Sortir du labyrinthe de l’ego

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Si l’amour est une forme absolue de connaissance, se connaître mieux soi-même devrait permettre de mieux s’aimer, de mieux s’accepter, mais aussi de savoir accueillir l’autre dans une relation amoureuse comme amicale. De savoir aller vers la ou les personnes adéquates selon l’objet recherché, le projet partagé. La recherche de l’être aimé, du promis ou de la promise, mais aussi la quête du double symbolique est une odyssée universelle qui occupe une bonne part de nos activités. Pour répondre à ce besoin fondamental de partage et de communion, mais aussi à une convention faite nécessité comme celle du mariage moral et social, chacun ses atouts et ses stratégies.

Il n’empêche que cette quête emprunte rarement une ligne droite mais suit souvent des courbes et des contrecourbes, s’enroule et se déroule en fonction de nos attentes et de nos besoins, et nous laisse souvent confus. Parfois elle s’emmêle complètement, et on demandera à un spécialiste de l’aide pour aider à démêler des nœuds et y voir plus clair. Cependant, la problématique de la relation amoureuse peut-elle se résoudre dans le cadre d’une psychanalyse, via un(e) psy ? Celui ou celle-ci représente en effet un dérivatif affectif qui risque de compliquer davantage l’embrouillamini… Et quid du modèle du couple comme épreuve obligé pour la maturité et sa réalisation personnelle ?

Narrations

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En y repensant, Yann devait reconnaître que son analyse n’avait pas abouti à la réalisation d’une relation fusionnelle, ni d’un partage, même temporaire, profond et complet avec un autre. Un demi-succès sans être un échec… Si lui-même ne correspondait toujours pas au modèle dominant du mâle hétérosexuel ayant fondé une famille – ce qui ne le perturbait plus outre mesure maintenant, comme lors de ses premiers pas d’adulte puisque le choix pourtant encore compliqué au XXe siècle de l’homosexualité (malgré sa normalisation sociale) était fait – il n’avait donc pas non plus à son actif une longue liaison avec la valeureuse figure de couple à mettre en avant. D’autant plus que la société avait fait d’énormes avancées vis à vis de ce sujet, notamment avec la récente reconnaissance officielle du mariage gay en France. Une lacune fondamentale dans son aventure humaine ?

Si la problématique (l’impossibilité de vivre une relation amoureuse durable et harmonieuse) n’avait pas été résolue, l’émancipation de la dictature de l’ego semblait néanmoins avoir été atteint, même partiellement. Mais était-ce du fait uniquement de son « travail » chez les psys ? L’échec successif dans ses relations amoureuses, ses mauvais choix et les différentes impasses qui en découlaient ne correspondaient-ils pas finalement à une contradiction, un désordre intérieur général, finalement toujours perturbant quand s’imposait la question du couple ? Peut-être aussi que les modèles gay malgré tout stéréotypés ne lui convenaient pas, il ne savait plus trop…

Il  avait plutôt cette impression, quelques années après avoir laissé en arrière l’approche psychanalytique, que tout cela était vain d’un point de vue amoureux. Qu’il avait toujours recherché l’Autre pour de mauvaises raisons, comme pour s’appuyer ou trouver des béquilles, mais que l’aide psy ne lui avait été d’aucun secours dans ce sens. Au moins avait-il senti son intelligence s’ébrouer, ses neurones se détendre. Il s’était recentré partiellement, s’était senti à sa place pendant le temps des séances, et les questions et les hypothèses soulevées le suivaient longtemps dans la rue, chez lui, en lui. S’il les additionnait, ça représentait un bon nombre d’heures, des kilomètres de questions et de réponses, qui devenaient elles-mêmes de nouvelles questions met si peu d’affirmations, ce qui prouvait son intérêt pour la chose, ou tout du moins avait souligné sa discipline et sa volonté.

Mais son cœur, combien de fois avait-il bondi de joie dans le cheminement d’une analyse thérapeutique ? Le palliatif d’un/une psy à ses côté ou plutôt en face, lui avait peut-être évité de rechercher et construire réellement une relation. Il en était resté au niveau du mental, à envisager des pistes et des solutions, à comprendre, mais si peu à vivre en phase avec un autre, ressentir et vibrer ensemble. Au moins, l’idée d’une relation exclusive comme antidote à sa problématique s’était progressivement neutralisée…

Le toit du Moi

Assurément cette remise question de soi, cette mise en relief des excroissances un peu ambarassantes de son mental et de ses sens avait innervé sa vie et avait eu un impact au moins sur sa création aristique, certains choix de vie. Mais pas sur sa réalité amoureuse. Restait donc cette impression de s’être illusionné, que la routine des rendez-vous l’avait plus endormi qu’éveillé émotionnellement, qu’il avait dévié de sa problématique principale vers la fin ou en cours de roue, à savoir son énorme manque affectif, jamais comblé depuis le décès de sa mère aux prémisses de l’adolescence. Cette formule consacrée lui revenait : « Si ça ne va pas, tu devrais consulter ». Pourtant, il n’avait jamais ressenti la solitude comme une tare, et ne pas trouver l’âme sœur n’est pas considéré comme un trouble mental. Par contre, la complexité des sentiments et la confusion affective brouille la vue et les actions. Mais la quête amoureuse n’est-elle pas, elle aussi, une énorme projection, ne faut-t-il pas continuer à s’illusionner toujours un peu afin de faire durer un couple ?…

Envolés, les agencements savants des paroles séduisantes et dansantes que sa bouche se plaisait à formuler avec gourmandise. Effacées, les circonvolutions parfois affolées que ses yeux avaient également tracé sur les murs, sur des plafonds devenus familiers. Il lui semblait avoir aujourd’hui pris une distance confortable avec ce processus qui conduit à vouloir donner du sens caché à chaque geste du quotidien, à chaque parole, et à investir la réalité avec de la symbolique, des images, des reflets qui toujours nous renverraient à notre propre vécu intérieur, s’enfonçant davantage dans les obscurités de l’inconscient, des souvenirs et du doute.

