Croire a toujours été le moteur. Croire au destin, croire en Dieu, en l’amour, à la justice, croire en l’homme, croire en soi… Croire, c’est aimer encore. Lorsqu’un système de croyance s’avère trop étriqué ou dépassé, il s’écroule sur lui-même comme un vieux temple aux rites désormais désuets. L’être humain – être social autant que de trancendance – a alors vite fait d’en reconstruire un autre. Car il faut bien croire que notre passage sur terre n’est pas vain, que notre corps et notre esprit ne sont pas voués aux quatre vents, qu’il y a une finalité à tout cela ; que nous accomplissons un destin où l’individu se mêle aux affaires communes, où la quête personnelle s’appuie sur une conscience universelle qui nous permet de nous surprendre et de nous dépasser et parfois même de nous sublimer. Sinon, à quoi bon se lever tous les jours pour gagner sa croûte, élaborer des projets et les réaliser, faire des enfants, éduquer, transmettre ?…
La vie n’est pas juste la satisfaction de désirs immédiats. Chacun tente de se projeter dans le futur et formule des espoirs, nourrit des rêves, du moins ici-même au sein de la réalité, à défaut dans l’au-delà ou pour une plus belle réincarnation.
Or, en commencant une psychothérapie j’étais convaincu que j’allais enfin voir en ce monde la Lumière, celle de la connaissance de soi, que les rayons de la compréhension et de la bienveillance allaient mettre en relief les aspérités les plus marquantes de ma personnalité, tous ces récifs et écueils qui m’empêchaient de naviguer sereinement sur le cours de ma vie.
Cela, afin de prendre part avec plus d’entrain aux affaires sociales, professionnelles, amoureuses, pleinement et au-delà de la complexité de mon ego. J’imaginais une version personnalisée de la lutte entre le Bien et le Mal, sauf qu’il fallait accepter que le terrain de la bataille soit moi-même, et ne pas craindre de contempler mes ombres dans le miroir. Avec au final cet espoir d’une émancipation, d’une libération par l’usage de la parole et d’un certain nombre de rituels, sous les auspices des spécialistes de la chose. Je croyais de fait au besoin impérieux de me libérer d’un poids familial oppressant, un poids que je portais sur mes épaules, dans mes entrailles, et qui ne se voyait pas.
Avant de continuer dans mon cheminement personnel et intérieur, je ferai une parenthèse plus factuelle pour avoir une vue d’ensemble de la profession.
Un peu de clarté
Il est difficile de trouver des statistiques concernant le recours aux différentes formes d’analyses (la plus courante étant celle de type freudien) en fonction des classes sociales. Pour cause de secret médical certainement, mais on ne peut que constater la popularité de la psychothérapie en haut plutôt qu’en bas de l’échelle socio-culturelle, son usage y étant communément plus répandu et commenté chez les étudiants, dans les professions libérales que chez les manoeuvres et les agents d’entretien, chacun trouvant les outils adaptés pour sa survie…
Les psy, représentent un corps ecclésiastique d’un nouveau genre, plus fluide mais plus complexe par exemple que les différents ordres religieux, quand la morale chrétienne servait d’unique garde-fou en Europe. Ils sont d’abord devenus les directeurs de conscience de la nouvelle aristocratie, la grande et moyenne bourgeoisie urbaine principalement.
Aujourd’hui, les psy « suivent » ou conseillent des cadres supérieurs, journalistes, chefs d’entreprise, conseillers en communication, spécialistes financiers, créateurs de Start’up, beaucoup d’adeptes de l’ultralibéralisme et du tout virtuel… en définitive un peu trop livrés à eux-mêmes avec la théorie du do it yourself et de la construction de soi, l’incantation au bien-être et à la positive attitude, le recours à l’optimisation de ses capacités propres afin d’augmenter ses dividendes.
Pour autant le besoin d’une meilleure connaissance de soi s’est répandue dans les pays occidentaux, et de fait la psychothérapie s’est démocratisée et banalisée.
