« L’élixir de longue vie est une personne qui accepte sa vie et tout ce qu’elle a à vivre sans s’autodétruire. Le dissolvant universel est une personne qui a développé dans son cœur l’amour divin. L’amour est ce qui dissout toutes les résistances. »
Alexandro Jodorowsky dans Psychomagie
Sur les traces d’un passé révolu, j’ai revu l’édifice rue situé du Père Fabre à Figuerolles, dans lequel j’ai habité six ans à Montpellier. Ou du moins ce qu’il en reste, puisqu’il a été démoli ! Comme uniques vestiges de cette époque insouciante, les couleurs des différents appartements et de l’escalier, suspendus sur les deux grands murs d’angle renforcés par des poutres de métal. Le trompe-l’œil bleu ciel que j‘avais peint dans ma petite salle de bains est encore bien visible (au milieu en bas de la photo ci-dessus) comme une trouée dans la façade désormais aveugle. Ce modeste bâtiment de deux étages reposait sur un rez-de-chaussée obscur, d’où s’envolait vers les niveaux supérieurs des marches d’escalier baignées d’une lueur verdâtre. Il avait été construit il y a plus d’un siècle avec des pierres sablonneuses blond clair de la région. Déjà quand j’y résidais, des fissures rampaient et s’élargissaient continuellement, menaçant de le fendre et de le faire s’écrouler.
Mon studio qui était tout en longueur possédait deux fenêtres. J‘avais maquillé en vert olive les volets de celle donnant sur la rue, au levant, ce qui lui faisait un regard tendre et langoureux… La fenêtre de la cuisine donnait au couchant sur une petite cour intérieure vétuste appartenant à l’édifice voisin (sur la gauche, couleur crême et sang-de-bœuf). On voit qu’elle a été définitivement murée. Dans cette cour prospéraient des chats et des plants de cannabis. Y habitait aussi une amie ayant grandi dans les Cévennes, un peu artiste, un peu fantasque et de plus en plus névrosée. Celle-ci est partie faire son alyah en Israël il y a une vingtaine d’année. Suite à la prise d’otages sanglante du Hamas le 7 octobre 2023, sa fille qui est née là-bas peu de temps après l’arrivée de cette amie à Tel-Aviv et qui participait à la rave party en bordure du ghetto de Gaza, est devenue ultra-sioniste. Qu’elles y demeurent heureuses de leurs choix et de leurs convictions. Mais comme de nombreux Françaises et Français se retrouvant des affiliations juives et qui, du coup, se sentent profondément israéliens, qu’elles acceptent les conséquences parfois néfastes pour les sionistes et les néo-coloniaux de vivre dans leurs mythes, dans la croyance d’une destinée divine et d’un peuple préféré de Dieu parmi tous les autres. Concernant cette amitié du passé, le coup d’œil en arrière – celui qui pétrifie tout en sel – est désormais impossible.
De ma première période montpelliéraine, courant de 1998 à 2005, j’ai conservé quelques très bons amis dans le Languedoc. D’autres ont pris des trajectoires qui ne croisent plus la mienne, même s’ils se sont enracinés ici. Que de changements depuis 25 ans, une génération…
Selon les mouvements intergalactiques et les lentes métamorphoses de chacun, parfois on se retrouve et on se redécouvre, parfois on reste en phase, en parallèle ou parfois on diverge les uns avec les autres… C’est la vie !
Seul, je suis retourné au Musée des Moulages de l’Université Paul Valéry, riche en bas-reliefs et sculptures en ronde bosse, d’après des antiques datant principalement de l’époque crétoise/grecque archaïque jusqu’au classicisme de l’école d’Athènes. Il a été rénové, les plâtres ont été dépoussiérés et il reste aujourd’hui une référence pour la reproduction de chefs-d’œuvre. Ceux-ci illustrent magnifiquement le génie grec et l’influence hellénistique, dans un amoncellement délicat et très soft de témoignages archéologiques, une orgie de corps figés, certains diaphanes et presque fantomatiques. Figé à vrai dire n’est pas le bon mot, car on est saisi par l’impression de vie et de mouvement que dégagent chacune des œuvres. Le moulage est également tout un art. De plus, c’est toujours rassurant de constater que l’essentiel d’un passé est conservé quelque part.