« Quand je sens que je ne suis pas, je me rencontre… »

Plutôt que de suivre ce sentier obscur dans l’intimité de son soi, il avait à nouveau allumé la lumière pour embrasser la réalité, s’y jeter à corps perdu afin d’y trouver des réponses, d’y ressentir des émotions neuves. Il était parti, avait pris la poudre d’escampette au Mexique pour de nouvelles aventures, pouvoir encore se tromper et se rechercher dans un nouveau cadre de vie.

Il s’était aussi enivré de sexe, avait multiplié les jeux de miroir avec d’autres hommes, avec des femmes dans des amitiés choisies selon les attirances propres à différentes périodes de sa vie. Que de tentatives encore pour ressusciter le désir, et inévitablement tisser des liens amoureux, se mettre en attente ou en quête de l’être adoré. S’était-il lui-même un peu trop oublié ? Non, il s’était donné et avait beaucoup reçu. Il pouvait comprendre mieux certaines articulations relationnelles, ses penchants en fonction de tel type de profil, de physique, mais multipliait les tentatives sans issue réele, car il continuait à considérer comme la plupart de ses contemporains occidentaux l’autre sous une forme réifiée et réductrice dans le cadre très lare de la société capitaliste de la consommation, de la vaine consumation. Pour autant, l’exercice était délicat, parfois périlleux : soupeser les fils qui nous lient les uns aux autres et envisager l’infinité des cheminements de la pensée, le poids du pathos, comme l’infinité des directions prises par chacun en fonction de son caractère, de son objectif ou de son destin et des ses besoins. Pouvait-il se situer parmi ces trajectoires infinies ? Pouvait-on vraiment se rencontrer et se connaître avec de telles dispositions ?? Il lui semblait à défaut qu’il participait d’une quête commune, ainsi ne sentait pas seul, et son état affectif variait en fonction des remous existentiels comme tout le monde.

Certains objectifs en particulier, après le confort matériel et la reconnaissance sociale, réunissent beaucoup d’êtres humains : la quête d’un alter-ego, d’un miroir positif, d’un substitut maternel ou paternel, un double cosmique… Travers qu’on peut analyser sous le versant romantique et idéaliste, voire infantile et régressif, mais qui peut être vu également sous l’angle de l’impératif social, dans sa volonté de normaliser le vécu amoureux, les pulsions sexuelles et affectives pouvant être très violentes et déstabilisantes socialement, voire dangereuses. Il faut donc prendre en compte ces tensions, la dépendance comme la frustration physiologique ou sentimentale qui découlent des liens que nous créons dans ce déphasage entre réel et idéal, afin de pouvoir harmoniser ses variations ou déficits de niveaux énergétiques et continuer à être en phase, aussi bien avec ses besoins profonds au niveau concret qu’avec ses rêves et ses désirs – mais en quoi ces deux derniers ne seraient pas moins fondamentaux, existentiels ? Aimer apporte un sentiment d’appartenance universelle, mais sert aussi à avancer car le désir en général comme la volupté et la sensualité sont les principaux moteurs de la libido. Pourtant, où se cache l’amour, ce matériau essentiel à la vie ? Partout dans la beauté de ce monde, dans le chant des oiseaux, un coucher de soleil, mais si peu dans le creuset d’une seule personne réelle !

***

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La grande machine à faire parler l’inconscient avait envahi les consciences. Yann se rappelait de discussions avec des amis, des amies surtout, qui suivaient également une analyse. Ils se réjouissaient des passe-passe et des écrans de fumée qui hantent les séances de psychothérapie. Sans déflorer tous les thèmes abordés, le thème de la configuration familiale – celui de la famille toxique surtout – revenait très fréquemment et ils sentaient une complicité secrète se nouer dans cet effort commun de toucher enfin chacun son Graal. Comme des étudiants qui se motivent pour un examen, comme dans un cercle d’initiés, comme pour une quête initiatique, un voyage intérieur sous couvert du sempiternel développement personnel : une formule pléonasme car notre passage sur terre est une constante transformation, adaptation, évolution, parfois menant à une forme d’éveil et notre psyché est toujours sujette à des transformations, volontaires ou involontaires tout au long de la vie.

Ils savaient qu’une parole qui ne conduit pas au final à un acte constructif est une parole vaine, mais ils se gargarisaient de mots usés en séance, qui tournaient dans leurs bouches comme des poissons rouges dans un bocal, finalement muets et impuissants. Leurs cœurs demandaient des émotions fortes, leurs corps frustrés attendaient des satisfactions sensuelles et sexuelles, mais ils privilégiaient le fait de boire la vie par le filtre de la parole… Au moins l’intellect se délectait-il de ces pirouettes et de ces entrechats. Ainsi, avant d’être en phase avec la vie même et ses énergies constructives, ils arrivaient à créer de belles boucles narratives et réflexives, à enjoliver le sapin de Noël que l’enfant continue d’arroser, tout au fond de l’adulte qu’il est devenu. La vie sait parfois faire de beaux cadeaux ! Mais c’est chez le psy qu’ils achetaient l’emballage.

Certes une analyse aide à se positionner, Yann ne reviendrait pas là-dessus. Mais par exemple, la pratique du yoga – et il l’avait su dès les premières tentatives de rester assis à genou en souffrant sur ses jambes repliées, dans la position dite du diamant – l’accompagnerait toute sa vie durant, tandis qu’il ne voyait plus aujourd’hui l’intérêt de franchir à nouveau le seuil du cabinet d’un psy.

Cette routine de la séance analytique, devenue une facilité grâce à une revenu décent, avait nourri son besoin de connaissance du monde, de son monde intérieur certes, mais aussi son besoin de réguler son relationnel. Pas plus, pas moins : il était entré en analyse par nécessité, une nécessité finalement aussi aigüe que celle de travailler, pour manger et tenir un rôle social. Ainsi, en parallèle du milieu de l’édition ou de la publicité et des quelques figures marquantes qu’il y avait croisées et qui l’avaient aidé à se construire, Yann avait découvert la psychothérapie en tant que patient mais aussi client, à travers une pratique morcelée dans laquelle il cherchait toujours la cohérence. L’expérience du cabinet elle-même lui semblait plus intéressante – une curiosité des choses de la vie insatiable – que l’analyse de ses propres phylactères, déroulés généreusement par kilomètres dans l’espace intime et confiné du cabinet noir. Il se laissait porter par la dynamique de l’échange entre quatre murs, et cherchait plus le confort intellectuel que la résolution de problématiques ardues. On s’y retrouve à deux, un émetteur et un récepteur dans la dynamique de projection et contre-projection pour aller vers un soi-même démultiplié, dans le labyrinthe de ses entrailles, comme dans les archives d’une mémoire collective… Cet entretien du Moi-Narcisse lui plaisait. Et puis ce sentiment amplement cultivé d’appartenir à une élite, d’entrer dans le vaste club d’une intelligentsia globalisée, qui lui paraissait aujourd’hui tout simplement ridicule et prétentieux.

