Belleville, tout en étant un carrefour mouvant des cultures, reste un quartier emblématique de l’expression libre à Paris. Dans ses cafés teintés de milles couleurs, dans la rue, la parole tisse des histoires singulières, les itinéraires particuliers se racontent et s’échangent, tout comme dans les romans de Daniel Pennac. Les chemins se croisent, dont les étapes dans la narration sont autant de lieux symboliques, qui peuvent devenir des points de départ pour d’autres histoires. On invente le présent par le partage, on dessine ensemble un autre avenir. Les imaginaires se livrent, en même temps que l’espace d’une nuit ou d’une vie se nouent des destins et des passions ; les rêves sont encore une fois lavés, ravivés et ravis, célébrés, puis emportés pour être chantés ailleurs – ou laissés là, au sol, brisés, souillés.
Babelville est un microcosme où se mélangent des hommes et des femmes de la terre entière. Humble, l’humanité s’y retrouve et s’y concentre, des communautés de tous les horizons s’y côtoient, se brassent et rebattent les cartes du destin, cartes d’identité.
Les images aussi savent parler et dire des désirs, des besoins, des craintes, des dépassements. Questionnement et dépaysement constant que ce flux d’images peintes, collées, graffées, qui viennent se projeter et se fixer sur les murs du quartier. La rue Dénoyer et ses alentours sont constamment en re-création. Ce spot parisien quasi institué (lire Belleville, un village labellisé Street art) se recharge en permanence de vibrations diverses. Des énergies créatives contrastées et parfois contradictoires se répandent librement par couches, sur les façades, sous les corniches, sur le mobilier urbain. Un nouveau décor, une signature inconnue, une nouvelle strate recouvre d’anciennes écritures. Des éléments graphiques désormais occultés, se fondent dans un processus de sédimentation artistique collectif.
À l’angle du Boulevard de Belleville et de la rue Lemon, une étrange arche de Noé à vapeur est apparue, manœuvrée par un homme-lièvre : infernale cathédrale articulée, mécanique fumante et froide, vaisseau mythologique en devenir… L’équipage se compose de reptiles et de tortues tandis qu’un serpent ondulant – le serpent de la tentation et de la connaissance ? – entoure la composition en évoquant le ciel, puis repasse par une cheminée pour se mordre la queue. Cette machine de science-fiction rétro, bateau à aube d’un temps indéfini signée Roti est au croisement de l’univers de Jules Vernes et d’Edgar Allan Poe, lancée à l’assaut d’on ne sait quel avenir. A moins qu’elle ne soit tombée en panne ; ou qu’elle se soit justement amarrée là pour délivrer quelques vérités ? La fresque, qui s’étale sur les carreaux de céramique ocre d’un restaurant juif, a une technique intéressante : le dessin, effectué à la bombe de peinture noire sur un remplissage bleu et gris, est comme une succession d’éclaboussures bien maîtrisées, et crée une matière étonnante, sorte de dripping figuratif et expressionniste. Vision de rêve ou de cauchemar, on pense aussi ici à Lovecraft.
En face explose une fresque multicolore au pinceau de Ever, hommage à un sage asiatique, un chaman possédé par une vision kaléidoscopique et psychédélique ?… À moins que ce ne soit Mao, la politique aussi traverse cet espace. Le voyage continue, la curiosité s’aiguise et me pousse à aller voir les nouveaux graffitis de la rue Dénoyer. Je photographie quelques détails croustillants, inquiétants, émouvants ou amusants. Le diaporama ci-dessous présente une trentaine de photos d’œuvres et de détails. Différentes énergies créatives, souvent très contrastées, s’y rencontrent et dialoguent, pour la fantaisie de l’œil et le saisissement de l’esprit. La plupart de ces œuvres ont été réalisées dans le cadre de ParisFreeWalls.
@Florent Hugoniot, photographie et rédaction
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