arrêtent pas toujours à l’âge adulte), les réseaux sociaux peuvent agir comme une galerie des glaces aux multiples reflets de fête foraine, images d’un nous commun, et entraîner un glissement entre les différents plans – ceux de ses désirs et de ses projections, des domaines professionnels et du loisir, de ses engagements et de ses convictions, de ses peurs et de ses angoisses aussi… Par l’entremise de la technologie numérique, toutes les facettes de notre personnalité peuvent s’entrechoquer et se contredire, virer à la caricature et s’appauvrir. Il me semble en revanche plus difficile de s’affirmer et se construire une personnalité via Facebook si au préalable on ne vit pas en bon accord avec soi-même, déjà bien assuré de la solidité de ses fondations. Car se construire une identité double, triple, multiple, qui va interagir – qu’on le veuille ou non – avec celle des autres, c’est forcément s’essayer sur un nouveau terrain, celui fascinant et mouvant de la communication virtuelle ; mais c’est aussi potentiellement hypnotisant et dangereux pour le mental.
Se dévoiler pour s’oublier : s’extimer
Exister via Facebook, c’est savoir faire évoluer et dialoguer différents avatars comme on remonterait régulièrement le mécanisme d’un automate participant à un jeu globalisé. Vivre dans un flux permanent et enivrant. Car il faut savoir se réinventer chaque jour, animer le réseau par des post réguliers pour y exister pleinement. Ainsi chacun participe volontairement et d’une manière ludique, humoristique ou romantique à l’élaboration du processus. C’est de son plein gré qu’on va constituer une documentation à son propre sujet, de ses intérêts, qu’on dessinera en creux sa personnalité bien réelle, en même temps que l’on poussera au premier plan des objets de partage, des liens pour son réseau. revenons sur ce concept de l’extimité :
Après Lacan, l’extimité, par opposition à l’intimité, est, tel qu’il a été défini par le psychiatre Serge Tisseron, le désir de rendre visibles certains aspects de soi jusque là considérés comme relevant de l’intimité. Il est constitutif de la personne humaine et nécessaire à son développement psychique – notamment à une bonne image de soi. En cela, l’extimité doit être distinguée de l’exhibitionnisme qui est pathologique et répétitif, inscrit dans un rituel morbide.
Participer de l’existence de Facebook, c’est en quelque sorte s’auto-générer et s’entraîner à dévoiler davantage son âme devant l’écran. Dans l’illusion d’une connexion permanente avec un cosmos relationnel et affectif, il tire de nous ce qu’on peut exprimer de plus intime, de plus indicible sur le terrain d’Internet ; alors que dans la rue, on ne répondrait pas à un dixième des questions ayant pour but de mieux cerner notre personnalité (par exemple pour une étude marketing) ; alors que dans l’intimité de son chez soi, on n’hésite plus à se livrer entièrement. Vers quel miroir se penche-t-on lorsqu’on se connecte au réseau, reflet mystérieux et changeant puisqu’on s’adresse à un Tout en remodelage constant et non pas à quelqu’un en particulier. C’est peut-être avant tout à soi-même qu’on s’adresse, en distillant jour après jour combien de renseignements précieux et indiscrets ? Tant d’application pour quels objectifs conscients ou inconscients, quels espoirs, quels non-dits lancés à la volée dans l’infini ouvert de l’Internet ?… A moins d’être comédien dans l’âme et de construire un mythe, un personnage entièrement dans un but de pure création par exemple. Mais Facebook, trop formaté, n’est certainement pas un espace pour le happening artistique.
Cependant, Les sentiments, les opinions peuvent s’y voiler facilement : on ne s’y donne que par tout petits bouts. Des morceaux de soi, des empreintes qui ne se joignent pas forcément bien pour former une image cohérente. Facebook participe du phénomène du zapping, ou on glisse raidement d’une personnalité à une autre, d’un lien à un autre. Ce sport de la souris donne souvent une vision très superficielle des autres, avec déjà ce qu’ils veulent bien laisser transparaître de leur vécu, de leurs expériences et de leurs engouements. La profusion de l’offre elle-même ainsi que son côté grand bazar, voire marché au puces, fatigue aussi assez vite. Tout cela renvoie un reflet éclaté à l’internaute, qui peut en jouer mais aussi se laisser piéger, entraîné par son jeu d’apparition/disparition ou de mystification, vers de nouvelles formes de schizophrénie ou par la perte de ses repères historiques.
