Ronde est la Terre (3)

Un jour, j’ai reçu en cadeau de mes parents une boîte de magicien. C’était la Boîte de Magie « Amusez-vous avec Garcimore », le magicien qui foirait tous ses tours à la TV mais qui faisait bien rire son public pendant les insouciantes années soixante-dix. Elle était garnie de jeux de cartes, de tubes en carton de différentes dimensions, d’un foulard en viscose, de l’image d’un lapin, de celle d’une colombe et de gadgets pour enfants, telles les célèbres souris Tac et Tac Tac en plastique blanc. L’essentiel de cet équipement cheap résidait dans le symbole, l’intention, le signe et l’autosuggestion, le tout saupoudré d’une bonne dose de comédie, de dextérité manuelle et d’autodérision…

C’était trop d’intégrer ces concepts à mon jeune âge, mais pour satisfaire mes parents, je me suis essayé au rôle de clown. Pourtant, malgré ma lecture attentive de la notice et des fiches des tours de magie, les répétitions dans ma chambre devenue micro-loge de magicien, je n’étais pas convaincu du personnage. Je me sentais un peu ridicule, à l’instar de mon mentor télévisuel. Mes parents ne furent pas plus enthousiasmés d’ailleurs… Je me suis donc rapidement désintéressé de ce jeu, et la boîte a fini dans le placard.

Ma mère m’avait aussi déguisé en Pierrot lunaire à l’occasion d’une fête d’école costumée en Mauritanie. Une autre fois, en légionnaire romain. Lequel de ces déguisement me convenait le mieux, lequel était le plus réussi aux yeux de mes parents ? Vis-à-vis de ma jeune et tonique maman, toujours belle ; de mon père toujours distant et moqueur ? Aucun des deux, pas plus que mon kimono blanc de judo ne sembla intéresser mon père, tout à ses matchs virils de rugby. Devenu rapidement un kimono de karaté (car je trouvais insupportable cette sensation au judo d’être écrasé au sol par son adversaire), je pu l’agrémenter de ceintures aux diverses couleurs allant du jaune au vert en passant par l’orange. Apparemment, l’énergie vitale que j‘investissais dans l’art des katas n’impressionna pas non plus mon principal référent masculin et paternel.

Pourtant, à l’occasion d’un séjour dans un Home d’enfants en Suisse qui ressemblait à un immense chalet, les circonstances – le manque de costumes masculins pour un garçon de mon âge de 6 ou 7 ans – ont fait que j’accepta d’être travesti en Heidi pour pouvoir défiler avec le reste des enfants dans les rues de la ville helvétique pittoresque dont j’ai oublié le nom. Rues où j’ai à un carrefour reconnu mes parents dans les rangées de spectateurs, Automatiquement, de joie, j’ai sauté dans les bras de mon père ! Celui-ci désirait profondément donner naissance à une fille, mais il eut deux garçons naturels, plus un troisième adopté à l’occasion de son deuxième mariage bien plus tard. Par contre il a longtemps joué à la poupée avec sa deuxième épouse, une femme-enfant fraîche et ingénue. Lorsqu’ils se sont mariés, mon père avait 46 ans, elle 27, soit 19 ans d’écart.

À son entrée dans notre univers familial (ses débuts sur une scène encore inconnue d’elle), Madame était gauche, avait le trac. Ses maladresses passaient pour charmantes et innocentes. Puis, dès qu’elle obtint le même nom de famille que moi, suivi de la reconnaissance officielle de son fils par mon père, elle s’est progressivement senti l’égale de son époux. Elle a alors commencé à faire le vide autour de lui par le biais d’un certain nombre de passe-passe et d’inversions, à semer la zizanie pour imposer ses valeurs et sa vision de la famille, faite de haines recuites et de suspicions permanentes. Quand au bout de 25 ans d’efforts constants selon une stratégie de revanche germée sur le fumier de ses traumas d’enfant et de jeune mère, elle s’est enfin estimée en position de surplomb par rapport à son mari, elle l’a dévoré comme une vielle vamp croquant un adolescent énamouré.