Musée universitaire à vocation pédagogique, le Musée des Moulages a été créé en 1890 dans l’objectif de conserver et d’exposer les collections d’étude liées à l’enseignement de l’Archéologie (tirages en plâtre d’éléments de sculpture, objets originaux antiques, fonds photographique). Inauguré à l’occasion du VIe centenaire de l’Université de Montpellier, le musée a été installé dans le Palais de l’Université, siège de la faculté des Lettres. L’achat, en 1904, de la collection de moulages du chanoine Didelot de Valence a permis d’élargir les périodes historiques présentées et d’introduire l’art médiéval.
X
Musée des Moulages, ouvert au public de septembre à juin, du mardi au vendredi – 10-12h, visites sur réservation / 12h-17h, visites libres
Devant le campus de « Paul Va » (Université spécialisée dans l’enseignement des lettres, des langues, des arts, des sciences humaines et sociales), un capharnaüm de grillages, de dalles de béton, de panneaux de déviation et de poutrelles métalliques : c’est le chantier en cours de la ligne de tramway 5 sur un axe légèrement sud-ouest / nord-est. Nouvelle ligne de tram qui viendra compléter le réseau en étoile des lignes existantes 1, 2, 3 et 4. En effet, selon Wikipedia toujours à la page, « sur une longueur de 20,5 km, La ligne 5 du tramway de Montpellier devrait desservir les communes de Lavérune, Montpellier, Clapiers, Montferrier-sur-Lez et Prades-le-Lez. Elle est censée compléter le réseau existant en desservant des zones qui ne le sont pas actuellement ».
Lorsque je vivais à Figuerolles, j’avais assisté à la pause des premières traverses de la ligne 1, ainsi qu’aux énormes embouteillages occasionnés dans la ville par les travaux. J’ai aussi été le témoin de la grande fête spontanée lors de la victoire de l’équipe de France pour le Mondial 1998. Vingt ans plus tard, rebelote et resucée avec le mondial 2018. En plus du vol de mes papiers et de mon I Phone dans la liesse générale… Mais c’est une autre histoire !
VOLCAN DU COMA
Avec un nouveau groupe d’amies, je suis allé découvrir au Musée Paul Valéry à Sète l’exposition d’Orsten Groom intitulée Rétrospective – Volcan du coma, dont c’était un des derniers jours. Un bouillonnement de toiles aux couleurs et au graphisme violent, un déferlement eschatologique inspiré principalement de la Kabbale juive, la Bible et les contes pour enfants. Les visiteurs apprennent entre autre de l’artiste que, « né en 1982 en Guyane d’une famille polono-russe, Orsten GROOM (Simon Leibovitz-Grzeszczak) subit une rupture d’anévrisme en 2002, qui le laisse épileptique et amnésique. Apprenant pendant sa convalescence qu’il est peintre, il réintègre les Beaux-Arts de Paris, dont il sort diplômé en 2009 (ateliers de François Boisrond et de Jean-Michel Alberola) et du Fresnoy – Studio des arts contemporains en 2011. ». Des lunettes 3D sont délivrées avec le ticket d’entrée de l’expo, afin que le regard plonge encore plus profondément dans les peintures. Ce truc fonctionne en fait avec n’importe quel dessin, peinture, collage, fresque et même mosaïque : le rouge magenta et les couleurs chaudes surgissant en premier plan, le bleu et les couleurs froides s’éloignant dans le fond. Le noir et le blanc semblent vouloir rester en place, mais il faudra que je retente cette amusante expérience !
