
Je ne suis jamais allé à Montréal. Pas plus en 1976 quand j’avais 6 ans qu’aujourd’hui. Un de ces lieux qui restent pour moi une hypothétique destination, comme un rêve américain limpide et transparent sentant bon l’ordre, l’harmonie et la prospérité. Montréal reste accompagnée de l’image mi-moderniste, mi-romantique que nous ont laissée les vedettes francophones avec les tubes extraits de la comédie musicale Starmania datant de 1978. D’ailleurs j’aime bien utiliser de temps en temps pour mes cours « Le blues du businessman » chanté par Claude Dubois sur une musique de Michel Berger, ou encore « Je reviendrai à Montréal » de Robert Charlebois, une chanson qui fait partie des ressources originales dans les bonnes vieilles méthodes de FLE. « Aujourd’hui, j’ai rencontré l’homme de ma vie » interprété par Diane Dufresne me plait beaucoup mais son rythme trépidant et ses expressions franglaises ne sont pas adaptés aux étudiants en français langue étrangère.
Montréal 1976, un héritage mitigé
Les jeux olympiques d’été, organisés à grands frais, laissèrent la ville de Montréal endettée pendant 30 ans. La fiche Wiki nous raconte que « le remboursement de l’hypothèque des installations comprenant le Village olympique, le Vélodrome et sa transformation en Biodôme, ainsi que le stade fut terminé en juin 2006. Ces olympiades furent un désastre financier, car « la construction du Stade olympique de Montréal a couté un milliard de dollars, soit trois fois plus que la somme prévue initialement. Ce surcout est dû notamment aux retards accumulés et aux mauvaises planifications financières du comité d’organisation ». Une belle pomme de discorde québécoise pour les années suivantes, du fait d’une frénésie d’emprunts et de cette ambition typiquement seventies, avec des architectures audacieuses et des innovations technologiques digne de Las Vegas. Les JO, c’est comme une Exposition Universelle, le prétexte à faire une publicité tapageuse pour le pays hôte mais qui ne rapporte souvent qu’une gloire éphémère, des dettes embarrassantes et des installations qui dépérissent lentement. Comme en Grèce après 2004, autre bel exemple de logistique foireuse, de corruption et d’impréparation des JO :
« Désignée comme ville hôte en 1997, Athènes a accumulé les retards sur le calendrier de constructions des sites olympiques et des infrastructures publiques. À tel point que, à l’été 2003, un an avant la cérémonie d’ouverture, seul un site destiné aux médias audiovisuels était officiellement prêt. L’ensemble des retards s’explique par des raisons politiques (corruption, concurrence entre ministères et organes décisionnaires, manque de communication…) et techniques (manque de savoir-faire, marchés fermés aux entreprises étrangères, découvertes archéologiques, mauvaise conception, réduction des budgets…).
Sous la pression des médias étrangers, des sponsors, de certaines nations craignant pour la sécurité de leurs athlètes et du CIO, mais également pour des questions d’orgueil national, le gouvernement grec et le comité organisateur ont mis les bouchées doubles pour rattraper le retard. Cela s’est traduit par une hausse sensible des coûts (effectifs accrus, heures supplémentaires, polices d’assurance…), mais aussi par une augmentation des accidents du travail. Le coût de l’organisation des jeux est évalué de 6 à 27 milliards d’euros selon les sources. Certaines ONG ont ainsi dénoncé le recours massif à une main-d’œuvre étrangère illégale pour pallier les insuffisances du bassin d’emploi local.
