Zoo Project, une nouvelle mythologie urbaine

Au détour d’une rue parisienne, vous avez peut-être été fasciné par une de ces créatures, zoomorphes et intrigantes, inscrite sur une façade aveugle dans un graphisme naïf et puissant, qui semble débarquée d’un autre espace-temps, comme restée suspendue entre ciel et terre. Ces œuvres éphémères et souvent monumentales sont exclusivement réalisées à la peinture noire et blanche, rouleau et gros pinceau. Elles parlent d’une modernité qui désoriente, de surconsommation et d’acculturation ; mais elles renvoient aussi à un bestiaire fantastique familier, divinités de l’Égypte pharaonique et autres monstres de l’Antiquité tel le Minotaure crétois ou les créatures babyloniennes. Ces personnages qui semblent sortis des profondeurs de la nuit, hybridation de milliers de rêves/cauchemars de citadins et d’un imaginaire collectif mythifié, prennent leur droit de cité sur des espaces souvent difficilement accessibles. Is sont tous nés sous les doigts d’un artiste solitaire et mystérieux, un peu démiurge, et qui signe Zoo project.

Dans le dédale des villes

Hommes à tête d’oiseau ou à tête de bélier, tel un dieu Horus égaré, un dieu Amon amputé, animaux communs, simple pigeon, humains anonymes et sans visage, esclaves de la technique… autant de figures de notre modernité revues sous l’angle des mythologies antiques, des religions païennes. Ces références évidentes donnent à la fois recul et densité aux fresques, et les immergent dans un bain d’éternité. Leur positionnement dans l’espace urbain rajoute à leur aura de mystère tout en imposant leur présence puissante. Un trait d’union se fait également entre notre environnement contemporain et l’univers de la science fiction. On fera aussi le rapprochement entre la signature Zoo project et le zoomorphisme.

« Ne demandez jamais votre chemin à quelqu’un qui le connait, vous risqueriez de ne pas vous perdre. » Zoo project

Minotaure dans le dédale des jeux vidéo ©Photo Palagret, Point Ephémère

Une performance artistique, ironique et militante, inscrite dans un temps qui dépasse notre quotidien/prison pour rejoindre nos origines, qui entraine le passant vers une forme de liberté, l’espoir d’un avenir plus coloré, et dont le message va au delà des illustrations en noir et blanc sur fond gris, souvent condamnée à disparaître rapidement du paysage urbain. Dans cette mise en tension, remarquable et rare, les créatures de Zoo project nous deviennent familières, comme si elles étaient la dernière lignée des monstres inventés par l’humanité.

« La foire aux immortels », Enki Bilal

On pense bien sûr à l’univers de la BD et aux personnages d’Enki Bilal dans sa série Nikopol, ou encore à l’artiste italien Blu issu du même milieu du Street art, au style naïf et évolutif dans le temps, aux réalisations monumentales et également peintes à la main. Mais au delà de ces références, Zoo project semble être une comète arrivée d’une banlieue ou d’une planète lointaine, un artiste autodidacte dont le besoin d’expression est sa principale motivation et sa force.

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Zoo Project, ©Photo Jeanne Thibord

Des messages sibyllins accompagnent parfois ses fresques, tel :

« Pas encore d’ici, plus jamais de là bas. »

ou encore ci-contre :

« Dans mon Kartier, soit on grandit trop vite, soit on reste des mômes »

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La capitale a rapidement adopté ces nouveaux arrivants étranges. Un style pourtant décalé par rapport au Street art parisien, qui a depuis longtemps succombé à la technique du graff et de la peinture aérosol. Ces créatures sont nées en Seine Saint Denis, pour venir coloniser les façades aveugles et les devantures de magasin abandonnés du nord-est de Paris, et plus particulièrement le XXème, le XIXème et le XVIIIème arrondissements. L’artiste qui signe ces fresques murales et que j’appellerai aussi Zoo project se définit sur son blog comme un « Franco-algérien résidant à Paris ». Il a juste 20 ans.

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« Je ne me laisse pas endormir dans ma cité-dortoir » Zoo Project

« C’est bien assez d’être fou » ©Photo JeremyDP

Il semble vouloir amorcer une prise de conscience, une résistance. Facilement visible par le plus grand nombre et par des personnes qui ne vont pas forcément dans les musées et les galeries, l’art de rue serait ici le meilleur moyen pour remettre en état de marche les connexions de notre cerveau, lobotomisé et bombardé par des millions de messages publicitaires, par une information sélectionnée par les médias mainstream, par la propagande politique. Le cerveau humain devient un terrain labyrinthique, les machines envahissent notre intimité à en hurler, les parties du corps se détachent les unes des autres dans la difficile quête d’une unité retrouvée…