Psychiatres, psycho-thérapeutes et autres psychologues de différentes obédience peuvent avoir toute sorte de parcours, certains ont fait des études très avancées et se prévalent de leurs niveaux de qualification, d’un haute spécialisation. D’autres se basent sur leur propre expérience analytique, se forment et valident leurs connaissances théoriques auprès d’un collège de praticiens aguerris. Ils/elles agissent donc selon différents besoins, dans des champs d’action très variés également.
Un organigramme confus pour le néophyte
En fonction de l’offre et de la demande d’un suivi analytique personnalisé (et en dehors du strict secteur clinique et des urgences psychiatriques), les psy se répartissent la chose en fonction de groupes de patients. Les psychiatres, du fait de leur longue formation scientifique et de leur expérience médicale, constituent le haut de la pyramide.
Les autres, (psycho)thérapeutes ayant un bagage universitaire en général moins conséquent et étant issus de tous les horizons, provoquent souvent l’amusement ou le dédain de la part des premiers, mais ils ont su étendre la pratique de l’analyse ou de la conscientisation de ses problèmes psy à travers une plus grande partie de la population. La vague New Age n’a pas épargné un bon nombre de ces thérapeutes ; si certains ont été bien inspirés par les progrès de la sociologie et les médecines alternatives, beaucoup ont surfé sur le tropisme du « bien être » et ont pioché dans les nouveaux dogmes en matière d’alimentation ou dans les spiritualités orientales, dans la relaxation, l’ésotérisme, allant chercher sous les cieux les plus exotiques matière à enrichir leurs pratiques et leur réflexion, pour le plus grand bonheur des patients en quête de divertissement et d’évasion. C’est ainsi que les pratiques se sont diversifiées et sont apparues, pour citer les principales, les cures basées exclusivement sur le revécu émotionnel ainsi que la résurgence de l’hypnose, la sophrologie, la sexothérapie, etc.
Un peu d’ordre…
Le titre de psychothérapeute est désormais réglementé, celui de thérapeute beaucoup moins. Il faut donc compter, dans cette vaste galaxie psy, avec les myriades d’associations de thérapeutes spécialisés et parfois autoproclamés, qui exercent d’une manière totalement libérale et peu contrôlée, malgré un effort de régulation en France par l’État depuis 30 ans. Régulièrement cette tentative d’y voir plus clair dans une profession éprise de liberté et aux ramifications obscures provoque une levée de bouclier des concernés : elle est en général vue comme une menace et une dangereuse incursion des pouvoirs publics par les psychiatres responsables et respectés comme par les charlatans et les profiteurs du mieux-être.
Ce besoin d’éclaircissement signe aussi la défiance de plus en plus grande de certains cercles intellectuels, d’organismes officiels comme du public en général vis à vis des psys. On a constaté les envolées délirantes de certains tarifs ; ou encore souligné les paradoxes et errements d’une discipline qui se veut scientifique, mais sans envisager de réelle sanction avec des résultats effectifs et des données mathématiquement quantifiables. Des résultats bien difficiles à évaluer si on parle juste de cure analytique et d’accompagnement pour les différents niveaux de névroses, en mettant de côté la psychiatrie médicale avec le traitement des psychoses graves, voire dangereuses, qui elles sont plus quantifiables en terme d’avancées – pu d’échecs – thérapeutiques, avec données et statistiques à l’appui.
Dans le monde, ce sont les USA, la Grande Bretagne, la France, l’Argentine et le Brésil qui ont toujours compté le plus de psys en fonction de leur population. Mise largement en doute et ayant une influence déclinante depuis quelques années dans les pays occidentaux, c’est surtout dans le dernier pays cité que la profession retrouve actuellement son assise et sa reconnaissance publique.
Pour les différents types d’analyse, on peut identifier les psychothérapies d’inspiration psychanalytique, celles humanistes avec la Gestalt-thérapie, systémiques (le déterminisme familial), cognitivo-comportementales (ou TCC, une forme de thérapie brève qui vise à éliminer les idées négatives et les comportements) et la psychologie analytique (Jung).
