Democrazia non si vende !
Enfin, les citoyens italiens commencent à couper l’herbe sous les pattes de ce pantin plastifié qui dirige, ou plutôt désorganise complètement leur pays depuis une vingtaine d’années. Une claque et un avertissement : l’eau doit rester dans le domaine public, être bien gérée pour servir un besoin vital et non la spéculation financière. Malgré des basses tentatives de désorganisation du scrutin (report au week end de la Pentecôte, invitations à partir en vacances et à sécher le vote, fausses dates données par ses chaînes TV, bidouillage du questionnaire où il fallait voter SI pour exprimer un NO…) les électeurs ne se sont pas laissé rouler dans la farine une fois de plus et ont opposé leur veto aux réformes néo-libérales de la droite au pouvoir et à l’appétit des structures d’investissement privées. Ils ont voté deux fois SI contre ce projet de loi concernant l’eau en plus de deux autres, contre le lobby nucléaire et l’amnistie judiciaire de Berlusconi.
« Avalanche de oui, une gifle pour Berlusconi »
Les Italiens peuvent donc désormais croire en un changement politique très proche pour leur pays. Par deux fois en une quinzaine de jours, les électeurs se sont mobilisés et leurs réponses ont été sans équivoque : une condamnation de la politique et de la personnalité de Silvio Berlusconi, qui tient les commandes du pays depuis 17 ans, et dont la période faste est désormais en voie d’enterrement dans toute la péninsule. Les municipalités de Milan (fief de Berlusconi, où il a commencé à se faire une fortune dans des projets immobiliers grandiloquents, en collision avec la mafia) et Naples sont passées au centre-gauche lors des dernières municipales du 29 mai. Le 11 juin au soir tombaient les résultats du référendum qui ont confirmé cette volonté de changement de la population. Et le rideau aussi tombe doucement mais inévitablement sur ce show tout en paillettes et en bluff avec lequel « il Cavaliere » a endormi tout le pays depuis la prise de possession des principales chaînes de la télévision, Rai Uno en tête. Fini les mensonges éhontés et les mauvaises blagues, le règne du Bling-bling et du Bunga bunga, de cet empereur du vent et du fric se termine piteusement. Basta à son processus de pourrissement des fondamentaux, des valeurs et des solidarités de la société italienne…Malgré son humour populaire et parfois insultant qui faisait encore mouche il y a peu, le magouilleur expérimenté qu’est Silvio Berlusconi a perdu la face. C’est ainsi avec son culot patenté qu’il est allé se plaindre des investigations dangereuses pour lui, des juges italiens lors du dernier G8 fin mai, auprès de Barack Obama. Pourtant, c’est bien lui qui deux ans plus tôt avait fait une grasse allusion au « bronzage » du couple présidentiel américain ! Les italiens ne supportent plus ses improvisations pitoyables et guignolesques… Le petit roi des médias est nu maintenant, après avoir été la risée de toute la presse italienne. L’archivage et la circulation des informations, qu’on espère toujours libres sur Internet, ne lui tailleront pas un costume glorieux pour la postérité !
On pouvait lire partout sur les murs des villes couverts d’affiches, l’avertissement des associations civiles, le réveil, l’intuition divine du peuple italien. A l’occasion des 150 ans de la réunification de la péninsule, et la célébration de la naissance d’une République nationale et démocratique, des drapeaux tricolores étaient accrochés aux fenêtres des maisons dans la région environnante du Veneto, signe de fierté et pour certains, de résistance, de vigilance ! Un sain esprit a soufflé les 11 et 12 juin sur la péninsule, celui de la raison. La presse italienne a souligné cet infléchissement appuyé de l’opinion, et avance la fin du « berlusconisme », por fino ! Début de nettoyage, de l’eau, de l’eau pour faire barrage aux appétits carnassiers des uns, et mortifères pour la société humaine…
L’eau comme enjeu de pouvoir et facteur de tensions dans le monde. Mais aussi l’eau comme symbole de paix, de liberté, de partage de la circulation entre les hommes et les femmes, des échanges des connaissances. Les interconnexions dans la société humaine ne nous forcent-ils pas à mieux envisager l’autre, à aller à sa rencontre ?