Postures et impostures

« J’éjacule des larmes $$ »

Il y a une esthétique de la psy, à laquelle thérapeutes comme patients dérogent très rarement. La situation formelle de la consultation dans laquelle le décorum importe également. On pensera bien sûr au  mobilier de style accompagné du tapis persan, de bibelots variés de type cabinet de curiosité, bref le décor du cabinet « à la Freud » un peu suranné, qui a fait le tour du monde. Il faut savoir mettre le névrosé à son aise et meubler les séances…  

Plus encore que le décor, qui normalise les rôles et les pétrifie, se développe souvent une relation où les corps s’absentent pendant que l’esprit ondule, et qui invite les conventions sociales jusque sur le divan. Si elle permet un minimum de distanciation du thérapeute vis-à-vis de son patient, elle établit ou laisse un certain nombre de barrières là où de larges passages devraient s’ouvrir. Mais quel type de barrières, affectives, sexuelles, fraternelles ?… Le phénomène du transfert /contre-transfert entraîne lui même un transport dans les différents niveaux spirituels, que demander de plus dans ce contexte ?

Avoir le temps, les moyens et les capacités intellectuelles d’engager une psychothérapie est de fait un marqueur social fort, qu’on dévoile bien plus facilement aujourd’hui, alors qu’il y a encore une ou deux générations, une telle démarche était considérée comme honteuse et dépravante. Au XXIe siècle,  l’injonction du bien être est partout, au point de culpabiliser ceux et celles qui ne se sentent pas intégralement en phase avec eux-mêmes ou ne disposent pas d’un mental supposé parfaitement équilibré.

La psychologie est donc devenue un marché divers et très vaste, avec la création d’une immense population d’obligés. D’un point de vue économique, c’est une nouvelle niche commerciale pour un domaine médical, au départ balbutiant et relié aux « maladies mentales ». Une aventure initiée par la psychanalyse freudienne au sein d’une élite socioculturelle et intellectuelle pour cette frange de la population, puis plus largement pour une caste aisée. Grâce aux différentes formes de psychothérapie mais aussi à la médication galopante, la pratique s’est étendue ensuite à une portion beaucoup plus large de la population. Et on ne compte plus aujourd’hui le nombre de publications abordant le sujet, chaque magazine féminin délivre son petit conseil psy-séduction, psy-famille, psy-bien-être du mois !… Il est facile donc, avec tant de règles et d’arcannes dévoilées, de tenir un rôle et de jouer le jeu.

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Oeuvre de Sarah Goaër, Veta Grande, Zacatecas

Quelle place tient exactement la psychanalyse dans notre société ? Après avoir pris une ampleur incroyable au point de tenir un rôle de premier plan dans les pays occidentaux développés, elle semble actuellement en panne, voire en repli. Les grandes figures de la profession de défraient plus la chronique, les découvertes cliniques non plus. Comme leurs patients, ils paraissent se satisfaire de la routine, voire de la confidentialité. Ce sont les communiquants et la logique marchande qui ont pris les devants de la scène médiatique, le commun des mortels s’y frotte grâce aux réseaux sociaux et à Youtube. La vague psy s’est aplanie, elle s’est réfugiée dans le traitement des cas particuliers, des individualités. Très rares sont les personnalités du milieu qui osent prendre position sur des sujets de société et dénoncer l’énorme aliénation en cours à l’échelle mondiale, les dangers qui se précisent. Une neutralité de bon aloi sur la politique ou l’économique, l’écologie également, permet de préserver un grand marché de dupes. Il faut cependant noter la combativité de Gérard Miller, qui est un rare psychanalyste à affirmer des positions politiques progressistes, humanistes qui malmènent la grande foire consumériste au sein de la société-spectacle. À moins qu’il n’en soit lui-même un élément de plus.

Résilience, nom féminin – 1. Physique : valeur caractérisant la résistance au choc d’un métal – 2. Psychique : capacité à surmonter les chocs traumatiques, à se reconstruire et s’adapter.

De temps en temps pourtant, une notion phare permet de régénérer le débat public sur le sujet. Ainsi le terme de résilience que le neurologue, psychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik a « inventé » et mis à la mode il y a quelques années. Il a su admirablement bien faire glisser ce terme, issu de la physique, dans le langage courant pour animer les dîners : cette idée qu’un corps revient ou souhaite revenir à son état initial, naturellement, après un traumatisme. Ou plus particulièrement pour la psychologie, c’est cette capacité à dépasser un stress post-traumatique pour se reconstruire.  Sous cet aspect, ce terme est séduisant car il induit l’idée que le principal objectif est de revenir à un état idéal ou à une position moyenne, standard… Mais lequel, puisque nous vivons dans le changement perpétuel, puisque notre vie ressemble à cette rivière dans laquelle on ne se baignera jamais dans la même eau. Ou serait-ce cet état d’innocence et de pureté initiale de l’enfance, que pourtant Freud s’est attelé à démontrer qu’il n’existe pas ? Ce qui reviendrait à dire que l’expérience et la complexité du monde sont accessoires, puisque l’essentiel est de retourner à un état parfait, d’être au confort dans sa coquille. Pourtant, la vie est fondamentalement inconfortable, ce qui nous pousse à agir et à nous remodeler, à nous affiner et à changer de points de vue.