Des mythes en partage
Le schéma freudien de la psyché me semblait tout indiqué pour répondre à ma quête, avec ses mythes et ses symboles sortis de l’antiquité, toute cette série de personnages noirs tels Œdipe, Thésée et le Minotaure, Chronos, Médée, Ulysse, Sisyphe… J’allais suivre, moi aussi, les pistes tant empruntées de la relation à la mère, de l’inceste, l’image castratrice du père, l’occultation d’évènements dramatiques, les meurtres symboliques, les sacrifices et les tabous familiaux.
D’ailleurs l’histoire de la psychanalyse n’est-t-elle pas d’abord une histoire de famille ? Entre Sigmund Freud le fondateur et sa fille Anna qui devint psychiatre à son tour, et avec laquelle sa relation était trouble ; Melanie Klein, Donald Winnicot ou Françoise Dolto, spécialistes de l’enfance, ont été les mères-pères, les accoucheurs symboliques de tant de générations ! Jacques Lacan, Georges Bataille et Jacques-Alain Miller, tous trois liés par des mêmes femmes… Et combien de dynasties de psychiatres plus anonymes, depuis la fin du 19e siècle ?? La référence obligatoire à sa propre famille répond à la triade omniprésente de la mère-père-enfant dans l’analyse (on parlera de psycho-généalogie pour une recherche étendue sur plusieurs générations) et au système patriarcal, à la répartition des rôles suivant les sexes dans une société française pétrie de conservatismes.
S’il fallait pousser la comparaison un peu contre-nature entre cure analytique et religion, ce serait avec l’islam, qui a ses dogmes, ses écoles de pensée et ses chapelles, son schisme entre deux grands courants théologiques (le sunnisme et le chiisme, comme les deux principaux axes psychanalytiques de Freud et Jung, puis les contre-secousses comme les lacaniens), qui admet les interprétations et les contradictions, et n’impose pas, comme pour les chrétiens ou les juifs, un corpus officiel mais permet à chacun, du fait de la relation directe de l’homme à son Créateur (ou au cosmos), de devenir imam. En France, deux structures se partagent le droit d’autorité en matière de psychanalyse, la SPP (Société psychanalytique de Paris) et l’APF (Association psychanalytique de France).
Mais revenons à mes moutons. La diversité des sensibilités et des approches chez les différents psychothérapeutes que j’ai sollicités tout au long de mon parcours m’a appris cela : si le patient reste au centre de la cure, les techniques utilisées sont souvent intuitives et aléatoires, et tout se joue sur la relation entre le patient et son analyste. L’hyperpersonnalisation de chaque thérapie est-elle un plus ? Arrive-t-on à se délivrer de ses névroses, de ces schémas qui nous entravent d’une manière invisible en recréant de nouveaux liens affectifs, et donc de soumission (transfert et contre-transfert) encore plus forts parce que plus profonds, plus intriqués, avec une auto-persuasion qui rejoint souvent la force de conviction des religions ? De toute manière si le patient n’adhère pas à la croyance qu’il peut se guérir ou du moins s’améliorer grâce à l’analyse, ça ne fonctionnera pas. Alors qu’un blessé ou un névrosé peut être soigné sans une réelle conviction, même si on arle d’effet placebo ou de volonté personnelle, par d’autres techniques, comme la médecine moderne ou l’acupuncture.
La psychanalyse, plus que soulever le voile des apparences et donner une signification à la valse des ombres sur l’écran du quotidien, propose de soigner l’être humain de ses blessures ontologiques, autant dire de se libérer de ses souffrances les plus souterraines, de sortir des rails que lui ont tracés les dieux, les astres, ou les conditionnements familiaux et socioculturels. En une formule, de se libérer des diktats trop écrasants de l’inconscient et de devenir son propre maître.
