C’est Marseille bébé ! (4)

Coucher de soleil sur les îles du Frioul, Marseille décembre 2023

Où est donc passé le Marseille de Pagnol, celui de la trilogie Marius, Fanny et César, l’argot des marins, le parler gitan et l’accent de Fernandel ? Où se rencontre encore la marque fière du Comte de Monte-Christo d’Alexandre Dumas, incarné par Jean Marais ? Pourquoi s’est brisée la formidable vague jazzy qui fit de Marseille une terre d’accueil florissante pour les musiciens, depuis le Hot Club des Années folles au bar Le Pelle Mêle des années 1970-1980 ? Plus proche de nous, que reste-t-il de la puissante aventure du rap/hip-hop Marseillais avec IAM et la Fonky Family ? Dans les années 90, cette ville était en pleine ébullition artistique, dans l’invention de nouveaux codes et langages urbains, alors qu’aujourd’hui elle frémit à peine. Où est la verve joviale, loin de l’agressivité due à la vie chère, à la vie dure, dans une cité qui incarne le verbe haut ? Celle qui s’entend dans les films de Robert Guédiguian, avec son panthéon de personnages des environs de l’Estaque, au bagou et au cœur débordants… Peut-être que je n’ai pas su capter le poul de Marseille version 2024, que je n’ai fait que glisser sur les surfaces de cette ville, de peur de m’enfoncer dans ses bas-fonds et ses écueils partout apparents. En tout cas, je n’ai pas vraiment adhéré ni pégué !

La tchatche locale

Certainement, la richesse de la ville est avant tout dans sa culture populaire, ou plutôt ses cultures, puisque l’identité marseillaise est un agrégat de diverses et riches influences : provençale certes, mais aussi corse, italienne, maghrébine, ouest-africaine, levantine…  auxquelles il faut ajouter les particularismes des Pieds-noirs revenus d’Algérie, des populations juives et arméniennes réfugiées des pogroms, des Comoriens pour raison économique mais aussi de regroupement familial, la nouvelle vague asiatique venant d’Afghanistan en passant par la Turquie… Cette mosaïque des cultures a généré des mots et des expressions, principalement issues de la langue d’Oc, mais aussi d’autres d’origine gitane, espagnole et arabisante, venues se greffer sur un parler local haut en couleur, typique de l’esprit marseillais. Et tant que son parler populaire s’invente et se renouvelle, cela signifie que la cité phocéenne ne perd rien de sa dynamique propre, quasi existentielle !

Source : marseille-tourisme.com

L’horizon touristique, bien que valorisant les particularismes, semble de courte vue pour le développement d’une grande cité comme Marseille, mièvre dans ses perspectives plus commerciales que sociales, culturelles et artistiques, neutralisant le contexte historique dans lequel il s’implante (lire Street art Marseille 2023 – le Panier). Il est vrai que les matchs de foot avec l’OM ont été depuis des décennies et restent le plus grand événement à remuer les foules, on part donc de bas pour traiter d’identité et de culture populaire.

Pour autant, la série « Plus belle la vie » qui commença sur le petit écran en 2004 a cumulé 4.535 jours de diffusion jusqu’à 2022, presqu’une génération ! Ce phénomène emblématique de la post-vérité et de la mise en scène du quotidien dérivé de la téléréalité, a pris des proportions démesurées au vu de ses ambitions cinématographiques mais devint un véritable phénomène de société. La série a vendu une certaine image idéale, lissée et woke avant l’heure de Marseille dans toute la France. Elle donné à la ville une énorme attractivité, créant un appel d’air pour les « Venants » et jouant le rôle d’une immense page publicitaire remise à jour. Un genre de soft power marseillais, qui a généré de nombreux emplois dans le milieu des intermittents du spectacle. Un exemple parfait de la déconstruction puis du relookage de l’image de Marseille pour en faire un produit vite consommable, mais aussi vite jetable. De nombreux articles et études ont été écrits sur le sujet, voici quelques pistes pour aller plus loin dans l’enquête et la réflexion (voir liens en fin d’article) :

Voilà, j’ai tout dit de mes impressions marseillaises. J’ai même débordé du cadre de cette ville, car Marseille c’est aussi une France en concentré. Son destin régional a toujours fait le pas de deux avec celui plus largement national. D’ailleurs, « La Marseillaise » est bien devenu l’hymne de l’Hexagone depuis la Révolution. L’imagerie républicaine est partout présente sur les édifices de la cité, et les visages de Marianne, les grandes figures de notre histoire et destin communs issues des Arts et des Sciences se mêlent aux motifs d’inspiration maritime, sur les bas-reliefs des monuments commémoratifs, et dans les compositions sculpturales des fontaines.

