“Je t’aime, moi non plus” : Serge Gainsbourg avait trouvé la parade parfaite dans le jeu de projection/attraction/répulsion qu’est l’amour. Terme qu’on ne pourra jamais définir, sinon désigner par un faisceau de synonymes et de métaphores tels que bonheur, destinée, jeu du hasard et de la séduction, chaîne, passion, partage, équilibre affectif, paix intérieure, complétude, folie, maturité, éternel retour… bref tout ce qui peut nous apaiser, nous ravir, nous élever et rendre notre vie plus intense, plus profonde, plus heureuse, plus vraie !!
Pour autant, ce n’est pas sur le terrain glissant et toujours très personnel de la relation amoureuse que je me dirigerai, mais vers ses reflets miroitants ou du moins ce qui souvent sert de substitut à un manque affectif, voire ce qui aide à relâcher ses liens d’attachement – car peut-on jamais se libérer d’avoir aimé ou guérir du désir d’amour ?
Je m’intéresserai ici à ce qui se passe dans l’alcôve du psy, un espace-temps très particulier dans lequel beaucoup, comme moi, courent se réfugier, se déverser et panser leurs plaies en cas de grosse déception amoureuse : le cabinet du ou de la psy, dans l’oreille duquel/de laquelle on va s’épancher et livrer ses plus intimes confessions… à défaut désormais de prendre l’antique route du confessionnal avec ses directeurs de conscience et ses religieux de tout poil et de tout ordre. Ce qui m’a amené à écrire ces trois textes qui se suivent et se complètent, motivés par un besoin de faire le descriptif de mon analyse, comme une première étape de l’analyse de mon analyse, par l’envie d’en revivre le cheminement, de reformuler cette aventure intérieure qui reste une démarche et travail interieur bien réels.
Que va tenter en premier lieu de ressusciter chez son patient le psychothérapeute, si ce n’est le désir de vie, le droit de se relever, de recommencer et de se tromper encore, la volonté de suivre ou de tracer un chemin constamment semé d’embuches, de chausse-trappes et de joies, d’émerveillements parfois, d’envolées, mais aussi de réalités crues et de cruelles abîmes. Certains y verront un cycle infernal, d’autre une ronde cosmique, une danse des fantômes… Une chose de sûre, le temps a son rôle à jouer comme dans toutes les thérapies, et si certains moments de lucidité paraissent des éclairs de conscience universelle où le temps se fige, il faut toujours du recul pour en apprécier les effets.
À la recherche du miroir
Ma psychothérapie a été certainement motivée par cette impossibilité récurrente d’avoir une quelconque relation amoureuse durable, de pouvoir m’oublier un peu et construire quelque chose, un destin commun avec quelqu’un d’autre ; ou tout simplement de me laisser aller à vivre et à partager, à aimer et me laisser aimer. Tout cela bien sûr, je m’en suis rendu compte plus tard, bien longtemps après avoir commencé les premières démarches et épuisé quelques séances. Cette aventure intérieure s’est effectuée avec la curiosité du néophyte, en pointillé premièrement, puis selon une approche plus résolue, mais avec l’aide de différents thérapeutes, principalement des psychiatres assermentés. Or que m’ont laissé ces douze années de suivi en psychothérapie (mais en pointillé) ? Une meilleure connaissance de soi, assurément, des passerelles internes et externes lors de périodes difficiles, mais aussi la certitude que les réponses à tous mes doutes existentiels comme à mes problèmes relationnels se trouvent en moi, à différents niveaux de conscience. Des heures et des heures de discussion en tête à tête, d’introspection, de questionnements pendant, avant et après les séances. Le rituel du même espace relatif de liberté de parole, entouré de deux ou trois sièges plus ou moins confortables posés dans différents décors. L’impression de m’assoir sur mon axe et de mobiliser tous mes degrés de compréhension possibles, avec le moi pour objet, le JE comme sujet, dans un vis-à-vis (dé)structurant, face à un regard en général bienveillant et attentif, parfois complaisant.