De l’autre côté…

Martyrs de la révolution, Tunis ©Photo Zoo Project

Suite au révolutions arabe, Zoo project a décidé de faire un grand périple de l’autre côté de la Méditerranée. C’est en Tunisie qu’il a posé ses pinceaux, pour à sa manière appuyer ce grand mouvement populaire d’émancipation né il y a plus d’un an, toujours en devenir et toujours en danger d’être récupéré ou perverti. Contrairement à son travail dans la mégapole d’Ile de France, il a voulu redonner un visage et une mémoire aux martyrs de la révolution, dont nous connaissons certainement le premier : Mohammed Bouazizi le vendeur de fruits qui, ne pouvant plus nourrir sa famille, s’est immolé le 17 décembre 2010 sur la place de Sidi Bouzid puis est mort deux semaines plus tard des suites de ses blessures dans un hôpital près de Tunis, ce qui a déclenché les émeutes entrainant au « dégagement »de Ben Ali le 14 janvier 2011. Ils sont officiellement 236 martyrs de la révolution tunisienne recensés, auxquels Zoo project a voulu rendre hommage en réalisant pour chacun un portrait découpé, en pied et grandeur nature, d’après les photos et les témoignages de proches qu’il a pu récolter. Il explique très bien ses motivations et sa démarche sur son site ZOO-PROJECT.

« Un voyageur sans bagage n’a pas pour autant la tête vide » Zoo Project

Camp Choucha ©Photo Zoo Project

On peut le suivre ensuite à la frontière libyenne où, après la chute de Kadhafi, des milliers de réfugiés se sont entassé dans le camp « Choucha », administré par les Nations Unies et géré par des ONG internationales. Une implication sociale et humaniste pour cet artiste, qui fuit les caméra mais s’avance avec courage et conviction au devant d’un évènement historique marquant comme la révolution tunisienne, ou d’une problématique mondiale, l’immigration économique et le drame des populations ballotés d’une frontière à une autre.

De la ville au désert, vers plus d’humanité

Cette prise de position, de la part d’un artiste qui ne recherche ni la célébrité, ni la rentabilité, ne va pas non plus forcément dans le sens de la « starisation » du street art. Dans un monde qui n’en est plus à une incohérence prêt, qui prône la communication tout azimut, qui magnifie les destinations lointaines en fermant ses frontières, dans un monde qui en appelle à un nomadisme hightech tout en tournant le dos aux cultures nomades ancestrales, je trouve que l’action de Zoo project a de la cohérence et du panache ! Espérons que son odyssée du XXIème siècle le conduise vers d’autres lieux, qui continueront à l’inspirer et à nourrir son art, tout en raffermissant ses convictions généreuses et encore plus nécessaires aujourd’hui.

Aux dernières nouvelles et dans son élan révolutionnaire/humaniste, il était à Odessa sur les traces d’autres martyrs, ceux du cuirassé Potemkine préfigurant la révolution d’octobre 1917 en Russie et immortalisé le fameux film de propagande soviétique de Sergueï Eisenstein en 1925. Zoo project refait l’histoire des zhommes !

Florent Hugoniot

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Les photos de Zoo Project récupérées sur la Toile sont légendées avec leur copyright.
 
Zoo Project étant une star du Street art parisien et international, on le retrouve dans de nombreux blogs. Facile de le suivre sur la Toile, voici certains liens qui permettent de continuer le voyage :

http://photograffcollectif.blogspot.fr/2010/03/zoo-lache-les-animaux.html
http://monblog75.blogspot.fr/2012/03/arts-street-art-zoo-project_20.html
http://www.allcityblog.fr/6384-zoo-project-paris/
http://urba-actu.blogspot.fr/2011/04/le-zoo-project-celebre-la-revolution.html
http://archeologue.over-blog.com/article-street-art-labyrinthe-et-minotaure-43049045.html
http://www.unurth.com/Zoo-Project-New-Work-In-Paris
http://www.fatcap.org/article/zoo-project.html

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11 commentaires pour Zoo Project, une nouvelle mythologie urbaine

  1. Merci pour cet excellent article très instructif.

  2. Enil Ema dit :

    Bonjour, J’aimerais beaucoup travailler avec Zoo Project et ai un projet qui pourrait l’intéresser. Sauriez-vous par quel biais le contacter ?
    Merci d’avance et bravo pour cet article vraiment super.

  3. Florence dit :

    Hommage à l’artiste qui enchanta quelques unes de mes balades parisiennes…
    Bravo et merci.

    • Oui, un hommage vraiment mérité pour Zoo Project, un artiste, un poète, un humaniste… Un citoyen du monde, un amoureux de la ville et de ses habitants. La ville qui vit et qui rêve encore grâce à des artistes tels que lui. Ses images et ses messages sonnaient tellement juste ! lapartmanquante est en deuil de cette légende du street art : Zoo Project (Bilal Berreni de son vrai nom) est mort jeune et tragiquement l’été dernier à Detroit, la Mecque et le sanctuaire du street art aux USA… 😦

  4. Boyer dit :

    2 de ses oeuvres rares sont sur mon site « willyblowup.fr »

  5. Yann dit :

    Hommage à Zoo Project/Bilal dans cette vidéo, la rénovation de la fresque sur l’évolution dans les Cévennes. merci Rodo! http://vimeo.com/115132512

  6. Ping : Hommage à Zoo Project | Moderne et Contemporain

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