Comment appréhender physiquement une ville telle que New York ? Un désir mégalomane assurément voué a l’échec et à la frustration me direz-vous, tant la tâche est ardue… à défaut d’être impossible. Car cette mégapole a ceci de déroutant qu’elle vous attire très haut dans les altitudes ou vous fait plonger profondément dans ses entrailles, tandis qu’elle ne vous emmène pas forcément loin dans l’espace (sauf en pensée)… Mais elle saura assurément vous retenir et vous séduire pour vous faire basculer dans sa démesure !
Comme si elle avait tout à la fois le pouvoir d’hypnotiser (les grattes-ciels de Manhattan, les lumières de Times Square), de faire planer (cette sensation mélangée de décor de cinéma, de rêve et de déjà vu) et d’épuiser (les transports jusqu’aux Burroughs de Brooklyn ou du Queen) pour mieux vous digérer. Aussi pour échapper à cette disparition programmée et inéluctable, fatale et presque fœtale pour le visiteur lambda, il faut beaucoup marcher à New York. Certes afin de voir le maximum de ses merveilles architecturales et artistiques dans un temps généralement réduit et toujours trop court. Mais aussi pour fuir le vertige de la première impression et suivre le rythme trépidant et sooo craaazy des autres touristes de tout style et de toutes nationalités – la moitié de la foule dans les rues de Manhattan ; ainsi que le tempo d’acier trempé des biznessmen&women – l’autre moitié, hyperactive, tirée a quatre épingles en costume trois pièces et talons aiguilles, qui glisse sur les trottoirs en ciment, un Iphone à la main, droit devant, le regard dur et volontaire, le cheveu dru et impeccablement lissé…
Et aussi tout simplement parce que les distances sont ici si loooooooongues !! Donc quand un passant ou un commerçant souvent très sympathique vous indique sur un ton réellement friendly que votre point d’arrivée est juste à quelques blocs, comptez encore bien vingt minutes de marche ! Au final vos pieds lourds, soooooooo heavy, semblent s’enfoncer dans le sol après tant de kilomètres parcourus tandis que votre regard reste invariablement scotché sur la verticalité des buildings, étiré vers les perspectives obliques et happé par des cieux en escaliers. Attention, en vous imposant ce régime de cheval, vous risquez de friser la déchirure musculaire, le tournis et le lumbago ou une étrange forme de schizophrénie corporelle au bout de quelques jours !
New York à vélo et en zig-zag
Mais il y a plusieurs manières de glisser sur la grosse pomme tout en restant bien entier, et de se sentir léger comme la brise marine : laisser les rayons de soleil vous surprendre au coin d’une rue et vous réchauffer le corps, aller régulièrement voir et respirer l’océan, se reposer sur les bords de l’Hudson et laisser vos yeux se refléter et flotter sur la skyline de Manhattan, se ressourcer dans les beaux espaces verts (dont off course Central Parc). Mais aussi prendre le taxi (hors des heures d’embouteillage) ou un hélicoptère (c’est plus cher) ; ou encore se déplacer en vélo ! Eh oui, il est possible de circuler sur les nombreuses pistes cyclables que la mairie étend progressivement, l’équivalent de 120 km tout de même ! Un plan gratuit est disponible dans chaque magasin de location. Il y en a dans toute la ville, comme par exemple à Battery Park au sud de Manhattan ou face au pylône du pont de Manhattan, côté Brooklyn, au 35 Pearl Street. Il faut compter environ 7$ de l’heure ou 35$ les 24 heures de location. Sinon arriver à se faire prêter le vélo d’un ami new-yorkais, ou alors en acheter un d’occasion (autour de 300$) pour les plus longs séjours. Puis se concocter ses parcours en empruntant les pistes vertes, réservées aux cyclistes, ou les pistes rouges, sur les lignes de bus. Et vous pourrez ainsi apprécier jusqu’à l’ivresse (tout en gardant un œil sur la circulation ! ) New York dans sa globalité :
Une beauté sublime et surnaturelle, une violence sourde, une apparence sophistiquée et déstructurée, dense, profonde et lumineuse a la fois. Humer les effluves de poubelles, les gaz d’échappement et l’iode marin. Et tenter d’embrasser du regard TOUT Big Apple en quelques journées de pédalage intense et frénétique, mais au risque d’y perdre vite et la tête et la santé ! Car y circuler en vélo demande pas mal d’aplomb, et surtout ne vous mettez pas à imiter les cyclistes new-yorkais qui n’hésitent jamais à griller les feux rouges et à s’élancer front baissé dans les grandes avenues non aménagées et super encombrées !
Mais le mieux est encore de se laisser guider au feeling par le guidon et par ses envies.