Saint-Hilaire de Beauvoir, janvier 2024

La vie est aussi un jeu de rôle. Il est plus avisé de le savoir rapidement et de l’expérimenter dans le contexte familial, pour évoluer sereinement et mieux armé dans le contexte social. Mais certains rôles qui vous sont d’office attribués peuvent se révéler très inconfortables, voire périlleux. Le rôle du « mauvais fils » que m’a concocté ma belle-mère me fut néfaste sur de nombreux plans, d’autant plus qu’il m’a longtemps collé à la peau sous l’aspect du type instable, charmeur et parfois drôle mais jamais vraiment à sa place, obligé de constamment se justifier et de s’épuiser afin de tout simplement exister. Comme j’ai joué ce rôle en participant activement à la construction de ce personnage, il m’est heureusement possible de me débarrasser des oripaux qui m’ont obligé et qui m’encombrent, relatifs à cette période de ma vie.

Je me rends compte à quel point le choix du titre de ce blog la part manquante fut judicieusement et inconsciemment choisi lorsque je l’ai créé en 2011 avec une amie travaillant dans l’édition numérique.: quand l’occultation de l’existence de ma mère, de son œuvre sur cette terre et donc de son éducation et de sa descendance naturelle me fut de plus en plus manifeste. Suite au remariage de mon père et à l’adoption d’un troisième garçon qui n’est pas son fils naturel mais celui que sa seconde épouse eut avec un autre homme (écarté de son propre fils et invisibilisé), je suis petit à petit devenu la pièce rapportée de la famille recomposée. Je sombrai dans une forme de clandestinité affective et symbolique. En quelques d’années, le travail souterrain de ma belle-mère fut de me faire glisser du statut de fils prodige à celui de fils illégitime ; la pièce de trop, le bout de puzzle qui ne pouvait plus s’intégrer dans la nouvelle configuration familiale, avec classiquement un papa, une maman et deux enfants (mon frère naturel et mon demi-frère) pourtant basée sur un arrangement très instable avec la réalité. Ce que j’appellerai le Nouvel Ordre Familial ou NOF.

Le Nouvel Ordre Familial

Il fut basé sur l’occultation du passé, de ma mère, puis sur sacrifice du fils ainé : moi-même qui d’ailleurs suis plus ou moins de la même génération de ma belle-mère, puisqu’elle n’a que 7 ans de plus que moi. La nouvelle maîtresse de maison a redistribué les rôles. Je suis devenu le « mauvais fils », celui qui représentait une mémoire adverse et défendait ses droits d’une manière trop insistante.

Son propre fils a ainsi pu accéder temporairement au statut de fils légitime, entouré de toutes les attentions car initialement en difficulté, pas à l’aise lui non plus dans ce NOF. Un grossier tour de magie pourtant dans lequel tout le monde n’y a vu que du feu, sauf moi en premier lieu quand je me suis senti en danger existentiel. Mais mon cri n’a pas été écouté lorsque j’ai commencé à questionner le NOF, ensuite lorsque je me suis retourné contre l’autorité de ma belle-mère puis de mon père qui l’excusait en tout, sous prétexte qu’ils étaient amoureux, qu’il revivait une seconde jeunesse, que son épouse était peu expérimentée à son nouveau rôle donc excusable, etc. Peut-être parce que parmi les miens, l’amour reste aussi considéré comme une forme d’esclavage affectif et sensuel. Madame n’a pas manqué de trouver toutes les formes de chantage opératoires, notamment la « panne de l’oreiller » pour qu’un NON de son époux se transforme vite en OUI.

