Tuto est une force de la nature. Il suffit d’entrer dans son hôtel/atelier pour s’immerger aussitôt dans son univers étrange et envoûtant : des visages, des personnages, des mains comme libérés d’énormes souches d’arbres qu’il va lui même chercher dans les rivières, sur la côte pacifique du Mexique. C’est exactement à San Agustinillo, dans l’État de Oaxaca, qu’il a élu domicile depuis 6 mois. Chilien d’origine et voyageur infatigable, il a bourlingué dans de nombreux pays d’Amérique centrale et au Mexique pendant 20 ans. Nomade dans l’âme, c’est seulement depuis 5 ans qu’il se consacre entièrement à la sculpture sur bois d’œuvres monumentales, après avoir fabriqué et vendu des bijoux, des pipes en bois et travaillé pour divers boulots alimentaires. Ce qui le tire chaque jour plus en avant, c’est ce besoin fondamental de liberté, en plus de sa passion relativement neuve pour l’art. De son vrai nom Carlos Jorge Valenzuela de la Jara, il est considéré comme le mouton noir de de sa famille – il n’a jamais voulu suivre des études comme ses frères et sœurs et avoir le way of life de sa famille. Rebelle, Tuto a ainsi toujours rejeté toute chaîne sociale. Autodidacte et heureux de son choix initial, celui de rester maître de son destin et de toujours se dépasser sans se laisser enfermer par la routine, il se considère plutôt chanceux car non contaminé par la société de consommation : il n’a jamais regardé la télévision, se désintéresse du brouhaha des news internationales ou nationales afin de préserver son monde intime de rêves, d’où il tire toute sa force et son énergie créative. Il se voit plutôt comme “la obeja blanca” (mouton blanc) dans un monde en perte de sens. Mais il se définit avant tout comme un “sculpteur ambulant”.
Lorsqu’il est arrivé à San Agustinillo avec juste sa camionnette et son matériel de sculpteur, Tuto a rapidement vendu une grande table sculptée dans un tronc d’arbre massif à un hôtel de la côte. Cela qui lui a permis de louer d’abord pour trois mois ce bel espace, juste en face de la plage, magnifique. Il a commencé par restructurer le lieu, en y amenant plus d’ombre grâce à une toiture en palmes, plus propice à son activité très physique. C’est d’ailleurs dans un tronc de palmier qu’il a réalisé sa première sculpture au Mexique. Avec sa toute première vente, il a acheté le matériel de taille sur bois avec lequel il travaille encore. Puis les affaires allant sur la côte pacifique, avec d’autres commandes et des ventes ambulantes dans sa camionnette, il a aussi aménagé quelques cuartos à son image, simples et rustiques, soit quelques chambres barratos (bon marché) à louer face à l’océan immense.
Écologie, recyclage et biodiversité sont également les moteurs de son activité artistique. Il n’utilise que des matériaux naturels qu’il va lui même récolter dans les forêts, les cours d’eau ou sur la plage. Il dégage ainsi les rios, qui enflent avec la saison des pluies et charrient des énormes troncs déracinés, qui viennent ensuite encombrer le lit des rivières, séchant parfois là pendant plusieurs années ce qui les rend plus compacts et intéressants à travailler. Allergique à quatre espèces d’arbres locales, Tuto préfère travailler uniquement le Huamuche, un bois légèrement rose qui rougit au soleil. Pour le récupérer, il part avec camionnette, cordes et tronçonneuse et se démène seul pour remonter de fortes pentes des morceaux de bois pouvant faire plusieurs dizaines de kilo. Il se débrouille d’ailleurs toujours pour que la sculpture un fois finalisée, il puisse la transporter lui même à la force des bras, comme pour mieux étreindre ses œuvres dans un ultime abrazo (hug, étreinte) ; les plus grandes dépassent donc rarement sa taille.