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Plus de 75 % des habitants de l’île de Manhattan ne possèdent pas de voitures. Seuls 18 % des habitants conduisent pour se rendre au travail. Le métro de New York reste donc le moyen de transport le plus utilisé. Mais le vélo, en plus de vous laisser absolument autonome, a cet avantage de pouvoir vous faire traverser les magnifiques ponts suspendus de la ville tels que le Brooklyn Bridge et le Manhattan Bridge, sans avoir a y passer une demi-heure a pied. Plus une sensation de vol que vous ne trouverez dans aucune attraction de Coney Island…
New York, à la fois porte d’entrée et carrefour du Nouveau Monde, a construit ses ponts à son échelle : immenses, puissants et délicatement ouvragés. Ils lui permettent de tenir en suspend au dessus de l’estuaire de l’Hudson tout en assurant à la circulation automobile pléthorique plusieurs passages, une traversée de la longue île principale, verticale et perpendiculaire, en s’engouffrant dans son réseau routier tentaculaire. Pour les humains, c’est le plus bel accès au cœur du process, un déversoir dans le vortex économique et financier qu’est Manhattan avec ses commerces, ses administrations et ses banques. Telles d’impressionnantes toiles arachnéennes, elles se balancent d’une rive à l’autre et tissent la mégapole, tout donnant à voir le large, l’océan au loin et l’horizon indépassable de la modernité. La nuit y est un enchantement de lumières scintillantes, le jour un possible envol vers la Liberté…
En contrepoint des photos illustrant cet article, les ponts et passerelles que j’ai pu emprunter ou juste contempler de loin, ci-dessus une vidéo prise sous le pont de Manhattan – mon préféré, immortalisé par l’affiche du film de Sergio Leone « Il était une fois en Amérique » (1984) avec Robert de Niro. On y entend le bruit infernal du métro aérien qui passe régulièrement au dessus, sur les rails, très haut entre le flux des voitures et des camions. Elle permet aussi de saisir la démesure de l’architecture métallique face au premier pylône. Métal hurlant, assourdissant, un vrai déchainement de Walkyries !
Dans un ordre allant du sud au nord, voici l’historique et le descriptif des trois ponts suspendus au dessus de l’East River, sur l’Hudson, emblématiques de New York/Manhattan :
Le Brooklyn Bridge est un des plus beaux ponts de New York. C’est aussi l’un des plus vieux ponts reliant l’île de Manhattan au célèbre quartier de Brooklyn. Ce fut aussi le pont suspendu le plus large du monde lors de son inauguration le 24 mai 1883. D’une longueur de près de 2 kilomètres (1 825 mètres) et soutenu par quatre câbles d’acier de 28 centimètres de diamètre, 14 ans de travaux furent nécessaires à la construction de ce pont conçu par l’architecte John Augustus Roebling, lequel avait déjà dirigé la construction du pont suspendu de Waco au Texas et celui de Cincinnati dans l’Ohio.
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Le Manhattan Bridge a été ouvert au public le 31 décembre 1909, alors que sa construction (d’un coût de 31 millions de dollars de l’époque) n’était pas encore achevée. Il sera complètement terminé en 1912. Le pont possède deux niveaux de circulation. Le niveau supérieur offre quatre voies pour les véhicules, deux dans chaque sens. Sur le niveau inférieur, on trouve 3 voies pour les véhicules, quatre voies ferrées pour le métro et une allée pour les piétons. À ce niveau, le sens de circulation peut être modulé selon les besoins du trafic : les trois voies dans le même sens, ou deux voies dans un sens et une à l’opposé.
La circulation du métro a été plusieurs fois interrompue sur le pont de Manhattan depuis 1984. Il sert de passage à deux lignes différentes (2×2 voies), connues sous les noms de « North tracks » (ligne du nord) et « South tracks » (ligne du sud). Cela est principalement dû à la conception du pont, qui n’est pas bien adapté au transit ferroviaire. Le passage des rames provoque des oscillations qui à leur tour endommagent les voies. Ce tronçon de la ligne du sud a été fermé entre 1990 et 2001, celui de la ligne du nord entre 2001 et 2004.
Le Williamsburg Bridge date de la même époque que les deux précédents, au tournant du XXéme siècle. La construction du pont a commencé en 1896 et il a été inauguré le 19 décembre 1906, ayant coûté 12 millions de dollars. Jusqu’à l’achèvement du pont de Bear Mountain en 1924, il a été le plus grand pont suspendu du monde, avec une longueur de 2 227 mètres. (Source : Wikipedia)
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New York, quelques pieds plus haut
Vous pouvez aussi aller vous promener, à pied cette fois-ci, sur la High Line, la dernière attraction hype dans le quartier de Chelsea. Cette voie piétonne et arborée emprunte une ancienne voie ferrée aérienne et permet d’admirer différents points de vue de l’ouest de Manhattan en se baladant au dessus de prestigieuses galeries telles que Gagosian Gallery ou Mary Boone Gallery.
Ici, les ponts suspendus et les passerelles offrent une continuité, un dégagement et une sérénité intemporelle au milieu des cassures, les ouvertures brutales qui s’offrent à vous dans tout Manhattan comme sur les rives voisines.
New York Subway, une métropole inversée
New York, capitale de tous les alliages et de la mixité, célèbre certainement le mieux depuis un siècle et demi le règne des métaux dans l’architecture et l’urbanisme. Elle le fait avec tant de brio et d’audace qu’elle vous laisse suspendu dans un autre espace-temps. Creuset culturel, alliant le plomb, l’acier et l’or, elle prend tout pour tout recycler. Les réseaux de transport en commun quadrillent cette mégapole, le Subway, complexe et gigantesque, s’étend sur plusieurs niveaux sous terre. C’est pour cela que plus qu’ailleurs, on s’y sent toujours un voyageur grisé par le mouvement, un être humain en transit dans un cosmos domestiqué…
Le voyage est temporel aussi, quelque part entre le style Liberty/1900, le style Art Déco (omniprésent) des années 30/40, le Bauhaus et le modernisme, les antiques rangées d’immeubles en brique rouge rayés d’escaliers de secours en fer se reflètent sur les façades en miroir cubiques plus contemporaines. Les sculptures néo-gothiques semblent s’éparpiller et s’envoler sur les reflets des tours récemment sorties de terre et jouant de la déstructuration. Quelque part au pays d’hier et d’après-demain, voici la ville qui ne dort jamais, en constant renouvellement. Le fantasme universel des USA : une corrélation parfaite du temps et de l’espace, une réalité vécue en quatre dimensions…