Le budget fera plus que doubler pour atteindre 13 milliards d’euros, augmentant la dette du pays de 2 à 3 %. D’autre part, officiellement, treize ouvriers ont trouvé la mort. En réalité, les sources officieuses de la sécurité sociale grecque parlent de plus de cent morts et d’au moins quatre-mille-cinq cents blessés, majoritairement des immigrés venus pour travailler sur les chantiers. »

On peut aussi prendre l’exemple de la dernière Coupe du monde de foot organisée par la FIFA au Qatar, du 20 novembre au 18 décembre 2022, occasionnant ce même genre de dérapages allant de la corruption, désormais omniprésente dans le sport professionnel de haut niveau, jusqu’aux nouvelles formes d’esclavage sur le chantier du stade et annexes. Les tout récents JO de Paris ont suscité un autre type de polémique, hormis les millions gaspillés pour dépolluer la Seine en surface : la propagande LGBTQ et l’irrespect des fondamentaux chrétiens – voire un sulfureux satanisme – présents partout en filigrane dans les cérémonies d’ouverture et de clôture de ces JO, ayant eu pour objectif principal de faire oublier le bilan catastrophique pour toute la société française de 7 ans de macronisme, une en marche accélérée vers la surveillance virtuelle et le totalitarisme juridico-policier.
Meilleurs vœux pour l’année nouvelle
Retour à l’année 1976. Sur cette carte de vœux ci-dessous, l’illustration est une photo de Renaud et moi, prise par notre père sur une plage de Nouackchott en Mauritanie. Mon petit frère allait sur ses 2 ans. Elle fut même imprimée sur place, les polices de lettres gothiques utilisées n’en étant que plus exotiques vues d’Afrique, évoquant possiblement la culture protestante et germanique du Pays de Montbéliard dont nous sommes issus. Je l’ai retrouvée il y a peu de temps, à l’occasion de la récupération des affaires de mon père par mon frère, ou peut-être dans un des albums que j’ai « hérité » du grenier de mes grands-parents maternels, des souvenirs dont ma cousine franco-autrichienne n’avait que faire, pas même les photos de ses propres grands-parents, à l’occasion d’un vidage systématique dans cette maison de tout ce qui avait de la valeur, avant sa mise en vente. Papy et Mamy comme on les appelait, bien inspirés, étaient venus nous rendre visite à Nouackchott en 1982, un an avant que leur fille ne s’éteigne à la période de Pâques 1983, entre Dakar et Paris.

Pourquoi Montréal au fait ? À cause du T-shirt que je porte sur cette carte de vœux, sur lequel on peut lire « olympique » au dessus d’un effet graphique non-identifiable. Mais c’est grâce à une autre photo d’enfance prise dans notre jardin en Mauritanie et sur laquelle je porte un T-shirt manche longue orné du logo des Jeux olympiques « Montréal 1976 » clairement affiché – avec cette réinterprétation des fameux cinq anneaux olympiques comme un doigt d’honneur – que je peux faire ce recoupement. Même coupe, même silhouette, même allure un peu sèche. J’en déduis que j’avais à cette époque dans mon armoire une série d’accessoires de la même origine (offerts par Papy et Mamy en France, achetés sur un marché de Nouackchott lors d’arrivages en gros d’articles déjà Made in China ?…) qui me donnaient cet air si olympique, aérien et détaché sur ces photos.
Le logo officiel des JO d’été de Montréal est l’œuvre du graphiste Georges Huel. Il représente les cinq anneaux olympiques surmontés d’un podium ou d’une piste d’athlétisme, lieu privilégié des jeux. On peut également deviner la lettre « M », initiale de Montréal. L’artiste a voulu donner comme signification « la fraternité universelle que propose l’idéal olympique, la gloire des vainqueurs, l’esprit chevaleresque de leurs luttes et l’accession de Montréal au rang de ville olympique ». Wikipedia
Cette photo, je l’ai revue récemment quand nous avons ouvert avec Renaud les albums conservés chez lui, comme la quintessence de notre passé affluant du côté de notre père, de notre grand-mère ou encore de ma marraine Yvonne, selon les aléas de la vie d’une famille ponctuée de joies mais aussi de disparitions et de ruptures plus ou moins violentes. Des tirages papiers rangés dans des albums, cela ne prend pas tant de place finalement pour raconter des vies parties ou toujours en cours. Que d’univers en expansion ils abritent, que d’époques renfermant de savoureuses madeleines sans parfum, des antisèches, des éclaircissements pour notre mémoire défaillante ou sélective, depuis qu’on n’a plus l’occasion de reparler de ces épisodes communs lors de réunions familiales désormais devenues laborieuses ou désuètes.