Émiettements et ruptures
A priori, cet outil ludique du Web.2 ne change en rien du grand théâtre social, où il s’agit toujours de se définir en fonction des autres tout en se démarquant suffisamment pour asseoir sa propre personnalité. A cette différence avec Facebook que l’utilisation du médium informatique pour rejouer, amplifier la comédie du quotidien change très sensiblement la donne. Dans ce jeu de miroirs alimenté et réactualisé en permanence, les projections des uns et des autres se multiplient à l’infini puis se neutralisent, s’effacent les uns les autres avant de glisser irrémédiablement vers l’abîme du bas de page. Car même si le lecteur y fait un tri rapide en fonction de ses intérêts, un peu comme pour une liste de sujets, tous les éléments apparaissent à un niveau identique, formaté. Alors, y a-t-il un risque de « Facebookisation » du monde, un danger de banalisation de tout, dans les domaines de la pensée, historique, culturelle, sociale, contestataire même ? On sait déjà que certaines personnes en sont devenues complètement accro, se connectant plusieurs dizaines de fois par jour, au point d’être obligées de faire une cure de désintoxication !!
« La plupart des experts s’accordent à dire que les réseaux sociaux ont révolutionné la façon dont les gens inter-agissent entre eux. Pourtant, et malgré tous les avantages que ces derniers apportent, il subsiste un coté sombre : la dépendance. Elle commence souvent dès le plus jeune âge, par un geste des plus inoffensif, la mise à jour de statut occasionnelle. Cependant, à l’âge adulte, elle éclate et se transforme en un véritable état de débilité avec comme obsession, checker les lieux favoris sur Foursquare, aimer tous les statuts sur Facebook ou encore l’utilisation abondante d’acronymes histoire de faire tenir toute une pensée dans seulement 140 caractères. Pensez-vous avoir atteint ce stade là ? Voici dans cette infographie, les signes et symptômes qui prouvent que vous avez besoin ou non, de faire une cure de désintoxication pour les réseaux sociaux … » Julien
» Il y aura dès la prochaine génération une méthode pharmaceutique pour faire aimer aux gens leur propre servitude, et créer une dictature sans larmes, pour ainsi dire, en réalisant des camps de concentration sans douleur pour des sociétés entières, de sorte que les gens se verront privés de leurs libertés, mais en ressentiront plutôt du plaisir » A.Huxley.
Maintenant que de nouveaux secteurs de la production technologique tentent de nous préparer, comme dans les films de science fiction (« Minority Report » d’après Philip K. Dick) à entrer dans l’ère de la « réalité augmentée », on ne veut décidément plus se limiter et se définir avec notre simple expérience individuelle qui en comparaison semble si pauvre. Et pourtant la complexité du fonctionnement humain est loin d’avoir livré ses secrets… Qui suis-je, au delà d’une construction de millions de facteurs qui ne dépendent pas de moi ? A la foi un peu moi, mon héritage génétique, mon patrimoine culturel, mon histoire personnelle, un peu les autres ?… La page d’accueil est comme une loterie, lorsqu’on se connecte, il y aura toujours la surprise de nouvelles publications, qui donnent le sentiment que ça avance.
