Le vendredi 17 février 2012 avait lieu le vernissage de l’exposition « Ante la Destrucción Ambiental, ORGANIZATIÓN » organisé par le collectif Otros Mundos au centre culturel El Paliacate, à San Cristobal de las Casas dans le Chiapas. Une sélection d’une vingtaine de sérigraphies de moyen format était présentée sur les murs du premier niveau, dans cet espace pluridisciplinaire alternatif. Ce même soir on pouvait voir dans une petite salle à l’étage un documentaire produit par Otros Mundos AC et Amigos de la Tierra México, « REDD, La codicia por los árboles », qui permettait de mieux comprendre les enjeux commerciaux et politiques qui étouffent ce territoire du sud du Chiapas, la Selva Lacandona, deuxième poumon vert d’Amérique latine, unique pour sa biodiversité.
Car les forces en présences, les intérêts financiers, les différents courants politiques et les mouvements autonomistes sont nombreux et rendent complexe la compréhension de la réalité actuelle. Loin des refrains officiels et de la propagande sur le terrorisme d’État, ce documentaire permet de saisir, sous un angle militant revendiqué, comment la défense de la biodiversité, l’écotourisme et la recherche scientifique peuvent parfois être détournés de leurs buts a priori humanistes, pour servir une stratégie néo coloniale d’accaparement des ressources naturelles, au détriment des populations indiennes.
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Voici le trailer de « REDD La codicia por los árboles » – « REDD (Réduction des Émissions de CO2 provenant de la Déforestation et de la Dégradation des forêts) La convoitise des arbres« , lien sur le documentaire entier en fin d’article ) :
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Et voilà la traduction du manifeste de l’exposition, au style un peu lourd mais éloquent :
« Dans le cadre du changement climatique, avec la problématique de la destruction environnementale, du consumérisme comme politique d’aliénation, de la coupe du bois, de la perte d’humidité, de l’accaparement de l’eau, de l’usage des énergies sales comme celle nucléaire, la construction de remparts contre les intérêts capitalistes, contre les mafias des corporations transnationales recevant l’appui des gouvernements subordonnés à l’impérialisme, ainsi que contre les conséquences de l’extraction et la consommation des hydrocarbures, sont les sujets qu’ont abordés différents acteurs de la culture : des dessinateurs graphiques, des graveurs et des peintres, tous activistes et faisant partie de différents collectifs du Mexique, qui ont participé conjointement à la conception et réalisation de dix cartels de 47,5 x 70 cm, en impression sérigraphiée ; des propositions développées sous le slogan « non au changement climatique, oui au changement systémique, non à la destruction environnementale, oui à la destruction du capital ».
Ainsi chaque participant traite de la nécessité de Justice Climatique pour Tous, et pas seulement pour quelques uns, entame une discussion où toute l’Humanité analyse, discute et s’accorde sur un changement du système économique, de la production et de la consommation, ce qui permettra des avancées concrètes ainsi que des progrès dans la connaissance et la spiritualité soit réalisés. L’espèce Homo Sapiens doit reconnaître qu’elle fait totalement partie du Vivant, cela concernant tous les êtres vivants, végétaux et animaux, qui habitent la planète Terre. »
M68, ZAM, Colectivo CordycepsX
Chacune des affiches ayant servi lors de manifestations citoyennes pacifiques, cette exposition est comme un bilan, un panorama, un hommage. Un tour d’horizon pour donner a voir la mobilisation politique et la création graphique, pour mobiliser et susciter des réactions, voire des vocations…
Le public nombreux a eu droit à une petite séance musicale live de type chamanique avec CONEXIÓN Y RESONANCIA (Círculo de sonido, encuentro vibracional, respiración consciente y vocalización, circulation du son, vibrations énergétiques, respiration consciente et vocalisation)
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Les tenants…
Le Chiapas est depuis longtemps la proie de multinationales exploitant les richesses naturelles comme le bois tropical, les ressources minières et imposant la monoculture qui détruit tout l’écosystème et la biodiversité. L’eau aussi est un enjeu majeur, puisque le Chiapas produit grâce aux nombreux barrages hydrauliques une majeure partie de l’électricité – notamment celui situé dans le Cañon del Sumidero vers Tuxla Gutierrez, capitale du même État. le Mexique ne souffre absolument pas de défaut énergétique, il exporte même son électricité vers les pays frontaliers du sud et du nord. L’eau potable, dont cette région est comme un énorme réservoir – il reçoit 50% des précipitations de tout le Mexique – est aussi un enjeu de plus en plus sensible (lire Selva Lacandona, Arbre de Vie et mythes mayas).