« Orsten Groom sait la puissance de chaos de la couleur, sa puissance d’anarchie. Par son intuition de la peinture comme coulée de boue, Orsten Groom serait une sorte de peintre pompéien. Groom utiliserait l’éruption du volcan, l’éruption du volcan de la peinture afin de radiographier la présence des figures humaines. Les silhouettes de ses tableaux ressemblent ainsi parfois à des décalcomanies fossiles »
Boris Wolowiec
« Le titre VOLCAN DU COMA convoque l’irruption d’une vocation peinture issue d’une congestion cérébrale survenue il y a 20 ans. De la nuit du coma le ressuscité s’est réveillé amnésique, et de cette amnésie peintre de la mémoire embrasée. Devenu Orsten Groom, il s’agit de s’en remettre corps et âme à la peinture comme un flot des origines depuis l’enfance de l’art à un stade pré-humain jusqu’à ce que l’on appelle l’Histoire dans une récapitulation apocalyptique et carnavalesque – feu grégeois dont le geste consiste à troquer la mémoire personnelle pour celle du monde entier. (…) »
Jonathan Meese
X
Je pense parfois à mes œuvres en céramique restées au Mexique. Sur une durée de dix ans, j’ai réalisé à Zacatecas, à Querétaro puis à Oaxaca des mobiles et des « fleurs de terre » avec de l’argile locale, blanche, noire ou rouge. Pour l’instant, ces œuvres sont conservées dans des malles ou dans des boîtes faites sur mesure, dans un espace inoccupé de l’Af de Oaxaca. J’ai été très productif pendant la période de confinement due à la menace Covid – appelée contingencia là-bas. Chaque individu devait respecter les fameux « gestes-barrières » mais personne ne souffrait de l’interdiction de sortir de chez soi, ce qui m’a parmi d’aller régulièrement faire cuire mes pièces dans un atelier de la ville. Comme je ne les pas exposées, aucune n’a été vendue et je me retrouve avec toute cette production sur les bras. À l’origine, l’idée était de faire tout voyager du Mexique à la France, par bateau de Veracruz jusqu’au port de Marseille, pour pouvoir proposer par la suite une belle exposition thématique de mes œuvres inspirées par la géologie, l’océan pacifique et la flore mexicaine. Lorsque j’ai reçu le devis astronomique de la seule compagnie de transport mexicaine susceptible d’organiser et assurer ce transit de céramiques, j‘ai du renoncer à mon projet et trouver un garde-meuble de confiance. Je suis toujours en recherche d’une solution pour mes œuvres. en espèrant que la providence m’indiquera la meilleure. Probablement l’idéal serait de m’en libérer en vendant un maximum de mes céramiques sur place et de rapporter le reste. C’est en suspens.
On ne peut pas tout conserver avec soi, tout démontrer, même avec les meilleures intentions artistiques. Les contingences matérielles, mais aussi nos choix personnels nous obligent et nous redirigent.
Florent Hugoniot
***********************************************************************************
SOURCES
https://www.univ-montp3.fr/fr/node/44
https://www.thauenimages.fr/SETE/SETE_VILLE_26.html
https://www.legrandsoir.info/l-occident-a-du-sang-sur-les-mains-en-palestine-et-en-ukraine.html
https://www.cairn.info/revue-topique-2003-4-page-239.htm
CHROME DINETTE (lu dans l’exposition VOLCAN DU COMA)
« La série CRHOME DINETTE est dédiée à Sigmund Freud et Moïse de la naissance de l’Histoire à sa fin, en 1939, date à laquelle l’Europe s’effondre et où Freud publie son livre testament L’homme Moïse et la religion monothéiste. Freud y annonce que Moïse n’était pas juif mais égyptien, et que les Juifs l’ont assassiné après leur sortie d’Égypte pour le remplacer par un double – roquant l’Au-delà pour le désert et l’interdit des images.
Freud meurt la même année d’un cancer de la mâchoire. Or son véritable testament est un récit dédié à son caniche préféré : Topsy, lui-même terrassé par le même mal et sur qui Freud aura fait un transfert psychanalytique folklorique et fatal, Le patriarche de la psychanalyse (la cure par la parole) périt par la bouche après avoir dédié son dernier livre au prophète bègue.
Sigmund s’appelait initialement Sigismund. Le mot allemand Sieg (Victoire) est demeuré tabou depuis le Sieg Heil nazi – Or Mund, c’est « Bouche » et Hund, c’est « Chien ». SIEG MHUND devient ainsi par jeu de mo, Witz (trait d’esprit), la victoire de la gueule du caniche sur l’Histoire, le mot de passe de ce que la peinture sait prendre en charge de la faillite anthropomorphe.
La série CHROME DINETTE concatène ainsi 5000 ans d’histoire des images interdites en sarcophage mosaïque de la catastrophe du temps humain, d’un bout à l’autre de ce qu’on nomme depuis l’Histoire.
La peinture opère ainsi selon tout le saint-frusquin de ses techniques (dont le fameux « transfert ») selon les lois du bas-relief égyptien (le plat de la surface) et de la définition que donne Freud de l’hallucination : on hallucine quand tout est trop net, qu’on voit tout en même temps. Les lunettes 3D permettent ainsi de reouer l’espace halluciné du plat égyptien comme Exode de peinture. »