Mark Zuckerberg, le facebooké le plus célébre
À défaut du quart d’heure de célébrité pour chacun proposé par Andy Warhol, chaque utilisateur y a droit à une existence infinie qu’il peut retrouver à tout moment, qu’il partage avec tous ses contacts, pour une improbable postérité. Facebook, qui est à la base un piratage de trombinoscopes féminins à l’Université de Harward, par Mark Zuckenberg, est né d’une volonté par les étudiants mâles, d’élire la plus belle fille du Campus. Zuckerberg, cet éternel ado au sourire figé qui a inventé le plus grand trombinoscope numérique de tous les temps, pour d’abord draguer puis faire fructifier son business au niveau mondial, collaborant avec le Mexique par exemple, modèle de démocratie occidentale comme chacun sait, pour l’utilisation des données par les services de renseignement du pays, mais surtout à destination des USA et la NSA…
Ici la biographie de M. Zuckerberg, parmis d’autres Giants de la high tech planétaire.
Facebook pourtant n’a pas de visage, c’est juste une interFACE. C’est vous, c’est moi, c’est chacun et personne, juste un médium vide auquel on accroche nos photos, nos infos et autres images familières, que l’on meuble et réorganise à sa guise. Ce faux visage à demi-dissimulé a pourtant animé tant de débats : en être ou pas, quels risques, quelles compromissions, quel degré d’implication personnelle, quelle limite d’âge, quels sont les risques de récupérations de données personnelles (à des fins commerciales ou politiques) ?… Facebook entretient-il le grand complot mondial et de la surveillance généralisée, est-ce une interface friendly de Big Brother déguisé en gentil et divin Community Manager ?…
Le but du réseau n’est cependant pas uniquement philanthropique et gratuit, mais aussi commercial. l’entreprise était évaluée en 2011 à 50 milliards de $, alors que Mark Zuckenberg avec 13,5 milliards de $ se retrouvait en 52éme position mondiale en terme de fortune personnelle ! Depuis sa valeur (virtuelle elle aussi) a doublé au point de flirter avec la création d’une nouvelle bulle spéculative.
« Le réseau social sur Internet Facebook va faire ses débuts très attendus vendredi 18 mai sur la plateforme boursière électronique Nasdaq, au prix de 38 dollars pièce (30 euros), ce qui lui donne une valorisation maximale de 104 milliards de dollars (82 millliards d’euros). Les financiers attendaient désormais de voir jusqu’où allait monter l’action au cours de sa première journée de cotation. » Le Monde du 18/05/2012
Et ce sont effectivement tous les accords commerciaux – qui eux ne seront jamais mis en partage avec les utilisateurs – qui assurent à ses responsables des fins de mois rondelettes. Facebook vient d’ailleurs ce vendredi 18 mai 2012 d’entrer en bourse, qu’en seront les conséquences dans cette exigence de rentabilité de la part des actionnaires ?…
Stratégies du désengagement
Dans « la vie réelle », Facebook est prétexte, au détour d’une conversation, pour faire une allusion à un autre espace-temps dans lequel on s’est dédoublé, chacun de son côté, et où chacun se retrouvera un moment à un autre, en général en différé. On va y visualiser l’empreinte numérique, la marque des autres. Mais Facebook illustre aussi très bien cette dérive vers une perte de sens, un désengagement du moi dans la réalité, ou plutôt d’un écrasement de toutes les perspectives, d’une tentative de nivellement des différents niveaux de positionnement. Car on n’y risque pas grand chose, on y apprend même rapidement l’évitement, on y abuse de l’ironie et du second degré. Certes les utilisateurs se sont vite adaptés aux usages particuliers, à sa désarticulation temporelle et à ses effets pervers. Mais généralement, chacun y reste en constant décalage avec les autres, comme si chaque existence se déroulait sur un fuseau horaire différent. A moins de « chater » en direct avec quelqu’un de connecté, on n’y trouve que des traces des autres. et on s’habitue à cet état de fait, le calcul l’emporte sur la spontanéité.