Je disais, en introduction de cette dernière partie, que je n’ai pas « adhéré » à la ville. Cependant je dois reconnaître que, même après seulement quatre mois de réinsertion (et en observation) dans la cité phocéenne, les traces sont indélébiles. La première étape de mon retour au pays s’est passée là-bas, d’une manière assez chahutée, brutale même. Mais vu l’époque que nous traversons, c’est finalement un cheminement assez normal. Les citoyens français de n’importe quelle couleur de peau ayant vécu un long séjour à l’étranger et qui n’ont pas un boulot qui les attend bien au chaud en métropole, doivent tous traverser un genre de sas de sécurité autant administratif que virtuel, totalement inique : il faut prouver de trois mois de résidence à la même adresse en France afin que s’ouvrent les droits à la Sécu, mais aussi la possibilité d’être inscrit officiellement comme chercheur d’emploi. Trois mois de carence, c’est long quand on n’a pas un bon bas de laine et un matelas chez les potes pour dormir, étant donné la hausse continue, indécente de l’immobilier et plus généralement le coût de la vie. Migrants, réfugiés politiques, sans-papiers, aventuriers et routards, tous à la même enseigne ! Serait-ce une lecon de démocratie en temps réel ?

Plus sérieusement, c’est à se demander si le système ne s’est pas tendu, au point qu’il n’y ait plus que les riches expatriés et les salariés des multinationales made in France qui puissent aller et venir de par le vaste monde. Plus de place ni de facilité de déplacement pour les voyageurs aux moyens modestes ni pour les personnes aux parcours dits atypiques. En Macronie, royaume des inversions et des injustices, chacun doit se tenir bien sagement dans la case qui lui est au préalable imparti… Encore merci – joke – pour celles et ceux qui ont souhaité remettre une couche en 2022 pour un second quinquennat ! Avec la loi anti-immigration votée à la va-vite fin 2023, on atteint des summums d’ignominie, même si la question de l’immigration massive et incontrôlée mérite un débat national dépassionné : l’exemple des migrants à la poursuite du rêve européen, arrivés dans l’illégalité et dont trop échouent, misérables, largués et à moitié fous, dans les rue des alentours de la gare Saint Charles (s’ils ne meurent pas en Méditerranée), fut pour moi saisissant. Celui de types qui invectivent en arabe ou en français le Ciel à voix haute dans l’espace public également. Mais le pétage de plomb, sous cette forme ou d’autres, semble se répandre aussi dans toutes les catégories de la bourgeoisie française.

Footing sur la corniche, un dimanche matin de novembre 2023

Pour revenir une dernière fois sur ma tentative d’installation à Marseille, pour conclure ce travail d’écriture modelé par mes impressions de retour et qui a commencé avec C’est Marseille bébé ! (1), ce n’est pas forcément du bleu au cœur, blues à l’âme qui me restent de ce séjour, mais une palette de couleurs intenses et de sentiments beaucoup plus variées qu’un ciel de Provence immaculé et un peu frais d’une fin d’été.

Florent Hugoniot, Montpellier, janvier 2024

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SOURCES

https://fr.wikipedia.org/wiki/Hip-hop_%C3%A0_Marseille

https://culturejazz.fr/spip.php?article1957

https://www.cairn.info/plus-belle-la-vie-la-boite-a-histoires–9782130619376-page-7.htm

https://www.rtl.fr/culture/cine-series/plus-belle-la-vie-un-phenomene-sociologique-qui-a-rendu-marseille-plus-attractive-7900152018

https://www.rayonvertcinema.org/plus-belle-la-vie-typologies-sociales/

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2 Responses to C’est Marseille bébé ! (4)

  1. « Marseille fait partie du classement 2024 des meilleures villes au monde » Oui, mais :

    « À un moment, la cité phocéenne faisait partie de tellement de classements qu’on a dû tous vous les compiler dans cette liste. Notre belle Marseille récidive en faisant cette fois partie du classement des meilleures villes au monde 2024. Certes, elle ne brille pas dans les 10 premières places du podium – loin de là – mais mais ça valait tout de même la peine d’être mentionné ! (…) Pour le coup, Marseille figure presque tout en bas du classement, à la 45e place sur les 50 que compte cette liste. Le média nous dévoile néanmoins tous les atouts de notre ville méditerranéenne. Désigné capitale européenne de la culture, le site souligne que Marseille avec son Mucem et sa grotte Cosquer a su investir économiquement pour moderniser la ville et redorer sa réputation quelque peu malmenée. »

    https://marseillesecrete.com/marseille-meilleures-villes-monde/

  2. « Marseille chute dans le classement des villes et villages où il fait bon vivre !

    La cité phocéenne fait une chute vertigineuse de ce classement du bien-être citadin et quite même le top 100. »

    https://marseillesecrete.com/marseille-classement-bon-vivre/

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