La Paillade, Montpellier, février 2024

Une fois que le pli est pris, que tous les membres de la famille furent reconditionnés pour leur nouveau rôle, je constate à quel point il est aujourd’hui encore difficile de défaire une tapisserie qui est devenue, au bout de trente ans, un vrai sac de nœud et un jardin de souffrance pour tous. Parce que je bouscule encore le sacro-saint modèle de la famille, seul objet de vénération/symbole archaïque subsistant dans notre époque matérialiste et artificielle, qui tente d’effacer et renier toute transcendance, toute spiritualité et toute référence au sacré. Le NOF a rebattu les cartes au-delà, jusque dans ma famille plus élargie, mal à l’aise avec cette situation et peu sensibilisée par un chamboule tout qui sera la causes de l’écroulement psychologique de mon père à partir de 2020. 

Je peux dire qu’à 26 ans, j’ai vécu en avance les effets de la Cancel Culture. Mais est-ce vraiment nouveau, ce fait de supprimer en pensée ou en réalité ce qui gène, ce qui ne correspond pas, ce qui met en doute des certitudes ? Absolument pas ! Au niveau historique, on pense à l’effacement des cartouches en hiéroglyphes du Pharaon Akhenaton, ce roi révolutionnaire qui tenta d’instaurer une forme de monothéisme dans l’Égypte du XIVe siècle avant Jésus Christ, ou la capitulation de Carthage et sa destruction par les Romains (allant jusqu’à labourer son sol avec du sel afin qui rien ne repousse). Plus proche de nous, les photos officielles de l’époque soviétique où les collaborateurs devenus dissidents disparaissaient comme par enchantement. Ou encore la volonté des nazis d’éliminer de la surface de la terre Juifs, Gitans, militants communistes et homosexuels.

Aujourd’hui, je ne peux pas décemment soutenir les sionistes qui défendent leurs colonies illégales en vue du Droit international en Palestine et l’expulsion de ses habitants d’origine par tous les moyens (sous le prétexte fallacieux de risquer un nouvel Holocauste au Moyen Orient, le premier ayant eu pourtant lieu en Europe ainsi que de nombreux pogroms) ; pas plus que les Ukrainiens du Centre-Ouest de leur pays (dont beaucoup sont passés du communisme au fascisme et devenus des clones du consummérisme occidental en deux décennies), désormais pires ennemis de leurs frères Russes et pour lesquels l’Union Européenne ouvre grand ses bras et ses coffres-forts en Euros. De plus, la propagande de Radio France comme celle de la chaîne TV franco-allemande Arte préparant les peuples à un conflit de plus grande ampleur entre l’Europe et la Russie, est grotesque et inquiétante.

Nous vivons sous le joug de nouvelles formes de barbaries, qui s’accumulent à celles venues de la colonisation, qui signifie éradication d’une civilisation, sous la forme de l’accaparement des terres, des richesses, des gènes et même de la mémoire d’une population native. Les bourreaux et les proies de violences irrationnelles tournoient toujours dans une danse macabre. Même si je sais depuis mes 20 ans que ni mon identité, ni mon avenir ne sont emprisonnés dans le NOF, je reste sensible aux crimes et aux injustices criantes que je croise sur mon chemin de vie. Et puis mon expérience mexicaine m’aide à percevoir les désordres et recompositions forcées comme de nouveaux terrains de création.

Étang de l’Arnel et flamants roses, février 2024

Recompositions

Pour me sauver et me reconstruire, j’eu recours à la thérapie analytique classique (voir les trois articles lapartmanquante dans SOURCES) mais aussi à la psycho-généalogie ou psychologie transgénérationnelle telle que formulée par Alexandro Jodorowsky. J‘ai passé des épreuves d’ordre personnel et généalogique, et possiblement comblé des lacunes génétiques. Certes, d’autres sacrifices, des faiblesses et des disparitions tragiques dessinent une partie de ma toile de fond familiale. Mais je me rappelle à quel point un de mes premiers psys avait traité avec légèreté mon cas. « Vous avez été sorti du couffin » était la pierre d’angle de son travail d’analyse avec moi. Effectivement, on peut considérer ma chute dans le NOF comme une manière de retomber un peu brusquement sur mes deux pieds. Le réel fait toujours mal. D’ailleurs une de mes deux jambes, symboliquement la part masculine, est longtemps restée faible. Mais par la suite, aucun psy consulté n’a su déceler le trait manipulateur et pervers-narcissique de Madame M., ni m’aider véritablement à éclaircir et neutraliser son œuvre malfaisante. Il aura fallu que mon père en arrive à vouloir se suicider et fuir le domicile conjugal, afin que l’étendue du désastre familial apparaisse douloureusement mais aussi clairement au grand jour.