Dans cette sorte de grande pêche aléatoire, on y affirme d’une manière plus ou moins heureuse sa présence en même temps qu’on y déroule d’autres existences imaginaires. La récolte peut contenir des informations enrichissantes, essentielles parfois et d’autres complètement futiles. Certaines permanences actives et militantes sur Facebook peuvent renforcer l’idée d’un contre-pouvoir de la société et d’une participation citoyenne. Certaines infos ne circulent d’ailleurs ainsi que par ce biais, avant d’accéder aux médias traditionnels (quand c’est le cas selon les régimes politiques…). Mais l’amorce ici d’une réelle activité est un leurre dans nos démocraties occidentales anesthésiées, car le fait de poster une info, de donner son avis sur Facebook semble déjà concrètement être une action, laissant la réalité loin derrière l’univers du virtuel. Un peu comme l’arbre qui cache la forêt… Ainsi certains râlent beaucoup sur l’état des choses, veulent tout changer mais son incapables de s’engager dans une structure militante, d’agir directement sur le terrain, ou font grève par procuration en regardant les manifestants défiler le soir au journal TV…
Nivellement, procuration et zapping permanent
Il est devenu ainsi crédible de participer à une manifestation politique ou un événement artistique, en « likant » le lien, en s’inscrivant á tous les événements (« je participe »), en le diffusant, en le partageant… Une sorte de suractivité virtuelle. Certains auront l’impression d’avoir participé à un évènement, un voyage, en se projetant simplement à travers les photos d’un défilé qu’un ami aura publié, tout en restant confortablement assis devant son écran. Voyager par procuration, ou participer aux mouvements sociaux bien à l’abri de chez soi, c’est s’engager en partie ! Et c’est ce « en partie » qui dit beaucoup de l’impossibilité d’une réelle prise de position dans cette interconnexion toute en demi teintes, respectant un protocole de bienséance et engageant à la passivité. Comme sur Facebook, tout est prétexte à la distraction, et peu à la réflexion de fond, c’est avec le même procédé et la même curiosité que l’on va passer du sujet politique à un album de photo de vacances en Corse. Cependant cet agglomérat de différentes voix, diverses personnalités et news d’ordre culturel ou citoyen, sur une page numérique qui va interagir avec votre propre profil a de quoi brouiller sa propre conscience de soi. C’est un mouvement sans centre ni périphérie, atomisé, qui sous prétexte d’être relié au delà de l’éloignement géographique avec des amis et des proches bien réels, ou de se créer des nouvelles relations purement virtuelles, recompose et perturbe l’ordre hiérarchique de nos valeurs et de nos intérêts. Y a-t-il danger à cela ?
Des amitiés Face ou fausses ?
Une amitié, une convergence d’intérêts, une relation privilégiée évoluent dans le temps. Des relations humaines réelles peuvent-elles se construire et devenir viables exclusivement sur Facebook ? Certes, les positions ne sont pas figées, mais tout y fait sens. Chacun y va de son petit son de cloche sans s’adresser à quelqu’un en particulier. On peut avoir l’impression, seul devant son écran, de passer une soirée conviviale mais sans se mélanger physiquement avec ses amis, à portée d’un clic. Une discussion en ligne est de fait immédiatement rendue publique, et va donc être surveillée par des dizaines d’autres « Amis Facebook » (devenus des voyeurs indiscrets) ou d’autres mouchards, imaginaires ou non, encore plus inquiétants. Les réseaux sociaux comme professionnels développent un langage et des habitudes en fonction de critères synthétiques très spécifiques, qui nous éloignent davantage du noyau de notre être intime, de notre moi incarné. Ni les modulations de la voix, ni les expressions du visage ne peuvent ici être d’une aide précieuse à la réception et à la compréhension du discours de l’autre. Il/Elle devient une entité composite, une mosaïque de possibilités, un renvoi vers d’autres liens, un carrefour pour aller se perdre dans des horizons vagues…
Facebook est l’exemple même du poisson qui vous glissera toujours entre les mains, de la fuite en avant (ou en arrière) du temps, mais certainement pas d’une inscription dans le présent.
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Wikileaks > Facebook > Sociologie :
- Mark Granovetter, sociologue américain, qualifie de liens faibles, les liens reliant les personnes connectées par un réseau social numérique, les amis Facebook par exemple, en opposition aux liens forts de l’amitié au sens classique. Il y voit néanmoins une chance de par la puissance du réseau, la diffusion de l’information qu’il permet.