« Nous cherchons toujours à jeter un pont entre ce qui est et ce qui devrait être, et par là donnons naissance à un état de contradiction et de conflit où se perdent toutes nos énergies. »

Jiddu Krishnamurti

En travaillant sur l’individu, sur le particulier, sur le local, la psychanalyse a-t-elle réussi à changer le monde ? Les pays conquérants de l’Europe et d’Amérique ont-ils évolué en mieux depuis 130 ans environ que ce type de cure est apparu ? Les hommes et les femmes modernes sont-ils plus conscients, plus humanistes, plus transparents pour eux-mêmes, plus responsables ?

Par capillarité, les effets bénéfiques de la psychanalyse sur nombre d’individus – et pas des moindres, ceux principalement issus des classes moyennes supérieures, des professions intellectuelles, cadres, responsables d’entreprise, tant d’acteurs de premier plan de la société postmoderne – auraient dû remonter par les liens personnels et les réseaux professionnels au cœur même des interactions humaines, des choix de société ; par exemple en neutralisant les schémas contre-productifs comme les lourdeurs hiérarchiques, les abus d’autorité inconscients ou encore les cadres paternalistes rigides, les relations de dépendance affectives, et irriguer d’une nouvelle sève l’ensemble du système, comme les petits ruisseaux font les grandes rivières. Or qu’en est-il de ce grand changement tant espéré par les pionniers de la psy et leurs disciples ? Un statu quo, un endoctrinement encore plus grand aux logiques de soumission, une fatigue généralisée des citoyens face à tant d’informations ingurgitées, une démission sur le terrain de la Cité et du politique ! Chacun préférant cultiver son jardin, jouir de sa liberté de penser et parfois de s’exprimer, tout en cautionnant les systèmes de domination les plus violents. Un conditionnement de l’intime couplé à un effacement sur le terrain social par défaut, un suivisme, une démission et un abandon d’une part de soi, la plus rebelle et réactive en quelque sorte…

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Allo maman bobo

L’altérité, qui est un socle de la vie en société, est en bien piteux état : augmentation du mal-être, recours massif aux drogues autorisées ou pas et autres corsets chimiques, dogmatiques, moraux pour contrer ce sentiment de solitude et d’impuissance contemporaine qui a envahi les esprits par tous les sens. De plus, les exigences maintes fois énoncées de performance, de compétition et d’autonomie dans les sociétés de type néolibéral sont difficilement compatibles avec les qualités de partage, de compréhension et d’écoute, nécessaires pour construire une relation durable. Les rapports humains ont perdu le liant érotique qui donnait tant de saveur au moindre des petits gestes du quotidien. On court donc chez le psy pour analyser ou se protéger d’un monde complexe et violent, individualiste pour gérer ses contradictions internes et ses phobies, mais aussi pour reconstituer son potentiel de séduction : on se rassurera quand à l’attraction, à l’intérêt qu’on provoque dans les yeux comme dans l’esprit du thérapeute, on brossera son narcissisme dans le sens du poil, en laissant pourtant son corps en suspens dans la salle d’attente.

Combien de patients sortent de chez leur psy, sans un regard d’empathie pour les migrants refoulés violemment par des robocops sur le trottoir d’en face, pour le SDF sans identité qui il y a encore 6 mois, était l’exemple type du jeune cadre dynamique ? De nouveaux modes de fonctionnement, de nouveaux modes relationnels se sont-ils mis en place ? Si on excepte le rapport au sexe, non, au bout de quatre ou cinq générations, la psychanalyse n’a pas changé le monde. Son impact fut surtout l’affaire de spécialistes en milieu fermé, la professionnalisation de tout un corps médical, en plus d’une banalisation avant tout littéraire et artistique.

Le côté Noir de la Force

Star Wars, George Lucas – trilogie 1 : 1977-1983 / trilogie 2 : 1999-2005 / trilogie 3 : 2015-2019

Et puis cet aspect reste encore le plus aimable de l’activité des spécialistes de notre inconscient. Ceux-ci accompagnent, soulagent, parfois guérissent, en toute bonne volonté. Mais que dire de l’implication des sciences cognitives dans toutes les techniques de manipulation qui nous innervent désormais : publicité, politique, économie, médias et désinformation, conditionnement, lobbying… Il existe aussi une collaboration active de psychologues de haute volée avec des idéologies de l’asservissement. Cette compromission a été initiée au début du XXe siècle par Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud et fils d’Anna Freud, émigré aux USA avec ses parents en 1892 (il avait alors un an et a donc grandi dans l’environnement nord-américain à New-York). Bernays s’auto-définit comme conseiller en relations publiques, agent de presse, plutôt que publicitaire, trop trivial. Il met au point les méthodes d’incitation à la consommation pour des firmes comme Lucky Strike, particulièrement pour les femmes. Ou comment transformer un poison pour la santé en objet de désir… En 1954, l’activité propagandiste d’Edward Bernays dans le domaine de la géopolitique s’exprime dans le soutien à la multinationale United Fruit Company et au gouvernement des États-Unis pour faciliter la réussite du renversement du président démocratiquement élu au Guatemala.

Cette instrumentalisation du psychisme via les découvertes psychiatriques, mais aussi les avancées spectaculaires de la communication d’entreprise et politique se pratique quotidiennement au sein des centres décisionnaires, dans les multinationales, dans les places financières, au sein même des Directions des Ressources Humaines (qui portent parfois très mal leur nom, voir les tratégies d’épuisement psychiques des employés de France Telecom dans l’article de Maxime Vivas sur LGS), dans les conseils en stratégies électorales de nos hommes et femmes politiques. Voici le côté obscur de la Force, tandis que les thérapeutes qui réparent montrent le beau visage de la profession, et nous font croire à la gloire de Luc Skywalker et de la Princesse Leila, ou qu’une hiérarchie de sages psychologues, tel Obi-Wan Kenobi et des Elfes diaphanes de la trilogie du Seigneur des anneaux, veillent avec bienveillance sur la destinée des humains.