Élevé à la campagne, Tuto monte à cheval dès l’âge de 4 ans. D’où ce rapport quasi fusionnel avec la nature, et cette sensation de force brute qui émane de ce personnage attachant, qui ne manqué pas d’humour et d’attention derrière son apparence massive d’homme des bois. Il travaille directement le bois à la tronçonneuse, avec une dextérité qui lui permet de façonner des détails tels que les oreilles de ses personnages… Inspiré par le thème des mains jointes, il décide d’en produire douze versions. Car Tuto est un artiste infatigable, pouvant réaliser en quelques jours plusieurs grandes sculptures dans un désir frénétique, quasi obsessionnel de créer et de se surprendre lui même. Dans sa démarche artistique, il rêve d’abord une figure a laquelle il va donner corps dans un souche de forme adéquate. Ce peut être inversement le profil des troncs qui va lui inspirer une composition, mais beaucoup plus rarement. Il a ainsi réalisé deux bas-reliefs, une ode au songe et à l’imagination, “Poder del Sueño” (pouvoir du rêve) et une autre “La Mano del Maestro” (la main du maître).
Lorsque que je suis entré dans son atelier en plein air, le patio il finalisait une commande. Une dizaine de “puertas atrapasueños”, version géante des catch dreamers amérindiens. Il a installé la première, comme la toile d’une araignée mutante à l’entrée de son hôtel, ce qui a attiré l’attention de nombreux habitants du coin. Il suffit de la faire pivoter pour se glisser dans son univers. Ces puertas sont autant de passages cosmiques, des vortex de chaman. Tuto m’explique comment ces œuvres rassemblent les 4 éléments : Le grand cercle d’acier entrelacé de lianes représente la pleine lune, la première couronne de fil tressés le soleil, puis une toile d’araignée vient enserrer en son centre une concha (coquillage) qui symbolise l’eau. Accrochées sur la partie basse du cercle, des semillas (graines) de flamboyant faisant office de sonnette apportent le dernier élément terre à la composition. Pour Tuto, cette démarche artistique participe d’un processus de cicatrisation, une belle image pour exprimer à la fois l’intimité et le secret de son univers, faisant également office de passage, comme une respiration ou une peau en permanente recomposition.
Ses sculptures sont déjà installées dans de nombreux pays : 186 au Chili, d’autres au Panama et Amérique centrale. 50 étant pour lui un chiffre fétiche, il s’amuse du fait qu’au Mexique, il ait vendu une cinquantaine de pièces à Tulum, à Majagual, à Monterrey… Lorsqu’il atteint ce chiffre, souvent il change de décor. Lors d’un séjour de 25 mois à Montréal, il produit 25 œuvres qu’il vend sur le champ, lui assurant un revenu confortable de 25 000 pesos. Mais ses prix restent en général très abordables, économie locale oblige : autour des 1000 a 2000 pesos une sculpture de taille humaine, soit de 60 euros au double.
Son dernier désir serait de s’offrir un camion et une grue pour faciliter sa récolte de matière première. Et son dernier projet artistique est de se donner en représentation sur les places des villes pendant l’élaboration de ses sculptures : installé dans une structure pentagonale comportant des grandes ouvertures latérales afin que les passants puissent le voir travailler dans un corps à corps avec les éléments naturels, il envisage son activité comme un happening permanent, ouvert sur le monde.
Tuto est capable aussi de tout vendre, sculptures, meubles et objets usuels compris, afin de ne garder que son matériel, chargé à l’arrière de sa camionnette et de repartir pour de nouveaux horizons. Il projette ainsi de se rendre dans quelque temps au Pérou, et de là suivre le cours du fleuve Amazone jusqu’au delta brésilien. Souhaitons-lui bon vent, feu, eau pure et bois flottés à profusion ¡ Ojale que vaya bien!
Contact Facebook : Tuto Valenzuela
Rédaction et photographies : Florent Hugoniot
Article intéressant Merci