- Bernard Stiegler analyse Facebook comme un pharmakon (un objet technique portant en potentiel le poison comme le remède) automatisant techniquement la relation d’amitié et contribuant à la misère symbolique des individus.
En fait, tout en renforçant la puissance d’une Babylone moderne, interconnectée, où chaque mot est enregistré, archivé et peut être réutilisé, Facebook brouille les réels liens d’amitié entre deux êtres, imparfaits et toujours teintés d’affect, pour les remplacer progressivement par des rapports d’intérêts, une logique d’offre et de demande, de séduction et de répulsion qui sont calqués sur le fonctionnement simplificateur de la société capitaliste. La rhétorique binaire du virtuel s’accommode très bien de celle du oui/non, j’aime/j’aime pas de ce réseau, il est même calqué dessus. Les véritables relations humaines sont à redéfinir à côté. Non seulement Facebook, utilisé par plus d’un milliard d’hommes et de femmes sur terre, rend les relations plus abstraites et inconséquentes sur le Net mais il appauvrit les personnalités. C’est un Plus Petit Dénominateur Commun, un réducteur de tête qui vient assombrir son rôle positif d’amplificateur de news. Facebook est avant tout consensuel, et c’est sûrement la raison pour laquelle, à l’inverse des résultats du vote de ses lecteurs, le conservateur Time Magazine a retenu son créateur devant le porte-parole de Wikileaks, jugé trop subversif par la rédaction :
« On attendait Julian Assange mais c’est Mark Zuckerberg qui a été choisi par le magazine américain Time comme personnalité de l’année 2010, six ans après avoir fondé Facebook » ID
Facebook aime-t-il la démocratie militante ?
Quand ils ne sont tout simplement pas censurés par les médiateurs du réseau (en général pour des questions de morale et de pudeur, mais aussi pour des questions de politique) certaines pages, certains internautes, certains groupes « privés » peuvent appeler à avoir des prises de position politiques, à participer à des manifestations populaires, ou encore à des épreuves de force avec le pouvoir… On bien vu comment Facebook a permis aux révolutions arabes de s’affirmer et de s’organiser. Il faut lui rendre cet hommage. Mais le mouvement d’émancipation de la jeunesse arabe s’appuie aussi beaucoup sur des chaînes TV satellitaires privées et plus libres, comme celle du Qatar, Al Jazeera. Elles permettent la représentation et la construction d’une réelle identité moderne auprès des jeunes générations, avec l’organisation de débats très virulents, sans langue de bois sur ses plateaux. Le cinéma, la radio, la presse et la musique aussi sont à même de donner une image et un son en prise directe avec la réalité et d’aider à une projection dans l’avenir.
Facebook dans ces contextes est surtout utile dans l’action, à défaut d’autres médias fonctionnels. Sa localisation aux USA garanti une certaine liberté d’expression, et s’il n’est pas censuré dans les pays sous le joug d’une dictature, ce réseau peut faire transiter les infos, amplifier les appels à la mobilisation, à la désobéissance civile et à la résistance, et aider à diffuser des vidéos comme preuve de l’existence des manifestations ou de certains massacres. En Tunisie par exemple, les téléphones portables ont aussi permis de sauver des vies en diffusant la localisation de barrages meurtriers. Une version contemporaine du « téléphone arabe » à l’ère du numérique…
Après quatre ans qu’on commencé ces mouvements d’émancipation dans le monde arabe, peut cependant se poser la question légitime, sans verser dans le complotisme, si Facebook n’a pas participé à son niveau, à la déstabilisation des régimes dictatoriaux en place, comme en Libye et en Irak, mais assurant sécurité, confort et laïcité `leur population, en plus d’un relatif équilibre confessionnel dans la région- Voir aussi le terrain de tension Ukrainien entre forces de l’OTAN et Russie, où les revendications démocratiques ont été un prétexte pour des forces politiques fascistes, de conquérir le pays, en l’ouvrant à la zone d’influence occidentale.