Obscures collaborations

Plus généralement, les faiseurs d’opinion, les sociologues et les psys dragués par les grands médias participent à la fabrication ce grand rideau de fumée, tendu par le système actuel de domination du capital devant la réalité des choses et des vérités sensiblement différentes. Ce décalage entre les rêves ou les projections de certains, et la réalité vécue par la majorité, est actuellement résumé par le terme de dissonance cognitive. Si la réalité des conditions de vie de la population, si la décision des électeurs ne correspond pas aux points de vues et aux choix de la classe dominante, pétrie de conventions bourgeoises et d’hypocrisie, il faut tout simplement changer la perception de la réalité ; sinon, par des procédures souterraines, remettre le peuple sur le droit chemin du productivisme/consumérisme et du nihilisme postmoderne.

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Finalement, la psy est fille du capitalisme. Cette idéologie qui chosifie jusqu’à nos sentiments, nos existences en donnant une valeur financière à tout, dépoétise et déshumanise tout ; qui en voulant créer du profit pour une minorité, engendre toujours plus de déséquilibres et d’inégalités pour la majorité ; qui, en créant des besoins, crée aussi des manques et des frustrations au niveau matériel comme émotionnel. Par exemple, après les romans sentimentaux, le cinéma et la publicité ont popularisé le mythe romantique du Grand Amour. Ils ont aussi particulièrement idéalisé le rôle de la famille, de l’homme viril, du démiurge. Et la pression qui s’exerce à tous les niveaux pour réussir sa vie, s’épanouir sur le plan social  ou professionnel, amical, amoureux donne en creux une vision triste d’une vie tempérée, équilibrée, banale, d’un parcours qui n’est pas celui d’un winner. Dans son besoin d’adaptation aux mouvements de la société – qu’elle ne maîtrise jamais entièrement – de légitimation, et donc dans celui de perdurer, la société bourgeoise a donc généré une discipline qui permet de traiter ses effets pervers et destructeurs, comme un corps malade qui fabrique ses anticorps. Sœur du spleen baudelairien et accoucheuse du malaise dans la culture, la psychanalyse ne serait-elle qu’un épiphénomène, qui tendra à disparaître quand le monde changera de paradigmes, de valeurs et que la figure de l’individu tout puissant, mais aussi la finance déifiée, ne sera plus centrale ?

“L’énergie motrice du capitalisme est celle de la pulsion de mort, au sens freudien, heureusement mise au service de la croissance.”

Le capitalisme et la pulsion de mort. Bernard Maris – Gilles Dostaler

 

Le baiser de l’étoile noire

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L’attraction-répulsion que provoque la figure du psy avec le phénomène du transfert affectif, et plus généralement le climat de mystère qui émane d’une analyse, la peur de l’abîmes des mots et la plongée dans les niveaux de conscience, me font penser à ces trous noirs, ou étoiles noires, qui après implosion et réduction en une masse d’une densité extrême, attirent les corps célestes qui passent à leur proximité. Ils attirent même lumière et énergie. Récemment, des astrophysiciens ont constaté que ces monstres interstellaires recrachent pourtant, de temps en temps de la lumière…

Un psy, pour pratiquer, doit au préalable avoir suivi une analyse, ou peut même ressentir le besoin de prolonger la sienne en pratiquant. Il doit cependant conclure un grand cycle avec « l’analyse quatrième » (selon le Quatrième Groupe), ou encore la passe, moment où il soumet à un petit collège de pairs, des sommités de la profession ou des collègues plus expérimentés, l’analyse de son analyse. C’est un dispositif de contrôle et de supervision de la matière analytique, qui donnera autorité ou pas dans la profession.

Ce processus de contrôle et de sanction, qui est aussi une mise en abîme, est certainement passionnant. Pour autant, il faut admettre l’univers de la psychanalyse, et plus généralement de la psychothérapie, se nourrit des névroses et des refoulements des uns et des autres. Le psy semble avoir réglé ses problématiques personnelles les plus lourdes, mais la dynamique qui relie patient et thérapeute est un même mouvement qui va de deux ou plusieurs expériences individuelles, passant par un filtre d’expertise, de théories empiriques et d’un thesaurus de la profession ; donc un groupe, un collectif limité considéré parfois, à mauvais escient comme une secte, dans lequel l’universel ou l’accès à d’autres formes de thérapies, d’autres formes d’expériences humaines, de transcendance et de sublimation restent au second plan. Bref, on décrit des mouvements concentriques de plus en plus amples, mais le Moi, l’ego et la souffrance mentale, les diverses somatisations reste le centre de toute l’architecture thérapeutiques. Quand on se sent bien, en phase avec soi-même, inutile de consulter… Quoique, répondent certains professionnels de la santé mentale, certains patients convaincus. Serait-il salutaire que chacun entreprenne une psychanalyse dès son plus jeune âe, afin de jalonner le chemin à faire, construire des contre-feux et anticorps, afin de parer au mieux ? Mais alors, nos erreurs dans l’expérience de la vie, sur un plus large plan que la recherche ou la fortification de son confort mental, à quoi servirait-elle ?

L’issue ne serait-il pas le décentrement justement, ou encore le détachement prôné par le boudhisme et les philosophies orientales ? Savoir relativiser ses problématiques et ses doutes en regard de l’autre, des autres, certes, mais aussi se libérer de cette tyrannie du Moi, qui semble ici, telle la force d’attraction des planètes entre elles, le mécanisme principal de toute la complexité des relations humaines. Chercher une forme de neutralité dans notre rapport au monde n’a pas de racine dans la culture dite judéo-chrétienne, dans les grandes civilisations méditerranéennes, européennes. Peut-être du côté du chamanisme slave, en Sibérie orientale…

Repenser le postulat de la relation exclusive (à la mère, à son psy, à son miroir, au sein du couple…). Les trous noirs seraient des portes d’accès à d’autres espace-temps, à la quatrième dimension. Pourtant l’analyse ne doit pas être une échappatoire vers d’autres mondes idéalisés ou fantastiques, mais une prise de conscience, ici et maintenant. C’est bien pour cela que la pratique d’une analyse, selon la méthode et les objectifs actuels, est difficilement couronnée de succès dans le cadre actuel, car elle enferme dans un tissu de confort, dans les voiles de la projection et de la symbolique plus qu’elle ne libère le fil de la parole. Ah, ce thème œdipien cent fois scandé, le retour à la mère ou le meurtre du père comme triste salvation des âmes en peine…

« Une chose que beaucoup ont cachée ou n’ont pas voulu voir : Freud était beaucoup plus névrosé que ce qu’il a laissé paraître. Ses comportements variaient de l’admirable (lors de sa maladie) à l’odieux (avec ses disciples, par exemple). »

Emilio Rodrigué

Sur l’écran noir de mes nuits blanches…

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Il est remarquable de constater que la naissance de la psychanalyse coïncide parfaitement avec la naissance du cinéma, vers la fin du XIXe siècle, exactement en 1985. Le 7e art et la pratique analytique, tous les deux en devenir, proposent de (re)vivre en différé une histoire, une narration, des émotions, des drames et des passions… De rejouer jusqu’à la perfection un événement, en utilisant des acteurs, en usant de montages, de coupures et d’ellipses significatives, de fondus enchaînés. Bref, de construire un univers basé sur les rêves, les désirs et la projection, dans l’espace d’un cabinet noir, d’une camera oscura ou d’une salle de cinéma.