Peut-être que le pervers narcissique se devrait d’être uniquement au masculin ? Pourtant, on sait maintenant que la toxicité ne dépend pas du sexe ni du genre. Quand j‘entends dire que Madame est une femme et que de ce simple fait, elle bénéficiera probablement de circonstances atténuantes dans la décision finale relative au divorce avec mon père, j’en suis choqué car je ne suis plus d’accord sur le statut de victime donné apriori aux femmes occidentales en 2024. On ne peut pas avoir le beurre, l’argent du beurre et la crémière/le crémier avec ! Je pense que la guerre des sexes comme le conflit générationnel, activés depuis quelques générations – fait assez nouveau dans l’histoire des Sciences Humaines – est devenue futile et gratuite, voire toxique aujourd’hui.

Cathédrale Saint-Pierre – Œuvre commanditée par le pape Urbain V en 1364, cette église est devenue cathédrale en 1536 lorsque l’archevêché de Maguelone a été transféré à Montpellier. Elle jouxte la Faculté de médecine, installée dans un ancien monastère bénédictin, dont la cathédrale était la chapelle.

Certainement, le fait de ne pas être écouté dans ma propre famille, d’avoir été bâillonné pour ne pas perturber une ambiance compétitive, contrer des desseins injustes et contester un ordre qui relevait davantage de l’imposture que de la bienveillance parentale m’a motivé à écrire pour être entendu ailleurs, par d’autres oreilles, lu par d’autres yeux. Le silence et la fin de non-recevoir de la part des miens furent trop insupportables. Quittant la trahison de mon sang, j’ai crié dans d’autres déserts, j’ai parlé une autre langue que celle maternelle, chanté et ri en espagnol avec des étrangers qui sont devenus mes frères et mes sœurs.

Or s’il y a une chose que certains de mes proches ont eu tant de mal à accepter et comprendre, c’est la part de liberté – dont la liberté d’expression que je m’accorde sur ce blog, au point de tenir des propos amoraux et de choquer – qui demeure en moi. C’est une question de survie et de dignité, constitutive de mon être actuel.

Pour terminer sur ce thème familial, j’espère que Justice sera rendue correctement et équitablement à la clôture de la procédure de divorce de mon père et de son actuelle épouse. Ce qui pourra constituer une forme de réparation pour les préjudices subis par mon père du fai d0un abus de confiance, par moi-même et d’autres membres de ma famille – à défaut d’apporter la Vérité sous une version acceptable pour chacun. Le désir de trop faire la lumière sur nos affects et pulsions inconscientes, d’ouvrir les yeux sur nos motivations libidinales ou celle des autres peut nous troubler pour finalement nous rendre moins sensible à la beauté de ce monde… Comprendre pour pardonner ou pardonner pour comprendre ?

J’ai toujours admiré l’entrée principale de la cathédrale Saint Pierre de Montpellier, avec sa voute sans réelle fonction autre que celle de protection symbolique, en plus de la prouesse architecturale. Elle fait penser un dais pétrifié qui pointe vers le ciel, animé d’un souffle venu d’un autre monde. Ses deux colonnes-piliers, massivement plantées dans le sol, donnent à l’ensemble un air d’équilibre intemporel.

Florent Hugoniot

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SOURCES

https://virtualmagie.com/forum/topic/18811-matos-boite-de-magie-de-garcimore

https://www.montpellier.fr/331-cathedrale-st-pierre.htm

https://www.montpellier-tourisme.fr/decouvrir/millenaire/les-incontournables/la-cathedrale-saint-pierre

Plaquevent : “La caste utilise l’Etat-Providence pour retarder la révolution en France”

Description personnelle de mon parcours psy :

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