Moi, moi, moi
Mais, pour la majorité des praticiens, en quoi consiste la routine des séances, si ce n’est de soulager les bobos du Moi et de carresser l’égo de son patient, qui comme le consommateur dans le système capitaliste, est le roi. De le remettre en état pour qu’il puisse survivre ou rapidement se réinsérer dans « la vie active ». Inversement, pour les patients/clients de cette nouvelle médecine de l’âme, de quoi finalement s’agit-il de se libérer, si ce n’est d’états dépressifs chroniques, de névroses secondaires voire tertiaires, d’un mal de soi-même plus général, parfois poussé à la caricature, surinvesti car principalement créé par l’exaltation de l’individu, le besoin d’excellence et le narcissisme intrinsèque à la société de consommation ? Il s’agit donc surtout ici de s’accepter, de savoir s’aimer et de s’insérer sans trop de soubresauts dans la société marchande, à défaut de se métamorphoser. Rien de révolutionnaire, contrairement aux effets d’annonce.
La cure analytique sait aussi bien sûr faire ressortir les fondations de son être propre, revient sur la construction de soi, met à jour la trame de nos rapports au monde, et permet de douter de toute une série de fonctionnements, des plus généraux comme l’aliénation de masse, aux plus subtils comme la séduction, la perversité. Voir plus clair, avec plus de hauteur, dégager le chemin. Mais révéler la structure de ce monde surréaliste, voir l’envers du tapis, cela reste à la discrétion du patient. Toutes les architectures sont sujettes à la déconstruction, et se (re)construire dans le noir s’apparente aussi à une progression dans les catacombes de soi. Or comment ne pas voir en la vague psy une nouvelle forme d’ésotérisme, avec ses codes, son langage propre, ses logiques déroutantes, tels que l’enchaînement des mots, les lapsus, l’analyse des rêves sensés donner accès aux portes de l’inconscient. Des chaînes de mots qui délivrent ou qui produisent de nouveaux liens, des flux de paroles qui lavent ou qui noient ?
On peut se poser d’autres questions plus ouvertes : les relations humaines sont-elles devenues si pauvres dans nos sociétés matérialistes, marchandisées, qu’il faille aller communier chez le psy pour enrichir sa réalité ? Cette quête de sens n’aboutit-elle pas à de nouvelles mystifications, d’autres aveuglements ?? Une religion devient inutile, lorsque, tel un labyrinthe éventré, elle ne permet plus de se perdre pour se retrouver. Quand on traverse ses préceptes, ses lois et ses interdits de but en blanc, sans élévation ni abaissement, sans changement de perception entre le dedans et le dehors ; lorsque la lumière est définitivement la même, celle qui caresse dehors l’arbre poussé contre le vitrail, ou celle qui s’écoule, multicolore, sur la stèle et le tabernacle.
D’ailleurs c’est par son ingéniosité, grâce à son esprit mais aussi à son élan vital, du fait de l’urgence de l’enfermement, du dépérissement et de la mort promise, qu’Icare réussit à s’échapper de l’architecture labyrinthique, méticuleusement construit par lui-même. Son fils, qui voulait trop se rapprocher du Soleil-Vérité, s’y brûle les ailes et est précipité dans la mer. En revanche, Thésée tue le Minotaure, cet être mi-homme mi-animal qui représente les passions obscures et l’inconscient, mais il n’aura pas respecté les règles de l’art ni les conventions sociales : meurtre du monstre avec une massue plutôt qu’avec l’épée confiée par son père Égée, fuite et trahison d’Ariane, suicide du père suite à l’erreur de la voile noire, celle de l’échec, dressée en lieu de la voile blanche sur le chemin du retour.
Ombre et lumière : le mystère est percé à jour mais nécessite l’ultime sacrifice du fils ou de l’être dévoué, mais dévoile peu concernant les liens de l’amour.