Pour autant, on sait que le film se termine quand apparait sur le grand écran le mot FIN suivi du générique, alors qu’on ne sait jamais exactement quand et comment conclure une psychothérapie, dont on est à la fois le scénariste, le réalisateur et l’acteur principal. Même après avoir conclu un cycle, un épilogue est toujours possible, grande la tentation de rallonger la sauce avec un nouvel épisode, une suite, le make off qui vous donnera toujours le premier rôle, changera la profondeur de champ, les angles, tout en vous provoquant encore un frisson du suspens et de nouveauté. La narration autour du Moi peut sans cesse s’enrichir, mais ne s’agit-il pas de percer l’écran, de traverser ce Moi ?…

S’il y a une figure cinématographique particulièrement représentative de cette imbrication ciné-psy, c’est bien Woody Allen. Mettant en scène ses propres névroses personnelles, ses problématiques familiales et la pulsion sexuelle, il a su capter l’attention de nombreux spectateurs dans le monde, et particulièrement en France. Ce personnage égocentrique et misogyne a concentré, dans son obsession de la recherche de satisfactions immédiates (en général le sexe, la reconnaissance et l’aisance matérielle qui va de soi), la quête du serpent qui se mord la queue et n’est jamais satisfait, celle du consommateur blasé ou du citoyen postmoderne désabusé, qui est formaté par un système et ne s’en échappe qu’á travers de micro aventures qui prendront une dimension universelle le temps de la projection et grâce à la magie d’une chaîne de production-distribution parfaitement huilée et de plus en plus attendue et consensuelle.

Woody est devenu une caricature. Il représente cet homme postmoderne souffrant de manques cruels, qui ne peut pas s’aimer mais qui exige que les autres l’aiment. Comme il ne pourra définitivement pas changer, il prend la posture comique, sentimentale ou attristé, fait de la diversion son unique moteur – diversion également dans les thèmes et les styles cinématographiques, tout au long de la carrière de l’auteur, la constante étant l’environnement familial et privé omniprésent – car il a tellement peur que ses repères bien confortables dans lesquels s’épanouissent ses phobies disparaissent. Un anti-héro moderne certes, mais aussi un contre-exemple pour une libération personnelle.

« il existe une loi de la nature qui pousse l’homme aussi bien à s’aimer lui-même et à s’unir (s’intégrer) à lui-même (Éros agissant en faveur du Moi) qu’à aimer son prochain et à s’unir avec lui (Éros agissant en faveur des objets, le poussant à s’identifier à eux). Et cette loi le pousse, enfin, à lutter avec cette force (Éros) contre Thanatos… Éros, notamment indique en tant que voie et fin : sur le plan pulsionnel, l’union sexuelle ; sur le plan des sentiments, l’amour ; sur le plan mental, la connaissance, qui est également l’union entre le sujet et les objets ; et sur le plan spirituel, volitif, éthique ou quelle que soit l’appellation qu’on veuille donner au plan spécifiquement humain, l’union entre la connaissance des lois de la nature et ce que l’homme fait, cette connaissance devant se transformer en loi de notre volonté et notre action. »

Leon Grinberg

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L’éclipse de l’Autre

La logique narrative, qui nous pousse à simplifier et à réécrire, mais aussi à uniformiser et à lisser le fil de notre vie pour lui donner du sens, parfois un sens unique, a-t-elle appauvri les relations humaines ? Je ne sais pas si dans ce processus d’autonomisation, chacun y a plus à gagner qu’à perdre… Cela dépend à quelle partie de notre être on s’adresse. Le fait de se conscientiser sur ses actes ou la moindre de ses paroles peut être vu comme un progrès, mais c’est aussi une manière de s’isoler du reste des interactions humaines. Or la solitude est souvent envisagée comme une mise à l’écart, alors qu’un repli sur soi, une autoréflexion devrait permettre vivre en bonne entente avec soi, de s’entendre et de s’écouter, et enfin de relativiser, de méditer. Pour cette dernière action, il est nécessaire de savoir s’ouvrir en s’abandonnant et donc de travailler sur certains blocages. Et surtout de vivre les choses au moment présent, et non en différé dans le cabinet du psy. Un cheminement qui ne peut se faire que dans un contexte « réel », c’est pourquoi une analyse qui ne se prolonge en dehors ne sert à rien qu’à l’autosatisfaction, une forme de masturbation intellectuelle…

« La solitude n’arrive pas du fait de ne pas avoir de personnes autour de toi, mais pour ne pas pouvoir communiquer les choses qui te semblent importantes, ou pour maintenir certains points de vue que les autres considèrent inadmissibles. »

Carl Gustav Jung

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Pore ceramique – Claudia Fontes

Pour autant, nous vivons dans une société qui a rompu les liens avec l’univers en tant que cosmogonie, comme avec son environnement immédiat. En prenant nos désirs pour la réalité, nous risquons de devenir des êtres hors sol. Or aujourd’hui, après la mort de l’idée de Dieu, nous voici responsables de notre monde intérieur comme extérieur, et le seul retour censé vers nos origines comme le sens de notre destin, la quête d’un futur désirable, me semble être une question éminemment écologique, car de notre impact sur la Terre dépend la survie de l’espèce humaine, ainsi que de celle de nombreuses autres espèces végétales et animales.