En faisant un focus uniquement sur les portraits, je retrouve mon air pincé, la mine boudeuse d’un angelot débarqué sur Terre, les sourcils légèrement froncés, comme si tout ce qui m’entourait était sujet à curiosité et interrogation. C’est toujours le cas, mais je fronce moins des sourcils, et mes boucles sont tombées. D’ailleurs persister à ressembler à un ange a fini par m’épuiser.
Il me semble que point une sorte d’inquiétude ou d’énervement dans mon expression. Certainement pour la pose, mon père m’avait demandé de « prendre enfin un air intelligent » et ainsi, tel un bon écolier concentré sur son ouvrage, je m’imaginais avoir matérialisé l’air intelligent. Sans cette qualité essentielle, je ne représentais pas grand intérêt pour lui, car je n’étais pas un objet valorisant socialement, un petit singe savant. Un obet valorisant…un truc de famille qui semble traverser le changement de générations. Même le fait que j’attirais les regards parce que j’étais blond et beau ne lui provoquait qu’une forme de cynisme moqueur. Comme je ne lui ressemblais en rien avec son physique de pilier de rugby assez banal et parfois hirsute, un de ses potes lui avait demandé dans une boutade comment il avait pu engendrer deux gamins aussi bien faits physiquement…
Ou était-ce mon frère qui déjà m’agaçait ? Je ne crois pas que ce soit le cas à cette époque, ma mère avait finit par me le faire accepter, à le considérer comme mon égal car chacun mérite sa juste place, qu’importe l’ordre d’arrivée et ses qualités personnelles. Est-ce que je regardais une grosse vague écumeuse de l’océan Atlantique qui s’élevait non loin sur le rivage, augurant les épreuves familiales à venir ?
Peut-être du fait de cette allure d’ange tombé du ciel, tant ont cherché à m’esquinter ou à me briser les ailes, à commencer par mon père… Elle m’a néanmoins servi à me protéger dans de nombreuses situations ou à être, tout naturellement, car la beauté impressionne toujours, même les plus acariâtres. Et puis j’avais appris ce que le statut d’un enfant blanc d’expatriés conférait en 12 ou 13 ans d’Afrique, si j’ajoute mon expérience au Congo en tant que Coopérant du Service National. Une facilité désapprise en 12 ans de Mexique, dans une sorte de libération du poids néocolonial.
Et Renaud, encore tout petit avec ses joues bien pleines ? Ben mon frangin s’est vite révélé d’un autre tempérament que moi, plus batailleur et franchement mec. Il s’occupe en ce moment précis de son petit tas de sable. Bientôt, il fera comme son père, il apprendra à en faire des châteaux, avec des douves et des remparts pour protéger son trésor, sa femme, sa carrière, ses enfants, sa version de l’histoire familiale et son statut avantageux. Se mettre à l’abri des vagues qui viennent toujours lécher le bonheur ou la réussite de chacun, de la marée qui inlassablement tente de mettre à bas les constructions à sa portée, même les plus solides.

Et mon père derrière l’objectif, que voit-il ? Deux enfants sur lesquels il peut se projeter, qu’il peut enfin aimer sans appréhension et dont il peut être fier ? Ou deux faire-valoir dont il est également fier mais sur lesquels il décharge inlassablement son mal-être et dont il se servira plus tard pour se reconstruire, telles deux béquilles qui ne le quitteront jamais symboliquement, en cas de besoin d’une aide concrète ou psychologique ?
Cet enfant qui scrute l’horizon, je continuerai à le laisser regarder ailleurs, estimer la profondeur et la complexité de l’univers qui l’entoure mais aussi à en jouir. Malgré l’assaut des lames de fond, il a appris à nager, à s’exprimer, cet enfant-cri, cet enfant-créateur. Parfois trop ambitieux, il aimerait refaire le monde à sa mesure, selon ses désirs. Ou avoir grandi dans une famille idéale qui n’a jamais existé et continuera à exister dans sa tête tant qu’il en nourrira la nostalgie.