Mais certaines séances, certains thérapeutes m’ont aussi laissé de grandes frusrations ou déceptions, venant parfois après de sensibles sauts qualitatifs. La plus grande fut de constater qu’au bout de tant d’années de relative discipline et de conviction toujours plus affermie en cette solution, une nouvelle faille, la plus douloureuse, allait s’ouvrir sous mes pieds, et que définitivement ni les circonvolutions du discours, ni la plongée dans le labyrinthe de mon ego, ni le ratissage dans le fouillis de mes souvenirs – ni même les rares antidépresseurs avalés en urgence – n’allaient me permettre d’être totalement maître de moi-même et de mon destin. Pas plus que de ne jamais renouveler mes erreurs, ni de me connaître et de m’accepter entièrement. Mais la perfection est-elle vraiment le but ? J’ai au moins perdu ce vaniteux et dérisoire désir d’absolu de l’adolescent que je suis longtemps resté, et que j’ai longtemps couvé. J’ai également appris que dans le cabinet noir, les incertitudes sont partagées quand le sol s’affaisse.
De la première séance, je me rappelle un détour par la garrigue sommiéroise, après mon premier épisode dépressif, entre Paris et le Midi : moment incontrôlable, terrible, avec une triple rébellion familiale, professionnelle, intime… C’est alors qu’une charmante voisine psy me convainquit de la pertinence et du bon moment pour commencer « un travail intérieur ». Mûr et reposé après cette douloureuse chute, survenue aux alentours de 26 ans, j’atterrissais entre les mains d’un de ses collègues, répondant au doux nom androgyne de Joël. Le contact commença avec une imposition des mains, étendu au sol, pour réguler ma respiration. J’étais tout contrit et tendu de la mâchoire comme du dos. Le jeune psychothérapeute m’expliqua donc le terme de somatisation. Je suivais en parallèle des séances de relaxation mandibulaires, tellement je serrais des dents…
J’entrais ainsi en thérapie par l’obscure porte de la biodynamique, un joli mot vendeur qui fleurait bon le romarin, l’iode et les pins des Cévennes. Une seule peur : retomber dans un système qui m’avait déjà fauché bien jeune. L’éloignement de son cabinet par rapport aux quartiers animés de Montpellier et aux conventions sociales me rassurait. Quelle ne fut pas ma déconvenue lorsqu’au bout de quelques séances, il me communiqua sa nouvelle adresse professionnelle : Place de la Comédie, en plein centre ville, dans un édifice altier et bourgeois de style Premier Empire, qui convenait mieux à l’image du psy installé au cœur de l’urbanité triomphante. Sur sa nouvelle porte, un slogan : « Bébé sourire ». Très bien, il avait trouvé sa niche commerciale : des jeunes couples de bobos, si possible nouvellement arrivés de Paris, et ça me fit effectivement sourire intérieurement. Naturellement, avec ce saut socio-cul, ses tarifs avaient aussi pris de la plus-value et je pris congé rapidement de ce faux écolo de l’aventure intérieure.
Après le repos, le refuge dans des activités artistiques réparatrices (aquarelles, céramique) vint le temps de la reconstruction, avec ses prolongations sociales et sexuelles… et la découverte d’un pilier de l’âme et du corps, le Yoga. Cependant, une déception amoureuse provoqua de nouveaux glissements de terrain, et le besoin de l’oreille d’un psy se fit plus pressant pour dérouler le fil de soi.
Deuxième étape, avec une femme cette fois-ci (Dominique, son prénom donnait encore l’équivoque quand à son sexe) lors de séances plus suivies, auxquelles j’accordais également plus d’importance. Pourtant, je m’échappais des méandres de l’inconscient chaque fois au sortir de la belle bâtisse claire, un ancien chai dans un faubourg XIXe de Montpellier, je courais à la plage m’alléger du poids d’une histoire familiale détricotée mais que je sentais dangereusement m’entraver à nouveau. Une sexualité joyeuse, libre et solaire, m’aida beaucoup à décharger le surplus de tension accumulé au cours des séances, et la pratique du yoga portait ses fruits dans mon fort intérieur : je vibrais à nouveau. Ce second chapitre dans ma thérapie m’assura intimement de l’importance de la chose, et la jovialité couplée à la bienveillance du médecin psychiatre me mit suffisamment en confiance pour les années à venir. Son humour me rafraîchissait tels les embruns marins et j’appris le détachement.
La fascination du double
Ce n’est que de retour à Paris que je résolu de couper définitivement quelques lourdes entraves de mon passé, et de replonger dans les souvenirs les plus sombres, de faire remonter des émotions, d’affiner mes questions, afin de boucler un cycle qui s’articulait principalement autour de problématiques familiales, de la maladie et de la mort de ma mère, du rejet du père et du cruel manque affectif qui s’en est suivi.