Le quart d’heure de célébrité
Une des plus grandes critiques que je formule à l’encontre de la pratique actuelle de la psychothérapie, est qu’elle permet de cultiver son ego indéfiniment, étant en ce sens parfaitement en phase avec deux tares de nos sociétés modernes : l’individualisme (en tant qu’égoïsme) et le narcissisme, qui mènent au désenchantement du monde. L’analyse propose ainsi le poison et son antidote, comme un serpent qui se mord la queue. Dans le paysage que dessine l’introspection, notre regard se tourne magnétiquement de nos abysses de frustrations à l’horizon de nos désirs, au point de ne plus voir, même dans la contemplation des montagnes, que le reflet inversé de nos propres abîmes. La pulsion romantique en quelque sorte, qui dans un mouvement de retour aux sources, de fascination vis-à-vis des impuretés de soi, du scatologique, du pervers, espère faussement purifier alors qu’elle consume. Le patient aura tout le loisir – jusqu’à son propre épuisement, et encore ce n’est pas prouvé – de trouver la narration adéquate, de reformuler son storytelling et de revisiter indéfiniment ses souvenirs, d’analyser le moindre de ses actes afin de faire durer le plaisir et prolonger l’illusion d’exister.
Il me semble que quand on arrive au stade qui consiste à privilégier le symbolique sur le réel, c’est qu’on est devenu complètement accro aux circonvolutions psy et qu’on épouse son propre labyrinthe sans souhaiter s’en soustraire. Au contraire, lorsqu’on sait mettre en balance ces deux aspects fondamentaux de l’être humain, projection symbolique et appréhension du réel, afin d’envisager des portes de sortie, évaluer des solutions, tracer des perspectives qui prolongent, voire surpassent les fondations maintes fois revisitées, c’est qu’on est en train de, ou déjà sorti de sa propre analyse. Une analyse de la psyché ne propose pas des solutions toutes faites mais des questionnements, et il est si facile de s’étourdir d’hypothèses, confortablement assis ou allongé dans un espace qui protège tel un fœtus, mais n’ouvre pas forcément au monde.
Le narcissisme, la jouissance et le principe de réalité sont pourtant des thèmes amplement développés par Freud et ses disciples. Ainsi il affirme en 1911 que le remplacement du principe de plaisir par le principe de réalité signifie la « garantie » du principe de plaisir, et non sa destruction. La relation platonique que développent analyste et patient serait donc garante de nos énergies vitales, et non de leur dévoiement pour telle ou telle cause triviale. C’est à ce niveau qu’il faut savoir donner le change, pour que cette relation soit constructive. Or cette relation est également un contrat de type commercial, avec qu’on le veuille ou non, un client et un professionnel qui remplit un service, sauf qu’il n’y a pas vraiment de garantie de succès ; du moins les modalités et les critères ne peuvent pas être clairement énoncés, encore moins écrits, du fait de la particularité de chaque cure, toujours en devenir. C’est donc une première imposture transactionnelle, l’objectif pouvant, tel un mirage, sans cesse s’éloigner ou se redessiner.
Vales la pena : « tu vaux la peine » ou « tu vaux ta peine » ?
D’autre part, la majorité des praticiens ne peuvent pas ou ne savent pas se défaire de tout l’éventail de marqueurs de classe et de rituels bourgeois afin d’impressionner et se donner un semblant d’autorité : l’installation du cabinet principalement dans les quartiers chics, dans un appartement cossu, une villa de charme, un loft ou dans tout espace qui en impose ; parfois même, l’étalage dans son bureau de son bon niveau socioculturel, avec des objets de décoration savamment disposés dans la pièce, pour le plus grand bonheur du patient qui peut faire rebondir son regard d’un coin à un autre et y trouver inspiration en cas de mutisme ; ou alors (pour l’avoir vécu) quand les locaux sont tristement fonctionnels, les tarifs restent suspendus à un lustre de cristal imaginaire. Cependant, certains psy humanistes respectent les tarifs conventionnés, déjà honorables, et font des facilités de paiement, acceptent des déclassés sociaux. Ce sont d’ailleurs souvent ceux qui ont le plus besoin d’un soutien psychologique que Pôle Emploi est incapable de leur prodiguer (c’est même plutôt le contraire avec l’automatisation et la dépersonnalisation du traitement des dossiers).