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L’air du large, l’au-delà vie
Le thème de l’eau a traversé aussi la Biennale de Venise 2011. Bien évidemment, la géographie de grande cité maritime incite à un balancement permanent entre terre et mer, et l’effet de bercement des vaporettos se prolonge sur le quai tandis qu’un paquebot géant s’engage dans le canal de la Giudecca. Partout les canaux quadrillent la ville, dans une tension dynamique entre un ici et des ailleurs, et percent des passages ondulants de reflets entre les façades ocres et les encadrements de cordages sculptés aux fenêtres. Et tous ces grands arbres, qui vont trouver de l’eau douce en pleine lagune… Aux Giardini, le Pavillon israélien traitait également du thème de l’eau, mais sous un autre angle, quoique tout autant politique. Sigalit Landau, dans son installation « One man’s floor is another man’s feelings » a structuré le pavillon sur deux niveaux, avec une communication soulignée par le passage des tuyauteries d’une station de pompage. L’artiste a effectivement fait percer le sol sous le bâtiment pour y trouver une source d’eau douce, qui circule dans l’espace complètement virtualisé et intemporel du lieu d’exposition et le relie avec les profondeurs de la terre, les mouvances de la lagune. Le voyage court jusqu’à la Mer Morte en Israël, qui s’assèche progressivement et disparaît. Sigalit Landau organise sa réflexion autour de grandes projections vidéos, dans un espace sombre qu’elle anime avec quelques sculptures. Ainsi cette icône, un énorme filet trempé dans les eaux saturées de sel de la Mer Morte et ressorti tel quel puis séché, complètement cristallisé.
« Un filet de pêche évoque fertilité et vie, mais ici il est mortellement solidifié par des quantités de sel ».
Sigalit Landau
Dans cette dynamique de la traversée et de la rencontres, l’artiste propose de construire un grand pont, le Crystal Bridge, entre les deux rives de la Mer Morte, reliant la Jordanie à Israël. Un grand pont suspendu en métal, recouvert de couches de sel. Comme une jetée vers l’avenir, avec le pari de bénéficier du soutien des autorités compétentes, ce n’est donc pas du tout une promesse en l’air mais un projet réel. Quelle belle idée que cette œuvre-totem à l’horizontale, dans le sens d’une communication, une ouverture vers quelles nouvelles constructions, quelles merveilles, croire en la divinité chez l’humain. Une échappée possible au conflit qui cerne cette géographie désolée, lieu clef et nœud d’un drame millénaire, anthropologique et religieux.
« Si fertilité il doit y avoir dans la relation entre les hommes, il faut en passer par des ponts plutôt que par des murs. »
Jean de Loisy, co-commissaire du pavillon israélien avec Ilan Wizgan.
Un travail engagé sur l’eau
Depuis plusieurs années, Sigalit Landau s’est engagée dans une relation approfondie avec l’endroit le plus bas du monde, la mer morte (-456 mètres). Elle réagit, en artiste, aux terribles particularités de ce site qui, théâtre-même d’une catastrophe écologique en cours, est un lieu blessé par l’histoire comme par l’actualité du Moyen-Orient. C’est l’endroit qu’elle a choisi pour développer une œuvre singulière, nourrie par son attirance continue pour le rituel, le corps mais aussi la mémoire qu’elle met en scène en concevant une sorte d’archéologie du présent.
« One man’s floor is another man’s feelings », le titre d’ores et déjà donné par l’artiste à son futur pavillon est une variation d’un dicton bien connu : « one man’s floor is another man’s ceiling ». On devine par cet intitulé que l’installation évoquera l’interdépendance entre les humains et le partage des richesses.
L’eau qui parcourra le pavillon, comme le sang qui irrigue les corps, ne sera pas seulement celle qui manque à un milliard d’humains, mais aussi la métaphore de la connaissance, du partage et des sentiments qui nous lient les uns aux autres et organisent la communauté de nos destins. Comme du sel qui se déposerait sur un objet ou sur une blessure, le parcours que Sigalit Landau conçoit pour la Biennale cristallisera les craintes et les espoirs de ces temps incertains.