Le premier psychiatre, affairé et peu disponible, me proposait des séances courtes mais intenses, au motif qu’il valait mieux faire des pas de géant que de « trottiner ». Ses tarifs n’étaient pas pour autant réduits, eux aussi, de moitié… Et son téléphone sonnait, auquel il s’empressait de répondre toute affaire cessante, sans cette fois être avare de son temps. Dans mon processus thérapeutique, il me dévoila cependant l’importance fondamentale de la parole qui sait blesser ou apaiser, mais qui peut aussi soigner. Lacan et ses jeux de mots, éminente figure psy dans le sérail parisien, venait d’entrer dans ma galerie de vénérables portraits de la discipline, aux côtés de Freud principalement.
De nouveau le jeu du hasard avec l’annuaire, et mon choix se porta, dans la colonne des numéros de téléphones anonymes, sur un/une (?) autre Dominique, en fonction de la proximité de l’adresse et de la poésie flamande de son nom. En fait je l’avais premièrement contactée, et sa voix féminine, douce, calme et posée, m’avait séduite d’emblée. Mais elle n’était pas disponible à ce moment-là. La seconde fois fut la bonne, elle me proposa un rendez-vous, et je découvris au dernier étage du bel immeuble néo-renaissance situé tout en haut de la butte Montmartre, un panorama parisien à couper le souffle. Derrière ses fines lunettesde vue et ses yeux bleus clairs, s’étendait la grande ville cosmopolite et tant prisée, dans laquelle je souhaitais replonger avec assurance, en y évitant cette fois-ci tous les écueils tranchants voire mortels que nous soumettent les affects humains.
Je pris mes habitudes, et acceptait le rituel des visites hebdomadaires pendant lesquelles le temps ne semblait plus avoir d’importance ni pour l’un ni pour l’autre. D’abord les escaliers de la butte (« … sont durs aux miséreux. Les ailes des moulins protègent les amoureux… »*), puis la sonnerie, les ferronneries voluptueusement entrelacées, le vieil ascenseur étroit et odorant en bois, le bruit de la porte qui se replie, le clic de la montée, les paliers bien astiqués des étages qui défilent, enfin les toits de Paris. Et ses yeux, sa voix, ma présence qui se reflétait dans son regard, ma souffrance qui trouvait un écho dans ses paroles…
Significations du prénom Dominique
Le prénom Dominique vient du latin dominus qui signifie « maître ». Les chrétiens l’interprètent plutôt comme « consacré, voué à Dieu ».
Qui est-elle ? C’est un véritable vif-argent que Dominique qui possède l’art et la manière de passer d’un état émotionnel à un autre en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire ! Hypersensible et particulièrement féminine, elle est (…) Curieuse et insatiable, Dominique aimera la lecture, mais son bavardage incessant devra être surveillé de près si vous ne voulez pas avoir une note de téléphone astronomique !
Qu’aime-t-elle ? Extravertie, elle aime communiquer, plaire, séduire et possède un charme fou. Elle rêve d’être le point de mire d’une assemblée ou d’un public qu’elle sait animer par sa présence et ses facultés d’expression (…) Certes, elle est séduisante, mais ne vous fiez pas, messieurs, à son sourire angélique : au fond, c’est une insoumise qui ne se laisse pas si facilement séduire. Et prenez gare à ses foudres !
Que fait elle ? (…) Ainsi elle préférera les professions créatives, artistiques ou celles où l’expression orale ou écrite l’emporte (…) les professions où l’intuition, la psychologie, la diplomatie, l’écoute des autres interviennent,
Dominique est un prénom épicène (masculin ou féminin) issu du latin dominicus signifiant « qui est relatif au Seigneur ». Ce prénom a été popularisé grâce à Saint Dominique de Guzmán (Domingo Núñez de Guzmán), religieux catholique espagnol du XIIe siècle, fondateur de l’Ordre dominicain, ordre qui a essaimé de nombreux monastères en France et en Europe, ou en référence à Saint Dominique Savio.
Dominique, dominical, dominicain… Combien d’heures en lévitation à ses côtés, dans la douce sérénité de son grand bureau baigné de lumière, tandis que le bruit du monde semblait si loin et les réponses à mes questions les plus brûlantes si proches ! Je ne pouvais pas encore imaginer que l’étroit ascenseur de son immeuble de style me conduirait un jour sur les traces de Bartolomé de Las Casas, pionnier et fondateur de l’ordre mendiant des Dominicains au Mexique… Mystère du sentiment océanique, que Dominique sut si bien définir !