De l’alarme mondialisée au joujou technologique
Cependant dans une utilisation « apaisée » de Facebook, en temps de Pax Americana, le juste rapport entre vérité, liberté, auto-aliénation, humour et diversion y est bien difficile à établir. C’est peut-être ce qui en fait son attrait magnétique, plus fort que la réalité, presque magique pour beaucoup ! Il est évidemment impossible d’y être entièrement présent, puisqu’il n’y a pas (encore ?) de téléportation du corps physique… Plus sérieusement, c’est un leurre de croire qu’une participation régulière et assidue à ce réseau permet d’accéder par ce moyen à la compréhension de la réalité, cela ne fait au contraire que la rendre davantage complexe, polyvalente et éparpillée. Certains diront tout simplement plus riche, ou plus fun ! Souhaiter avoir un reflet pertinent du monde, ou même vouloir inscrire sa propre existence parmi la liste aléatoire des post qui défilent sur la page d’accueil Facebook, c’est comme contempler sa silhouette et le paysage environnant sur la surface mouvante d’un étang ! Narcisse et Écho, toujours et encore, encore, core…
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Face à Face et en conclusion
Il sera toujours préférable d’échanger verbalement, c’est une technique traditionnelle, conviviale et irremplaçable qui fonctionne toujours aussi bien pour toutes les circonstances. La tentation d’une connaissance universelle kaléidoscopique et le désir d’une interconnexion tout azimut ne font que nous ramener, après une grande boucle sur le Web, à nous-même : notre petit nombril, notre existence certes unique mais aussi notre solitude, l’évanescence et parfois la futilité de la vie, l’insondable profondeur de la condition humaine. To Face or not to Face… Lorsqu’on décide de réellement s’ouvrir aux autres, la vie prend un autre sens. Cette attitude n’a absolument pas besoin d’un alibi technologique, mais peut certainement s’enrichir d’un outil tel que Facebook. C’est un point de vue que vous partagez ? Vous pouvez liker et même commenter cet article (lapartmanquante vous répondra ici même avec plaisir), voire le publier sur votre réseau préféré !
Florent Hugoniot
Pour continuer la réflexion, lire Facebook de face, de côté y atras (suite actualisée de ce premier article sur Facebook et ses usages au Mexique) et Mediapolis (les Réseaux Sociaux).
En voilà une belle analyse, bien fouillée…
Je suis pour ma part entré en résistance. En résistance passive : je n’ai pas de profil Facebook et j’ai bien l’intention de ne jamais mettre un orteil là-dedans. Je ne fais pas de prosélytisme pour imposer mon point de vue, chacun est libre de choisir son asservissement.
Merci du commentaire mgycqd, on voit effectivement sur ton icône que tu es paré pour résister à ce genre de fabulations, armé à l’antique contre la fascination high tech!
Illustrations : facebook.com/pierremhmm
Merci Pierre d’avoir corrigé cet oubli impardonnable, et aussi pour ces illustrations inestimaaaables !
800 millions d’inscrits en France?… Je veux comprendre! Merci.
Merci, flagrante erreur, oui !! Cet article a été publié en 2011. Les chiffres de 2012, selon le journal « Le Monde », sont autour de cet ordre : plus d’un milliard d’utilisateurs actifs sur la planète (cad se connectant au moins une fois dans le mois), 25 millions en France. Pour 2013, c’est encore trop tôt. Les chiffres explosent selon Facebook, à vérifier avec d’autres sources… Voilà, c’est rectifié !
Oh c’est beau!! Ca m’a fait une emotion! Et ce mur qui bouge qui bouge qui n’en fini plus de bouger….j’ai presque eu envie de partager sur FB 🙂 . Plus sérieusement, excellente trabajo senior.
Ah, muchas gracias Angel de Nueva York! A suivre pronto le deuxième volet de cette trépidante enquête…
http://www.legorafi.fr/2014/11/04/90-des-utilisateurs-de-facebook-sen-servent-pour-sassurer-que-leur-vie-nest-pas-aussi-ratee-que-celle-de-leurs-proches/
« Facebook collabore avec le gouvernement israélien pour déterminer ce qui devrait être censuré »
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/facebook-collabore-avec-le-184668