Cet enfant déteste plus que tout l’injustice. Mais il ne demande plus Justice, car ce n’est pas de son ressort. Il a enfin compris que dans le monde des adultes, la justice est très relative, et que le temps des chevaliers est d’une autre époque.
Cet enfant a accepté qu’il y a des choses qu’il ne comprendra jamais, qui le dépassent et qu’il ne faut pas poursuivre indéfiniment. Et surtout des problèmes qu’il ne résoudra pas seul, ou même qui ne trouveront jamais de solution définitive. Que le passé appartient au passé, les vivants ici, les morts à leur place dans l’au-delà, ou bien rangés dans sa tête et son cœur. Sinon il devient lui aussi tyrannique. Alors, c’est l’adulte qui prend le relais, trouve ses propres réponses, expérimente des thérapies, se trompe, se perd, recommence, se retrouve, confirme, soulage cet enfant de son fardeau trop lourd.
Cet enfant sait que certaines actions signifient beaucoup plus que toutes les paroles du monde.
Cet enfant écorché sait qu’un jour il cicatrisera suffisamment pour laisser vivre l’adulte entièrement, un adulte né du ventre mou de l’enfance, de ses entrailles, de ses luttes et de ses résistances. Alors, il n’aura plus besoin de se tourner vers sa douloureuse histoire familiale afin de trouver les accroches nécessaires à la remontée de ses abîmes existentielles, à l’accomplissement d’une partie de sa destinée qui a commencé comme un défi face à la mort. Il pourra ne plus être toujours en alerte, dormir à nouveau du sommeil des anges, se tranquilliser sans toutefois baisser la garde pour être exactement en éveil et prendre part au rythme du monde selon sa juste mélodie.
Il est des histoires familiales similaires à une longue bataille ouverte sur plusieurs fronts, selon des formes éprouvées pendant l’Histoire : guerre de tranchées, opérations héroïques, trahisons, délations et sacrifices… Le but étant de trouver la meilleure stratégie non pas pour gagner, mais pour en survivre, car l’idée même de patrie et de maison commune a disparu. Une lourde dette à partager, dont il faut s’affranchir, où la morale et le respect blémissent devant les attitudes basses et les calculs triviaux, les postures d’autorité, les petites lâchetés ou les vastes hypocrisies.
Une histoire à l’image de ces JO de Montréal des années 70 ou d’Athènes des années 2000, qu’importe l’époque. Cela commence avec des rêves de gloire et de réussites, des ambitions démesurées de podium, mais le retour brutal au réel s’impose. Le décor change de lumière. L’or, l’argent et le bronze se transforment en plomb, il faut payer la facture salée et réparer des fractures diverses entre les survivants, pendant que des athètes encore hagards persistent en mode compétition ou que les entraineurs véreux ont filé avec la caisse. Il y a celles et ceux sifflent la fin de la course et affichent les performances de l’équipe, celles et ceux qui ressortent les brancards et les trousses de premier secours, celles et ceux qui estiment les dégâts tout en espérant encore des bénéfices symboliques, celles et ceux qui comptent toujours sur les autres pour les sauver de la noyade, celles et ceux qui sont déjà passé à un autre type de divertissement grand public… Une belle équipe de champions !
On aime à dire, selon la vision ultralibérale de notre époque largement adoptée par les miens, qu’on ne change pas une équipe qui gagne. Mais alors, que fait-on d’une équipe qui, imperceptiblement, a presque tout perdu, à commencer par le courage de la vérité et une forme d’éthique et de dignité ?
Mais voici que ma vision s’éclaircit. Car finalement, ce qu’il regarde sur le rivage, cet enfant de profil sur la carte de vœux, c’est le bateau qui l’attend, toujours là, sagement à quai, soit canot de sauvetage, soit voilier blanc avec un marin qui l’appelle par son nom : Flo, vient et laisse tomber ton château en ruine, l’aventure t’attend à nouveau !
Ne serait-il pas temps de reprendre le large ?
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Florent Hugoniot
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SOURCES
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeux_olympiques_d%27%C3%A9t%C3%A9_de_1976
https://www.rds.ca/montreal-1976-un-heritage-mitige-1.164604