Mais un psy n’est pas une assistante sociale, il prend bien garde de ne pas mélanger torchons et serviettes. Son patient n’est pas sensé colmater les fissures du quotidien, mais travailler sur lui-même en profondeur et dans la durée. Pour autant, le rituel invariable de la séance et les thèmes généralement abordés, qui portent sur la symbolique des choses, fixent l’un et l’autre dans le moment présent, comme une éternité qui reprend au début de chaque rendez-vous. Le temps semble alors s’arrêter (même si discrètement il faut consulter sa montre) et on replonge en soi, on redevient le centre de toutes les attentions. La bête parlante déroule sa langue et laisse s’exprimer si possible tous ses niveaux de conscience, fascinée par tant de plans de réflexion, multipliée à l’infini. Ce retour permanent à soi, son mal-être, son ressenti, son histoire propre et ses frustrations, c’est le fil du scénario qu’inévitablement le patient déroule, du fait de la vulgarisation de la cure analytique dans les revues psy, féminines et jusqu’aux quotidiens avec les people de la profession. C’est, pense-t-il, ce que le thérapeute attend de lui : creuser ses rêves et son inconscient, crever la bête, la fatiguer et la dominer par la parole…
Un conditionnement formel qui laisse finalement peu de place à la créativité, à une réelle dialectique constructive. Cette forme de facilité du rituel est contrebalancée par cette sensation qu’il se passe tout de même quelque chose, parce que des projecteurs semblent braqués sur le patient : l’écoute ou le regard du psy cautionne et rend crédible l’heure, la demi-heure voire le quart d’heure de célébrité selon d’Andy Warhol, où le patient/consommateur réorganisera son récit en fonction de ses besoins du moment. Il modèle son image en creux et s’auto-illusionne afin de meubler une routine des retrouvailles qui sinon paraîtrait terriblement vide et désincarné. Le retrait du thérapeute étant sensé le faire avancer à tâtons sur une corde tendue dans le vide, le visage tourné non pas vers une gloire télévisuelle, mais vers son reflet sublimé.
Érotique du cabinet
Impossible également de ne pas envisager l’érotique de la relation du patient au thérapeute, car nous sommes dans le cadre d’une grande entreprise de séduction mutuelle. Dans la quête initiale du « bon psy », cet aspect est primordial ; il est mobilisé dès la première séance avec la présentation de ses problématiques, afin d’estimer si on peut faire « un bout de chemin ensemble ». Ainsi, comme dans tout premier contact, on évaluera l’harmonie et les expressions du visage, les gestes, la modulation de la voix…
La quête de l’Autre, de son/sa promis(e) est une odyssée universelle et a fait basculer des empires, a fondé des religions. Aime-toi toi-même serait-il synonyme de connais-toi toi-même ? Ou encore aime ton prochain comme toi-même… Le Bien Aimé prend chair, dans le cadre d’une analyse, d’abord avec un visage recomposé : la superposition d’un Moi idéal avec la transparence de l’analyste, la profondeur d’un crâne humain, l’attirance de la Mort ou la beauté du Diable… Quel est donc notre obscur objet de désir ?… Les corps cependant restent sagement à leur place, les jambes se croisent et se décroisent, les pieds et les mains parlent mais à une distance respectable. Quand à la sexualité, elle reste du domaine de l’imaginaire certes. Alors que pour faire parler le patient, il est si facile d’appuyer sur le bouton maman ou papa, comment se fait-il qu’il est si incommode d’aborder ouvertement la question de la sexualité des deux côtés, quand on connait pourtant son positionnement central dans l’œuvre de Freud, mais aussi dans celle de Bataille par exemple.