La Paddythèque
Deux autres pavillons consacrés à l’eau et au passage
Pas très loin derrière, le Pavillon grec a été entièrement relifté par Diohandi dans un style nordique et très épuré. Une grande surface claire en bois de pin à l’entrée s’ouvre sur une fente de lumière, une invitation évidente à entrer qui fonctionnant sur l’attrait du mystère, de la révélation. Là encore, l’eau comme élément-métaphore, puisque le pavillon est entièrement transformé en passage, dans sa plus simple expression poétique : une allée en L au milieu d’un tapis d’eau vous fait glisser, tel un Jésus, un Bouddha en lévitation, à l’intérieur du bâtiment. Celui-ci est éclairé uniquement par l’ouverture artificielle du fond, comme un espoir, un attrait vers une autre dimension spirituelle, et la lumière naturelle arrivant par l’entrée et la sortie. C’est un beau moment de légèreté et
d’épure, comme une cure, un rafraîchissement dans ce parc d’exposition des Giardini, un endroit vraiment désuet et assoupi, même en temps de Biennale, comme figé dans l’architecture néo-classique, moderne ou Art Déco des pavillons nationaux qui sont disposés d’une manière assez labyrinthique entre des massifs et des allées d’arbres immenses.
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Il y avait aussi à deux pas dans le Pavillon de Venise, sponsorisé par Louis Vuitton, sur la même petite île accessible par un unique pont au dessus d’un canal, une curieuse installation : un alignement incurvé de grandes barques noires, dressée à l’oblique vers le plafond. C’est « Mare vertical », l’œuvre de Fabrizio Plessi qui ne laissait pas non plus indifférent, un sorte de mise en abîme du déplacement, un voyage immobile pour « arborigène numérique », dans des vidéos encastrées dans les embarcations. Leurs silhouettes dessinaient des comme des pénitents cagoulés un peu inquiétants dans une éclipse bleu nuit. Des sortes « d’arches de Noé électroniques » qui paralysent tout en invitant à l’évasion vers un ailleurs sans fin et plutôt macabre, dérive et finitude existentielle.
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« Douze gigantesques embarcations verticales en acier noir émergent de l’obscurité et envahissent l’espace entier qui leur est accordé.
Douze océans tonitruants du monde, chacun enfermé dans sa propre coque noire, s’agitent à nos pieds. »
Fabrizio Plessi
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También la lluvia
Et puis, pour rester dans le même thème et amener un autre point de vue sur ce sujet du partage – ou de la confiscation – de l’eau, de la privation de liberté d’un peuple par un autre groupe humain ou de la privatisation de sources municipales ici, des ressources de la planète partout ailleurs par des multinationales et des intérêts mercantiles et totalitaires, voire criminels, il faut aller voir le magnifique film « Même la pluie » du réalisateur Icíar Bollaín avec Gael García Bernal et Luis Tosar. Le message du film, résumé sur la bande annonce, coule de source ! Et bien sûr fait réfléchir.
Dernière remarque : la Ville de Paris, à l’initiative de sa majorité municipale socialiste, a repris en main toute la gestion de son eau depuis 2010 ; c’est une évolution à souligner en France, où s’est progressivement étendu le monopole de Suez et Véolia, avec augmentation des factures pour les particuliers et envolée des bénéfices pour les actionnaires…
Il plus que temps que, sur ce sujet vital comme d’autres concernant l’environnement et engageant notre avenir, une prise de conscience s’opère. Les artistes qui s’en inspirent participent activement de la lutte planétaire pour imposer une éthique dans l’utilisation des ressources naturelles. En Italie, à Paris, en Bolivie, et ailleurs, les signes de prise de liberté et de responsabilisation civile doivent s’étendre comme une grande vague et submerger les obstacles imposés par la spéculation aveugle et mortifère.
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