De gros intérêts commerciaux pèsent donc sur cette partie du pays située en bordure du Guatemala, tout au sud du Mexique. C’est paradoxalement l’État le plus riche en ressources naturelles, mais aussi le plus pauvre en revenu par habitant. Depuis la conquête espagnole et l’époque coloniale, le Chiapas s’est habité à être spolié de ses richesses par des intérêts étrangers. Mais le jour de la signature de l’ALENA (accord de libre échange entre les trois pays d’Amérique du nord que sont le Canada, les USA et le Mexique) le premier janvier 1994, EZLN (Ejército Zapatista de Liberación Nacional) ou Armée Zapatiste de Libération Nationale s’est fait connaître internationalement.
Elle s’est soulevé contre l’exploitation internationale et ses soutiens dans le gouvernement mexicain ultralibéral, déclarant la guerre à l’armée mexicaine dans un communiqué datant de la fin de l’année 1993 (lire Wikipedia sur le sujet). D’inspiration pourtant pacifiste et démocratique, le mouvement révolutionnaire zapatiste du Chiapas, inspiré par la figure historique du Mexique Emiliano Zapata, s’est donné comme vocation de représenter l’ensemble des populations indigènes du Chiapas, et pour but de défendre leurs droits et de conduire cette zone progressivement vers l’autonomie.
Crée en 1983, poussé sous les feux de l’actualité en 1994 avec la résistance armée résistance dans la région et la forte médiatisation du sous-commandant Marcos, EZNL est toujours actif et reste encore aujourd’hui un symbole fort pour tous les militants de l’altermondialisme. Les discussions avec le gouvernement mexicain ayant plusieurs fois échoué, ce groupe de résistance a rompu tout dialogue et préfère se concentrer actuellement sur la création de petites entités locales et démocratiques. Éducation, culture locale maya et développement écologique sont les principaux axes. La Première Déclaration de la Forêt Lacandone met en avant les thèmes de « travail, terre, logement, alimentation, santé, éducation, indépendance, liberté, démocratie, justice et paix ».
… et les aboutissants
Le documentaire « REDD, La codicia por los árboles », qui a recu le soutien de Amigos de la Tierra Internacional, Fundación Siemenpuu et Global Justice Ecology Proyect pose le problème du changement climatique et son impact sur les paysans du Chiapas (sécheresse et inondations, production agricole en diminution) ainsi que la question de l’engagement du gouvernement mexicain et des grandes organisations internationales dites vertes, du respect/violation des droits de la populations indienne, de la manipulation des habitants et de la marchandisation de la Tierra Madre, motif de division des communautés :
« Le mécanisme REDD (Réduction d’Émissions de CO2 provenant de la Déforestation et la Dégradation des forêts) résonne dans l’actualité du Chiapas, du Mexique et de beaucoup d’autres lieux du monde. Il a été proposé il y a quelques années par l’ONU comme un mécanisme de compensation qui aiderait à combattre le changement climatique.
Cependant au Sommet du Climat de Cancún en 2010 (COP16), cette proposition a été garantie grâce à l’appui du Gouvernement du Mexique, qui a présenté quelques « actions précoces » de REDD et a introduit les communautés rurales sur le marché du carbone…
Dans ce documentaire, différentes parties prenantes donnent leurs arguments sur la REDD, sur l’intérêt qui existe concernant l’implantation de ce mécanisme et sur ce qu’il implique pour le Chiapas. Ici nous mettons en avant l’opinion de parties impliquées, que les médias commerciaux cachent. REDD apporte-t-elle une solution réelle à la crise climatique ? Quelle relation existe-t-il avec la Selva Lacandona ? Qu’est-ce qui en fait un sujet si important ? »
Greenwashing
Il est ici intéressant de saisir comment le projet de réduction des émissions de carbone est perverti par le marché, puisque les plus gros pollueurs tels que les USA peuvent acheter plus de droits d’émission sur le « marché du carbone » aux pays peu pollueurs, tels ceux d’Amérique centrale ou d’Afrique. Une initiative écologique est ainsi complètement dévoyé et rendu à la spéculation. En outre, certains projets de préservation de la biosphère sont chapeautés par des firmes espérant avant tout des retombées commerciales.
De même que le gouvernement mexicain n’a jamais tenu ses promesses de démilitariser la zone du Chiapas autour de la Selva Lacandona, dans ses négociations successives avec EZNL, de même certaines firmes pharmaceutiques ou certains exploitants agricoles, une fois installées sur le terrain, ne respectent pas leurs engagements et se livrent à un pillage des ressources, à la monoculture intensive.
Sous couvert du développement d’une économie bio-responsable, elles obtiennent même des aides internationales… Ce type d’imposture fait partie du Greenwashing ou marketing vert, qui se donne une justification écologique pour la meilleure publicité internationale et pour une politique commerciale toujours plus agressive et finalement destructrice de la biodiversité – quand il ne s’agit pas de breveter les espèces déjà connues et utilisées par les populations indigènes et de s’en assurer l’exploitation exclusive.