Le processus du transfert sur la femme Dominique fonctionna parfaitement, un maître à réfléchir – à défaut d’une maîtresse – auquel je faisais entièrement confiance, au point de lui demander à la fin du second cycle introspectif, si la logique de notre « travail » ne méritait pas que je retourne vers un psy homme, pour approfondir ce drame de mon existence, une homosexualité sagement rangée au placard en ville et seulement vécue dans les marges. À l’écoute de cette dernière demande, elle me conseilla donc deux collègues parisiens Mr. V. et Mr. B.
La dispersion des images du moi
Je commençais un troisième et dernier cycle, persuadé que la solution s’imposait désormais avec une analyse de type lacanien plutôt que freudien : les associations d’idées et les jeux de mots m’inspiraient, le goût du risque également et le désir bien consumériste d’essayer d’autres méthodes, d’autres ambiances, d’autres saveurs. Psychanalyse que je ne fis qu’effleurer, mais cette conviction prolongea l’aventure, et me plongea bien plus tard à nouveau dans les affres du doute. D’ailleurs je ne m’allongeais qu’une seule fois, lors de la première séance à Montpellier chez Joël, face contre sol, et le rituel du divan ne se formalisa jamais. Me serais-je suffisamment mis à nu devant mes deux derniers thérapeutes masculins, sans avoir à étendre les jambes et laisser mon regard vagabonder sur le plafond, tandis que ma conscience scrutait JE, moi et ses manifestations, mes arrières.cours, planait au dessus de mon inconscient, effleurait le Sexe en escaladant le Subconscient ??
Le fait est que Mr V. me paru bien sûr de lui, appesanti par des années de pratique qui renforcent les certitudes. Surtout, je le trouvais trop direct, voire offensif, bizarrement allusif vis-à-vis de ma sexualité, certainement pour provoquer une réaction. Je pressentais ma catégorisation, en tant que gay, dans les tiroirs de la dégénérescence ou de la perversité, où il n’y avait-il possiblement que de la maladresse de la part d’un spécialiste de la libido ?… À savoir que l’homosexualité est tout de même restée dans la classification des maladies mentales de l’OMS jusqu’en 1983.
Combien aurais-je donné, avec le recul, pour qu’au lieu de sous-entendre, il me pose les questions qui me brulaient la bouche et les oreilles, pour ne pas dire le reste : Êtes-vous satisfait de votre vie sentimentale et sexuelle ? Si non, que vous manque-t-il pour être heureux de ce côté-là ? Que comptez-vous engager comme forces pour y parvenir ? Bref il ne savait pas se saisir de ma problématique la plus récurrente, et je ressassais de vieux arguments familiaux face à lui, raidi devant le modèle dominant de l’hétérosexualité, des mythes qui l’ont forgée et dont la psy s’est largement inspirée dans son évolution comme dans ses rituels de pratique. J’attendais cette fois-ci un déblocage qui ne pouvait alors pas encore venir de moi-même, mais grâce à l’intervention d’un tiers qui sache diriger ma progression ; qui plus est de la part d’un professionnel, j’espérais que dans les méandres de ses synapses surgisse l’effet de levier au moment opportun. Nada, pas plus ses sourires narquois et ses regards appuyés que les tâtonnements des précédents analystes ne me permirent d’aborder de front le sujet. De fait, la question de savoir si, pour un patient gay, il est préférable de consulter un analyste de la même orientation sexuelle, reste ouverte.
Je désirais un accompagnant, un compagnon plus qu’un écoutant, qui m’aiderait à défricher les herbes folles que j’avais sciemment laissées pousser tout au long de mon analyse et qui m’empêchaient d’avancer désormais… Mais peut-être était-ce trop demander ? Des feuilles virevoltant de l’arbre de Vie, je ne voyais plus que des pages imprimées, des notes prises consciencieusement sur un carnet rangé aux côtés d’autres dossiers, ceux des rares autres patients croisés et attendant silencieusement leur rendez-vous dans la salle d’attente en surplomb sur la cour.