Pourquoi notre mode de vie porte au pinacle la relation amoureuse parfaite, le rêve d’une la plénitude qui sera toujours momentanée et en pointillé pour le meilleur des cas, alors que notre attention, notre effort, notre amour pourrait aussi se porter sur d’autres sujets non moins essentiels pour notre existence ? Or, dans la hiérarchie de nos priorités, la conscience du commun (mise en avant par le communisme et pervertie par tous les types de stalinisme et de fascisme) occupe une part infime de nos préoccupations concrètes. Ainsi l’électeur ou l’électrice, par exemple pour les prochaines élections présidentielles en France en 2017, qui in fine va avant tout se choisir une figure tutélaire, un substitut sentimental, un père ou une mère autoritaire qui le déresponsabilisera, plutôt qu’un programme qui porte des choix et des options politiques déterminantes qu’il ou elle partage. On reste dans l’irrationnel, pour un sujet qui exige toute sa raison.

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Ondes gravitationnelles – copyright NASA

Dans  cette perspective, la sublimation de l’Amour en tant qu’aventure personnelle et comme unique levier à portée de main, est un pis-aller. Quand on recherche à se libérer, pourquoi sacraliser un nouveau lien, un attachement unique et exclusif ? Je me rappelle de ces deux amis parisiens vivant en couple avec leurs deux filles métisses, qui représentaient pour moi l’exemple type d’une relation fusionnelle alors qu’entre deux déchirements, tromperies et hypocrisies familiales, ceux-ci me décrivaient combien l’amour pouvait être une maladie, un enfermement (enfermedad en espagnol), un attachement supplémentaire. Ils me disaient aussi qu’en couple, ils n’étaient non pas 2 mais 4, chacun enfermé dans sa dualité, à se battre et à s’épuiser, quand les bases de la relation sont biaisées puisque posées sur le besoin de l’autre comme supplétif. Et c’est demander à son ou sa partenaire de jouer, à son corps défendant, le rôle de confident(e), mais aussi de l’analyste ou du / de la thérapeute. Et inversement…

La résolution du dualisme

La fusion amoureuse est-elle à mettre en parallèle ou en opposition avec la fusion avec soi, en soi ? Certainement, mais laquelle des deux ressemble davantage à un mirage, une chimère ? Laquelle est la plus persistante ? Afin de ne pas se battre douloureusement, inutilement à deux, dépasser ses propres contradictions est révélateur, et c’est souvent le travail d’une vie… On pense au double divin, mais aussi au fait que nous avons deux hémisphères cérébraux, un gauche et un droit qui abritent différentes fonctions et parfois se contredisent, s’opposent… On doit apprendre à composer avec cette dualité dans l’absolu, mais aussi au jour le jour : savoir quelle fonction mentale est plus apte à traiter un problème particulier, ce qui relève de l’affect et comment nos sentiments nous aident à nous construire et non à complexifier les situations bien réelles que nous vivons, que nous provoquons. On pense aussi au manichéisme qui explique qu’en nous se mêlent et se confondent le bien et le mal, le lumineux et l’obscur… et donc à accepter notre condition humaine.

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Avant toute décision importante, il faut laissons les choses influer et se décanter, la solution se mettre en place grâce notamment à l’introspection, la méditation. Le temps sait faire son œuvre. Or le capitalisme du flux tendu a un besoin vital de décision immédiates, de trancher dans le vif en d’urgence, au quart de seconde ; c’est même de l’ordre du centième de seconde pour les ordres boursiers pris par des machines selon les algorithmes afin ne pas louper une bonne affaire, une plus-value, un bénéfice financier temporaire. Le pléonasme intelligence artificielle (IA) partout en vogue illustre notre chute ontologique. Selon cette logique omniprésente, le temps long n’est pas rentable ni profitable, le futur est trop abstrait…

D’une même manière, notre espace intime est compartimenté par la nécessité d’hyperspécialisation du monde du travail et des tâches sociales. Nous nous devons de fluidifier nos circuits neuronaux, voire de les court-circuiter pour être plus « productifs » et participer de la réalité purement sociale et matérialiste. Nous devons nous conformer et parer au plus urgent : survivre socialement. Notre réalité n’est plus reliée aux souffles universels, c’est la raison pour laquelle nous croyons que la seule issue est le Moi. Voyons ce que propose Carl Gustav Jung :

Selon Jung, le but d’une vie est de passer de l’ego, notre petite personne, au grand Soi grâce au « processus d’individuation ». Il s’agit d’un cheminement intérieur par lequel nous allons tenter de devenir le plus conscient possible, afin de nous « auto-engendrer » en tant qu’individu particulier, homme parmi les hommes, mais unique. Une seconde naissance, en quelque sorte. Pour Jung, l’enjeu est d’importance.

Jung ne coupe pas le contact avec l’extérieur, qu’il considère comme notre milieu vital. Il s’intéresse particulièrement à l’articulation des univers et des niveaux de conscience, et donc à la communication, aux passages entre différentes zones. Il parle même « (…) des épousailles, dans l’être, de son conscient et de son inconscient ». Intégration, incarnation de l’ÊTRE.

Contrairement à Freud, Jung affirme que nous possédons deux inconscients : l’un individuel, où parlent nos névroses et conflits personnels ; et l’autre collectif, qui nous raconte une histoire universelle, peuplée de héros (Œdipe, Icare ou… la Belle au bois dormant) et de symboles communs à toute l’humanité. Car « devenir conscient de son soi, c’est permettre à l’univers de devenir conscient de lui-même ».