Le rôle du sexe dans l’équilibre mental mais aussi physiologique ou comme temporisateur social, est une évidence que Freud a su mettre en lumière dans la société conservatrice et puritaine de la fin du 19e siècle ; au point d’aller porter vers la fin de sa vie, son message révolutionnaire et terriblement shoking jusque dans une Angleterre aux accents encore victoriens. C’est un de ses grands mérites. Une brèche dans laquelle se sont engouffrés les surréalistes irrespectueux, une mise à nu de la psyché humaine qui a inspiré les performances les plus trash des artistes-performers du XXe siècle, mais aussi les combats politiques des Pussy Riots. Ces provocations ne provoquent d’ailleurs aujourd’hui plus que des haut-le coeur chez les adeptes du « Mariage pour tous », en totale déconfiture morale et idéologique. Cependant, pour de très nombreux croyants, la religion a su imbriquer le sacré avec une sexualité fonctionnelle et purement reproductive en flirtant avec ce grand interdit de l’inceste. La peur du corps dans toutes ses fonctions et toutes les formes de castration qui en découlent sont parmis les grandes victoires du religieux sur les consciences. Ainsi, l’évocation du Kama Sutra relève du sacrilège pour certains intégristes, alors que la sacralité et la puissance énergétique et psychique du sexe est constitutive de l’être humain.
A-t-on fait le tour de la question du sexe, avec les derniers développements sur le genre et les nombreuses études consacrées au sujet aux USA, puis dans le reste du monde, sur les traces de Judith Butler. Le succès des revendications, mais surtout les modes LGTB ont heureusement en grande partie vulgarisé et démystifié la question du contrôle des esprits par les interdits jetés sur la sexualité, un interdit aujourd’hui usé jusqu’à la corde par tant de religions.
Si l’érotisme est l’art de suggérer, dans l’œuvre de dévoilement qu’est une analyse, il ne devrait pas être bien difficile de se déshabiller en pensée. Peur de dissiper le charme ?…
Revenir si souvent au complexe d’Œdipe, est-ce une manière de contourner un interdit dans les conventions sociales, afin d’aborder le sujet de la sexualité avec un thérapeute tout en se donnant bonne conscience ? Évidemment, c’est dans le secret de l’alcôve que tout se joue. Pourtant, si l’étude de sa propre sexualité comme des relations et des tensions érotiques au quotidien dépend du degré de désinhibition du patient en la matière, je ne suis pas certain que pour la majorité des personnes, il soit si facile d’entrer dans le vif du sujet si le thérapeute ne fait pas aussi un pas en ce sens. Que de pudibonderie dans le cadre d’une analyse…
Mais tout doit-il, peut-il se résumer au sexe, au désir ou à la pulsion de mort ? Dernière question : un rapport incestueux entre philosophie et religion aurait-il engendré la psychanalyse ?
Fin de la séance virtuelle
Florent se demanda s’il n’exagérait pas un peu avec ses séries de questions, lancées comme des rafales en direction du lecteur. D’ailleurs qui interrogeait-il, qui essayait-il d’atteindre? L’image du psy replié dans son mutisme s’imposait premièrement, mais aussi celle plus vague de sa propre conscience, qui finissait par se fatiguer de toutes ces hypothèses. Ses pensées s’embrouillaient, cette poussive dialectique plombait la dynamique de la narration. De fait il essayait de se sortir une nouvelle fois de l’embrouillamini existentiel et de la dictature du Moi, mais seul cette fois-ci…
Il n’arrivait plus à autoalimenter une réflexion qui se repliait lentement sur elle-même. Il imaginait un tourbillon dans l’eau, ou mieux encore, la double spirale propre aux galaxies qui s’ouvre ou se referme. Le Big Bang ne serait pas encore pour aujourd’hui… Songeur, il referma l’écran sur le clavier de son ordinateur portable.
Suite et fin de la réflexion avec Sortir du labyrinthe de l’ego
FH
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RESSOURCES
Classe sociale et usages de la psychanalyse :
Cliquer pour accéder à 27454100831100-1.pdf
Pratiques de la psychanalyse :
http://provirtuel.com/doc/4psy.html
http://www.santementale.fr/actualites/le-panorama-des-etablmissements-de-sante.html
Homosexualité et psy :
Labyrinthe et Minotaure :
https://bscnews.fr/201603255395/philo/mythologie-le-syndrome-du-minotaure.html
Le Symbolisme du corps humain, Annick de Souzenelle
A lire … de là à etre d’accord sur tout !
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