Je pris une énième fois congé de mon psy, pour en rencontrer un ultime, Mr B. J’espérais secrètement qu’il fut homo. Ses manières cordiales mais ampoulées, assez féminines, sa discrétion et ses réponses, jusqu’à cette habitude désinvolte de s’allumer une cloppe au bout d’un long fume-cigarette en milieu de séance me mirent toutefois à l’aise, mais laissèrent planer le doute. Lorsque le sujet de la rémunération vint sur la table au tout premier entretien, je tiquais à sa réponse lapidaire : « L’argent n’est pas un problème ! ». Soit, je pris donc une mutuelle trop chère, que je payais mensuellement pour rembourser en partie les séances hebdomadaires…
Les circonstances de la vie réelle, mes déboires professionnels dus à une situation de harcèlement ne m’ont pas permis d’entrer plus profondément en moi (ou de pénétrer dans cet autre) comme je le souhaitais. La recherche de solutions raisonnables à tous mes tracas sociaux, à cette lutte pour la survie dans la jungle parisienne, occupèrent de plus en plus les séances. Et je n’ai jamais articulé ma vie sexuelle insatisfaite avec tous les autres aspects de ma vie, des attentes déplacées, pas plus que, dans l’espace intime de son bureau, je n’avais osé mettre sur la table son positionnement sexuel, discuter de ses opinions sur le sujet… Que de faux-fuyants ! Mirages de la projection, conventions sociales de la courtoisie quand vous nous tenez.
C’est à ce moment-là que l’idée d’un long séjour à l’étranger commença à se concrétiser. Le Mexique se présentait comme un grand saut en avant, une coupure nécessaire, un renouveau qui allait balayer les nombreuses frustrations vécues tant au niveau personnel, sentimental que professionnel. Mais ce projet également se fit en plusieurs étapes. J’effectuai un premier séjour à la fois touristique et d’acclimatation, un bain linguistique prometteur, régénérateur durant 6 mois, avant de revenir en France.
Au retour, l’horizon s’assombrit petit à petit, après un enthousiasme débordant : le rêve mexicain s’éloignait tandis que je retentais une ultime insertion dans la société française avec une formation de webdesigner, suivie je l’espérais par un contrat temporaire dans une petite structure culturelle. Je déchantais vite : à 42 ans je me sentais déjà vieux, inutile et rejeté dans une ville étriquée, et finalement la perspective d’une nouvelle période parisienne m’entraînait vers le fond. Les effets de la somatisation se faisaient à nouveau ressentir : sueurs, lourdeurs, insomnies, grincements de dents et l’impression que mon architecture la plus secrète s’effondrait par pans entiers.
Ce fut à ce moment-là que je repris, vaincu et dépressif, le chemin des psy et que je demandais une consultation en urgence à Dominique-des-hauteurs qui me reconduit vers mes deux psy-hommes, du moins vers le dernier consulté. Or l’inconsistance de Mr. B ne paraissait pas propice à calmer mes angoisses existentielles ravivées, d’autant plus que j’éprouvais une énorme colère du fait d’être revenu – il me semblait – à la case départ, avec une sérieuse dépression que je croyais ne pouvoir guérir qu’avec des médicaments et un traitement sur le long terme. Le ciel s’était définitivement abattu sur ma tête, les paroles étaient finalement si creuses…
Plus par raison que par sympathie, je retrouvais Mr. V.
Celui-ci ouvrit ses grimoires et me conseilla les molécules les plus adaptées à mes circuits neuronaux et nerveux dévastés. Dans la désillusion la plus totale, le commençai le traitement, méticuleusement, et gobait mes gélules avec régularité, attendant un mieux physiologique plus que psychologique. En parallèle, tentant le tout pour le tout, j’avais envoyé des CV au Mexique, et avais reçu un seul retour positif mais incertain, suivi d’une longue correspondance avec une personne qui me semblait être une secrétaire bavarde souhaitant tuer le temps – c’était la directrice de l’Alliance française de Zacatecas. Cet improbable poste d’enseignant de FLE (français langue étrangère) dans une ville située en plein milieu géographique du pays de mes rêves, dans les montagnes de l’Altiplano mexicain – Dieu que cette destination me semblait inhospitalière après les douceurs de Puebla et de Oaxaca, la caresse de l’océan Pacifique – fit briller dans le noir la lueur faible d’une échappée, à défaut des rayons d’un soleil radieux concluant une cure réussie.
Je dois être reconnaissant à Mr. V. de m’avoir appuyé dans ce choix de m’expatrier, de m’envoler vers un nouvel inconnu, lui qui ne voyait pas en quoi fondamentalement mon état m’empêcherait de tenter – et pourquoi pas réussir – cette nouvelle aventure. Moi, je ressortais comme j’étais entré dans son cabinet, sans aucun espoir pour ma petite destinée, ni pour l’ensemble de l’espèce humaine… Et lorsque je lui fis mes brefs adieux, ainsi qu’aux deux copies gréco-latines qui ornaient chacune, sagement dans leur niche, le large escalier tant craint de cet immeuble haussmannien, je ne senti alors aucune libération, juste l’impression d’une immense imposture. Cela dit, j’ai ce sentiment persistant, des années plus tard, d’avoir passé une dernière étape fondamentale et obligée, qui, dans le jargon psy, est de tuer le père. Comment ? Eh bien de cela, je n’en dévoilerai rien : chacun ses armes – pas toujours glorieuses – chacun ses tactiques et son cheminement.