Freud n’a jamais pu faire de la psychanalyse une science exacte. Jung conseillait de vivre sa vie avant tout, intensément, pleinement… La pratique d’une cure analytique ne garantit pas non plus de succès de la chose. Aussi, il faut savoir alterner les états : se mettre en retrait, ne pas systématiquement vouloir occuper le premier plan pour laisser l’autre, le monde, la réalité advenir. Parfois au contraire, il faut se mettre en avant, s’exposer, s’aventurer, toujours dans cette idée de rencontrer l’autre, se positionner entre projections (et mirages) et réalité effective. Le nouvel équilibre est-il dynamique ou statique ?…

Connaître signifie « naître avec ». Renaître en soi grace à une meilleure prise en compte de toutes ses facultés et toutes ses facettes de son moi pour s’en affranchir et grandir avec un autre, avec d’autres, dans l’acceptation des projections et en favorisant des relations qui élèvent les différents champs de conscience. C’est la définition d’une analyse réussie comme d’une relation amoureuse adulte, plus consciente et ouverte au monde, à la fois fluide, vivante et curieuse. C’est ainsi que, en acceptant et en canalisant les ondes émotionnelles et les interférences vibrationnelles internes ou externes, une forme d’énergie indispensable à la vie en soi comme autour de soi, on peut enfin dépasser ses contradictions pour s’assumer en tant qu’être vivant entier, autonome, reconnaissant et heureux de son existence sur terre, mais aussi responsable et solidaire.

Photo en pause lente de l’espace – copyright NASA

« L’expérience est le nom que chacun donne à ses erreurs. »

Oscar Wilde

L’amour, c’est aussi la justesse, l’exactitude qui mènent vers les vérités indispensables à sa propre construction comme à celle de tout être humain. Il est parfois vécu comme une souffrance – la vérité sait être douloureuse quand la réalité s’impose – alors que c’est principalement une délivrance, l’abandon des liens régressifs, des faux-semblants. La conscience se libère, les perspectives s’ouvrent tandis qu’on se remet en bon ordre. On n’expérimente pas une division de soi mais une multiplication de tous ses potentiels. S’ils ne sont pas infinis, ils ne peuvent se résumer à adopter les stéréotypes et les prêt-à penser de son époque.

C   O    N    N        I     T     R     E

Yann s’était à nouveau frotté à la réalité, le Mexique lui avait ouvert les bras. Il y avait joui, respiré, étouffé, pleuré, aimé, il s’était dépassé et avait retrouvé toute la gamme des sentiments et du désir. Il avait aussi appris à accepter la complexité de l’humain, la pluralité des expériences et des options. En s’immergeant dans le courant vital et la dynamique relationnelle, en acceptant le jeu de la séduction, il avait pu remettre en synergie ce dont son esprit, son cœur et sa sexualité avaient principalement besoin : d’auto-écoute, de clarté et de cohérence. Ses confusions, retrouvées à l’autre bout du monde, l’avaient obligé à vivifier sa lueur intérieure.

Chaque cheminement est unique, chaque existence humaine représente un univers mystérieux, un agencement sophistiqué et délicat. Sachons repérer les indices, les personnes et les étoiles qui guident nos pas, afin de savoir danser sur les mélodies qui nous enchantent et le rythme qui s’accorde avec celui de notre cœur !

Toujours garder le cap, mû par la pulsion de vie et le désir du bien, du bon, du beau !!

Florent Hugoniot, Querétaro, avril 2017

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SOURCES :

https://www.legrandsoir.info/mediocratie-ultimes-soubresauts-de-l-ere-darwinienne.html

http://www.lexpress.fr/informations/la-psychanalyse-a-change-le-monde_636862.html

La fabrique de l’âme standard, par Eva Illouz : https://www.monde-diplomatique.fr/2011/11/ILLOUZ/46926

http://allodoxia.blog.lemonde.fr/2013/06/27/boris-cyrulnik-stop-ou-encore-partie2/

http://www.lepoint.fr/chroniques/pourquoi-les-mediocres-ont-pris-le-pouvoir-page-2-16-01-2016-2010535_2.php#xtatc=INT-500

https://blogs.mediapart.fr/diogene-junior/blog/251010/dix-strategies-de-manipulation-de-masses

Soyons spirituellement incorrects !

Carl Gustav Jung

https://fr.wikipedia.org/wiki/Carl_Gustav_Jung

https://fr.wikipedia.org/wiki/Psychologie_et_Alchimie

http://www.psychologies.com/Therapies/Psychanalyse/Inconscient/Articles-et-Dossiers/Pourquoi-Jung-est-a-la-mode/4Un-inconscient-peuple-de-divinites

Edward Louis Bernays

https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Bernays

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7 Responses to Sortir du labyrinthe de l’ego

  1. Les liens d’attachement : s’en libérer !
    Parce qu’on crée tous des liens d’attachement sans s’en rendre compte ! Mais d’abord, qu’est-ce que c’est ? Explication en BD : https://fannys.fr/les-liens-dattachement/

  2. Ping: Les mots nous mentent et nous aimantent | lapartmanquante

  3. Eva Illouz : « l’idéologie du bonheur est le bras armé du capitalisme »

    Dans « Happycratie », Eva Illouz et Edgar Cabanas s’attaquent avec brio à la dictature du bonheur. Un livre édifiant, important et urgent, pour comprendre l’emprise d’une idéologie devenue mondiale au service du pouvoir. Entretien avec la sociologue franco-israélienne.
    https://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20180820.OBS1055/eva-illouz-l-ideologie-du-bonheur-est-le-bras-arme-du-capitalisme.html

  4. Avatar de Yannis Yannis dit :

    La « passe », terme inventé par Lacan et qui marque la fin d’une analyse, dans une démarche de résué et de mise en évidence, en lumière des étapes les plus révélatriices du processus analytique : https://www.causefreudienne.net/quest-ce-que-la-passe-2/

  5. Human Ecology Fund, la mission de lavage de cerveau de la CIA

    « La pandémie de Covid et la guerre en Ukraine ont définitivement ouvert la voie aux guerres cognitives, un art de la guerre appelé à perdurer en raison de la concomitance de certains facteurs globaux, sociaux et technologiques.

    Dans les guerres cognitives, tout est ou peut être une arme : d’un canal Telegram à un groupe Facebook. Et la cible est unique : l’esprit. Ou plutôt, la domination de l’esprit. La science-fiction devient réalité : neuro-armes, technologie menticide, «candidats mandchous» (ndt : «programmés pour des attentats meurtriers»). Déstabilisation de sociétés entières par le biais d’influenceurs, de plateformes sociales, de blogs, d’armées de trolls et de messageries instantanées. (…) »

    https://reseauinternational.net/human-ecology-fund-la-mission-de-lavage-de-cerveau-de-la-cia/

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