Effets pervers de l’écotourisme
Un autre effet négatif de la protection des régions riches en biodiversité et de la création de réserves naturelles vient de certaines populations locales ou environnantes, qui prétextent de cette récente valeur éthique qu’est la sauvegarde de l’environnement pour augmenter leurs prix dans toute la zone. Ainsi dans la région des lagunas de Montebello, où nombreux sont les touristes mexicains et étrangers qui viennent admirer la pureté et les variations colorées de dizaines de lacs qui se succèdent dans un paysage très boisé, j’ai pu constater par exemple qu’une simple bouteille d’eau s’y vendait le double du prix pratiqué partout ailleurs au Mexique – alors que tout autour l’eau potable existe en grande quantité. Les tarifs flambent, et les mentalités changent, une conséquence néfaste de l’attrait touristique provoqué par ces réserves naturelles. Elles se trouvent ainsi « capitalisées » et mercantilisés par les villageois, pour ensuite quel retour positif sur l’environnement ?
Leurs investissements iront plutôt vers l’achat de véhicules neufs, plus puissants et qui amèneront plus de risque de pollution. La modernisation de leur habitat favorise les constructions kitsch en parpaing et ciment qui dénaturent le paysage, uniformisent les styles de vie dans un confort tout superficiel, enferment les familles dans l’égoïsme et l’individualisme, tandis que les postes de télévision relaient la propagande d’État…
Quand ce ne sont pas les sectes tels les Témoins de Jéhova qui étendent leur emprise sur l’ensemble d’un village, surprenante découverte que j’ai faite en passant une nuit des plus étranges – et un peu largué il faut bien l’avouer – dans le village de mon guide, bercé par d’horribles chants faux, reprises béates et hallucinées de la soupe pop nord-américaine !
Autant dire que tout n’est pas tout blanc (ou Vert) d’un côté et noir (ou Rouge) de l’autre. L’affaire est complexe, et en dénouer les fils qui se retissent en permanence est une tâche bien ardue ! L’écobusiness, de plus en plus sophistiqué et diversifié, avance souvent masqué. En partant des instances internationales les plus prestigieuses jusqu’aux paysans les plus humbles, les forces agissant sur la protection de l’environnement, sur la survie des populations indiennes et le développement économique seront toujours antagonistes du fait de la marchandisation de la société humaine, désormais acquis au niveau mondial.
Ce n’est pas pour autant qu’il faut tout jeter aux orties, des vraies initiatives humanistes et responsables existent, mais elles doivent œuvrer avec – ou contre – un pouvoir politique trop souvent corrompu et vendu aux intérêts des multinationales, des vendeurs d’armes (ou des narcotrafiquants pour le Mexique ou encore la Colombie). EZNL a choisi de ne s’en remettre qu’à lui-même et aux populations locales pour développer un programme éco-responsable et démocratique.
C’est sûrement la solution la plus sage, mais aussi la plus difficile actuellement. Un pari, une promesse, des actions concrètes qui espèrent par là même sauvegarder la culture maya encore vivace mais menacée. Un peu comme les habitants d’un célèbre village gaulois au milieu de l’Empire romain !
Espérons que la Selva Lacandona continuera à leur offrir la potion magique nécessaire, et que la foi en leur combat leur permettra de résister et d’inventer une autre voie.
Florent Hugoniot
Documentaire complet : REDD La codicia por los árboles (español)
Un compte-rendu très complet et très éclairant, congratulaciones!
BRAVO
MERCI !
Une réflexion approfondie et très intéressante sur ce blog de Mediapart Expérience zapatiste, postcapitalisme et émancipation au XXIe siècle – 04 JUIN 2015 | PAR ETAPE/GRAND ANGLE LIBERTAIRES, en accès libre :
http://blogs.mediapart.fr/blog/etapegrand-angle-libertaires/040615/experience-zapatiste-postcapitalisme-et-emancipation-au-xxie-siecle?onglet=commentaires#comment-6515663
« Une réflexion sur la sortie du capitalisme prenant notamment appui sur l’expérience zapatiste dans le Chiapas mexicain, par Jérôme Baschet, historien médiéviste à l’EHESS et auteur d’Adieux au capitalisme. Autonomie, société du bien vivre et multiplicité des mondes (La Découverte, 2014).Jérôme Baschet est donc historien spécialiste du Moyen-âge, maître de conférences à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Paris). Il vit la moitié de l’année dans le Chiapas mexicain. Il est aussi l’auteur de La rébellion zapatiste (Flammarion, collection « Champs », 2005, réédition de L’étincelle zapatiste. Insurrection indienne et résistance planétaire, Denoël, 2002). »