Ronde est la Terre (1)

En regardant des photos prises lors de mon premier séjour au Mexique, je remarque que ce sont les vues d’intérieur qui m’ont tout d’abord inspiré : maison où j’étais hébergé, patio, fleurs du jardin, chambre que j’ai occupée à cette époque. Images certainement motivées par un besoin de recomposer un « chez moi », un autre refuge à des milliers de kilomètres de la France.

Puebla en 2011 comme Marseille en 2023 furent des sas d’entrée dans un nouveau monde, des espace-temps provisoires pour me poser plus durablement, ailleurs dans le pays. Pour autant, j’ai vécu des mois intenses à Puebla, j’y ai fait mes premiers pas en terre mexicaine et j’ai rapidement amélioré ma pratique de l’espagnol. Récemment, j’ai rapporté sur ce blog mes impressions marseillaises car cette ville ne m’a pas laissé indifférent non plus. Dans les deux cas, je fus saisi, ou bien par l’allégresse, la célérité et la vitalité mexicaine, la force des paysages, l’élégance, la persistance des vestiges coloniaux et précolombiens ; ou bien par la beauté millénaire de la ville portuaire, son histoire, mais aussi les stratégies de protection, la morosité persistante de ses habitants et l’effacement d’une culture populaire méditerranéenne.

Puebla, septembre 2011 – Photos Florent Hugoniot

J’ai eu la joie de célébrer l’année du Dragon d’eau en 2012 à Mexico, avec un groupe sympathique de Falun Dafa, mouvement spirituel inspiré du qi gong, de la méditation et du yoga, issu du taoïsme et du bouddhisme. Aujourd’hui que se célèbre de nouveau cette année du Dragon de bois en 2024, je suis invité par un ami montpelliérain rencontré à Zacatecas à aller écouter une fanfare où il joue pour inaugurer un festival pour enfants, mais je n’en ai pas envie. Trop de brouhaha…

Mes oreilles sifflent de ne pas avoir été entendu quand il était encore temps d’empêcher le naufrage paternel. C’est une des raisons de mon retour en France : aider mon père à se relever après un écroulement psychologique et l’appuyer autant que se peut dans sa procédure de divorce avec sa seconde épouse dévorante. On m’a crié tant de fois « Tais-toi et fais ta vie » ou alors « Pars, éloigne-toi, va t’en » et même « Dégage » encore récemment dans la Maison de Verre. Alors j’écris ces lignes, je m’épanche et trouve ainsi une libération, une manière de confirmer mes intuitions et de légitimer mes combats.

Je remarque que je suis doué pour la répétition de certains schémas toxiques, l’arrivée dans des contextes instables. Le couple d’amis qui m’a hébergé quelques mois à Puebla avait une image de moi et des attentes qui ne correspondaient pas à ce que j’étais réellement – d’autant plus que j’étais dans un grand virage personnel – ou à ce que je voulais faire sur place. Ils m’imaginaient de passage, sans faire de trace dans leur mode de vie ; un Français bien élevé, mûr et un peu fantasque, comme une diversion pour un jeune couple mixte et conventionnel, mais en quête de repères conjugaux comme d’eux-mêmes. Je pense maintenant que la Française, qui venait à peine de s’établir durablement au Mexique, avait surtout besoin d’un compagnon-collègue, d’un témoin issu de sa culture pour y faire ses premiers pas comme résidente. Elle n’avait jamais réellement vécu auprès de son mari mexicain, car ils ne s’étaient vus qu’à l’occasion de longues vacances estivales. Tandis que de mon côté je m’efforçais de prendre mes marques depuis son foyer naissant et rassurant. Je m’étais fait une fausse idée de la manière avec laquelle ils allaient m’accueillir. Forcément, ce serait amical, chaleureux et je me sentirai « en famille ». Inversement, son mari m’a toléré jusqu’à un certain point, comme une sorte de tocade de sa femme. Il fut soulagé, limite grossier, de me voir repartir en France.

Effet miroir : 12 ans plus tard, la même situation se met en branle lorsque j’arrive à Marseille, en septembre 2023, sauf que ce fut plus court et plus violent. J’ai évoqué avec légèreté ce mauvais moment dans « Cage cherche canari ». De même que je n’ai plus de contact avec le premier couple franco-mexicain de Puebla, je ne reverrai probablement jamais celui franco-tunisien installé à Marseille. Mais l’erreur fatale est avant tout mienne, celle de projeter sur deux couples (et certainement d’autres encore) un besoin de légitimité et de protection, comme une demande inconsciente d’adoption. Le petit mâle alpa un peu fada de la Maison de Verre m’avait pris à la gorge pour me jeter hors de chez lui. Il cherchait aussi à étouffer ma voix. Ma seule présence lui était devenue insupportable, il jalousait mes souvenirs, ma complicité et mon amitié avec son épouse. « Tais-toi ! » ou « T’es toi. » ?…

