Cage cherche canari

C’est l’histoire d’un canari couleur jaune pastel peluche. C’est l’histoire d’un petit messager du soleil qui s’était évadé d’un hypothétique chez lui pour arriver dans un provisoire chez moi. Ce jour-là, le canari portait une bague bleue à la patte droite, moi un pendentif vert au cou.

Il est entré par la baie coulissante laissée grande ouverte, sur la façade sud de la Maison de Verre, car il faisait chaud en ce milieu de journée d’octobre. Il s’est posé entre les bibelots de la première commode poussée contre la vitre avec d’autres objets décoratifs dans une sorte d’esquisse de jardin d’hiver exquis : petit mobilier de style, carafes en cristal, chaise longue en cuir noir copie Le Corbusier, tables basses et pots d’orchidées en feuilles.

Pas apeuré du tout, le canari a fait cui-cui puis initié un tour de propriétaire en voletant, se posant de ci de là et se heurtant parfois mollement contre les baies vitrées. Puis il est entré dans ma chambre, a testé quelques secondes le confort du lit bateau – sans me régaler d’une fiente sur le duvet, signe de respect et de bonne éducation – avant d’aller voleter encore dans les autres espaces.

Comme il semblait vouloir s’incruster dans l’appartement, j‘ai mis de l’eau dans une petite coupelle, des miettes de pain complet avec ses graines dans une deuxième. J‘ai posé le tout sur une petite étagère d’angle en hauteur, à la sortie sur la terrasse. Il a poussé une nouvelle série de cui-cui, ignoré les offrandes pour finalement repartir voir si l’herbe était plus verte chez les voisins du dessus. Il n’est revenu ni le lendemain, ni le surlendemain. Ensuite, le temps s’est rafraîchi. Il a fait quelques orages et la grande fenêtre est restée fermée. La piscine s’est recouverte d’un rideau en lamelles de plastique blanc, de la même facture que les rideaux de la Maison de Verre. La belle saison était finie.

On en a conclu que ce canari sorti de nulle part s’était échappé de son foyer, qu’il s’était perdu et cherchait sa cage. Peut-être était-il habitué au langage des humains, cet oiseau de compagnie bien élevé. Il me regardait d’une manière éveillée, concerné quand je lui parlais. Pourtant il n’est jamais réapparu. Je me suis donc dit que c’était un signe, après trois semaines passées à tenter de prendre mes marques, quelque part sur les collines, non loin du golf 18 trous Bastide de La Salette, au fond d’une pinède rocailleuse de plus en plus mangée par la construction de nouvelles villas.

Quelques semaines plus tard, j‘ai suivi l’exemple du canari. Je suis sorti, soulagé et sans gazouiller, par la porte d’entrée principale de la froide et obscure Maison de Verre.

Un jour avant de quitter précipitamment la Maison de Verre, j‘étais allé en vélo visiter « Le Village », la zone historique et touristique d’Allauch, juché sur un promontoire qui offre un magnifique panorama à 360 degrés, embrassant le massif des calanques, Notre-Dame de la Garde, l’Estaque et toute les vallées et montagnes environnant Allauch. J’en ai pris plein les mirettes et goûté une sérénité qui m’avait progressivement échappée dans mon premier lieu d’accueil à Marseille, où rapidement je suis passé de statut d’ami à celui de réfugié et d’intrus.

Quand, à mon retour, j‘allais sagement ranger la bicyclette dans le local qui servait de débarra, j‘ai entendu cloc-cloc au-dessus de moi. J’ai levé la tête et dans les airs profondément azurés, je vis une formation de cigognes parfaitement rangées en V. Pas celui de la victoire, mais celui des enVols. Il était temps de partir moi aussi !

Florent Hugoniot

La Cage aux oiseaux

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Professeur de littérature à Montréal, rédacteur en chef de la revue Argument et essayiste, Patrick Moreau a notamment publié Ces mots qui pensent à notre place (Liber, 2017) et La prose d’Alain Grandbois, ou Les voyages de Marco Polo (Nota bene, 2019).

https://www.ledevoir.com/opinion/idees/746262/point-de-vue-le-canari-dans-la-mine

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2 Responses to Cage cherche canari

  1. Avatar de Yanis Yanis dit :

    « En mi jardín, hace décadas que no cultivo el odio porque aprendí una dura lección que me puso la vida: que el odio termina estupidizando, porque nos hace perder objetividad frente a las cosas. El odio es ciego como el amor, pero el amor es creador y el odio nos destruye. »

    Pepe Mujica

  2. Avatar de Yanis Yanis dit :

    « Dans mon jardin, cela fait des décennies que je n’ai pas cultivé la haine parce que j’ai appris une dure leçon que m’a donnée la vie : la haine finit par rendre stupide, parce qu’elle nous fait perdre objectivité face aux choses. La haine est aveugle comme l’amour, mais l’amour est créateur tandis que la haine nous détruit. »

    Pepe Mujica, président de l’Uruguay entre 2010 et 2015

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