Cette analyse fut-elle interrompue trop tôt ou trop tard, n’a-t-elle jamais vraiment commencé, je ne peux par contre toujours pas le dire aujourd’hui. Si elle m’a permis de me reconstruire sur mon axe et de m’y accrocher en période de grands bouleversements, d’avancer malgré les petits drames du quotidien et d’anticiper parfois les changements de cap essentiels, le doute quand à l’excellence, voire la primauté d’une telle démarche par rapport à d’autres, ne s’est en revanche jamais dissipé.
Peut-être n’ai-je pas su m’autoriser à aller réellement au fond de moi, à fouiller encore et encore dans les tréfonds de mon mental, mais jusqu’où ? Et à quoi bon ? Après m’être retrouvé, réconcilié mille fois, aurais-je-pu enfin me libérer de mon ego si réducteur, m’oublier, me dépasser dans le cadre de la psychothérapie ? À défaut de les régler définitivement, laisser s’assoupir toutes mes problématiques intimes, après avoir révisé patiemment tous mes défauts de construction pour me perdre définitivement par le bas, à force de creuser dans mes souvenirs, ou par le haut, à trop m’enivrer de supputations intellectuelles avec mon vis à vis ??
Trois années ont passés, de nombreuses pages se sont tournées, plus vite certainement avec mon changement de continent et de culture, avec ma pratique d’une autre langue et d’autres rapports humains au quotidien. Certains sujets abordés en analyse se rappellent à moi sous un autre angle, et si je n’ai pas pour autant pas réglé les principales questions existentielles que la vie me pose ni trouvé la formule du bonheur, je considère toujours la cure de type freudien-lacanien comme une bonne voie pour se connaître soi-même et progresser, parmi d’autres telles la méditation, la pratique artistique, ou encore l’écriture. Une voie où la formulation est essentielle mais pas toujours effective.
Car c’est in fine l’action qui est primordiale, comment nous travaillons sur nous-même, la seule matière qui nous appartienne vraiment. L’amour est la source et le moteur de notre existence, et de fait ce qui nous meut, le désir sous toutes ses formes et ses chausse-trappes : l’amour-propre pour rester dans le cadre de l’analyse, mais c’est une force qui déborde largement le cadre du cabinet psy, de la famille et des relations humaines imparfaites et mouvantes.
Suite de cette réflexion avec Les mots nous mentent et nous aimantent.
FH
*La Complainte de la Butte est une chanson française, écrite par Jean Renoir pour son film French Cancan de 1955, et mise en musique par Georges van Parys.
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SOURCES :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique
http://www.journaldesfemmes.com/prenoms/dominique/prenom-6965
http://www.signification-prenom.com/prenom/prenom-dominique.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Ordre_des_Pr%C3%AAcheurs
http://moines.mayas.free.fr/index_pages/dominicains%20et%20franciscains%20en%20pays%20maya(21).htm
Psychachanalyse de type freudien :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Psychanalyse
Tuer le père : http://journals.openedition.org/leportique/336
Une discussion intéressante et éclairante de psys sur un blog du Club Mediapart : Pour ou contre Lacan ? – 16 août 2018 Par Mithra-Nomadeblues – Blog : Résonances
« Voici tout d’abord un premier article de l’Express, puis une vidéo « Jacques Lacan : la psychanalyse réinventée », et enfin une interview de Philippe Sollers à propos de son livre « Lacan même », qui pourront peut-être nous intéresser, nous instruire, nous donner à réfléchir… »
https://blogs.mediapart.fr/mithra-nomadeblues/blog/160818/pour-ou-contre-lacan
La présentation de Lacan est tout à fait bienveillante dans l’article (les liens originaux sont dans la publication), passionante vue sous l’angle de Sollers. Mais la discussion qui suit cette publication récente, le forum dans lequel seuls 3 ou 4 commentateurs interviennent, dont l’administrateur du blog, vaut vraiment la lecture, Des témoignages et interview complets de Lacan en question y permettent de se faire une idée assez nuancée et large de ce personnage sulfureux 😉
https://blogs.mediapart.fr/mithra-nomadeblues/blog/160818/pour-ou-contre-lacan/commentaires