J’ai découvert un type qui ne trouvait plus sa place et son rôle dans son univers restreint, qui se sentait inutile depuis qu’il est en retraite et, incapable de lui-même trouver activités et occupations, revenait inlassablement sur ses années passées en subissant l’effet boomerang de ses échecs et de ses frustrations. Nos problématiques personnelles se sont affrontées, croisées. Comme ce thème ultrasensible et essentiel du rejet n’était pas bien éclairci, ni dans ma psyché, ni dans mon ressenti corporel, il m’a inconsciemment remis face à l’épreuve de l’exclusion sans aucune justification. «Je suis chez moi ici » : départ précipité de son appartement et de celui de son épouse, rejet de la tribu, bannissement du clan… Devrais-je dire merci pour ce revival ? Ce fut néanmoins un moment d’une violence extrême, en plus de l’étalage sordide de leur relation de couple malade et de l’impuissance des membres de la tribu face à une injustice criante. Car ce caïd vieillissant tentait de continuer à trôner symboliquement, de dominer la maisonnée avec une épouse soumise à tous ses caprices comme à son mal-être et des amis dans l’obligeance ou dans l’admiration.

C’est toujours sur un malentendu ou un mensonge que les deux séjours ont commencé, en tout cas dans un flou artistique nourri des deux côtés: « Viens, tu seras comme chez toi ici, nous ne te demanderons pas de loyer, l’amitié et la confiance serviront de socle commun, on s’arrangera et tu prendras le temps qu’il te faudra pour devenir plus autonome et changer de lieu de vie ». Comme un nouveau nid à portée de main d’où je m’envolerai au moment adéquat, sans pression. Quelle naïveté, car rien n’est vraiment gratuit dans le monde bourgeois de mes origines comme chez ces ex-amis. Il y a toujours un calcul, un intéressement quand l’amour et l’amitié font place aux stratégies de pouvoir et petits jeux d’influences des uns et des autres. Et puis il y a d’autres facteurs plus profonds et psychologiques qui entrent en jeu, tels la projection et le déplacement de problèmes personnels sur l’autre. Une personne de passage dans un univers privé est susceptible d’être objet de cristalisation et de fixation. Dans les deux cas, je senti immédiatement que je devrais me rendre utile pour me faire accepter, surjouer l’amabilité et la jovialité. Ce fut grotesque car dans ces deux situations, je n’étais pas à ma place. D’ailleurs, quelle horreur cette formule, « se sentir en famille », moi qui était en fuite de la mienne, de ses deuils bâclés, de ses sacrifices symboliques et petits meurtres rituels.

Pour conclure avec ces deux expériences, ce furent des situations-pièges, des impasses qui ont évolué en tremplins, m’ont indiqué une porte de sortie de secours. Que la sortie soit douce et préparée, comme à Puebla (retour provisoire en France) ou violente et subie (trouver un hébergement d’urgence pour continuer les démarches administratives de réinsertion avant de quitter Marseille pour Montpellier). Mais je fus dans les deux cas attiré par des couples en tâtonnement ou en perte de repères et qui n’avaient pas ou n’auront pas d’enfant. Des couples-boulets, couples-vampires qui avaient besoin de mon énergie pour se maintenir ou d’un reflet pour se situer à un moment précis de leur histoire. Ils ne pouvaient m’aider que de manière provisoire pour un hébergement, tout en m’ayant donné des modalités de résidence chez eux très floues et au final évolutives selon leurs besoins et leurs affects. Je ne pouvais que les divertir d’un malaise ou d’un manque, certainement pas régler quelque chose qui ne concernait qu’eux deux. Je devais donc me tenir au le rôle du bouffon, celui d’un éclaireur étant bien plus périlleux pour eux. Au final, ils ne pouvaient pas m’aider et je ne pouvais pas les aider car nous étions en dissonance.

À l’évidence, je devrais me questionner sur ce désir de me sentir recueilli par un couple… Pas besoin d’aller trop loin, il vient de mon sentiment de rejet de la part d’un troisième couple, celui formé en 1991 par mon père naturel et sa deuxième épouse, qui n’a pas non plus mis au monde d’enfant. Madame, jeune femme manipulatrice, un peu vénale très intéressée, a commencé son travail de sape sur moi à mon retour du Congo en 1993. Ce sentiment n’était pas du tout délirant mais basé sur des actes et des paroles abaissantes voire menaçantes, et cela n’a fait que se confirmer vers la fin des années 1990. Le couple-vampire composé par mon père et sa deuxième épouse a eut, légère différence, besoin de mon énergie et de mon regard bienveillant pour se former, avant de m´expulser une fois leur union scellée et que les projets exclusifs de ma belle-mère se soient progressivement concrétisés.

J‘ai donc servi ou de catalyseur ou de révélateur dans des expériences humaines où j’étais moi-même incompatible car élément transitoire et objet jetable. Une fois que ce schéma toxique de base est enfin mis en lumière, il n’a plus de raison de se reproduire dans un quelconque contexte, qu’il soit familial, amical, amoureux, professionnel et plus largement social. Car on y tient un rôle peu glorieux et on y laisse beaucoup de plumes. Or aujourd’hui, j‘ai besoin de la totalité de mes ailes pour être et pour m’élever.

Florent Hugoniot – Montpellier, le 21 février 2024

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