La vieille dame
A chaque sourire, ses lèvres se retroussaient et dévoilaient trois dents brunes sur la gencive supérieure gauche. En pendant, dans sa main droite, une canne maintenait sa silhouette à la verticale. Mâchoire sanglante et jambe vacillante étaient là les attributs d’une vieillesse pleine de vie. Car tant de sourires se succédaient, la canne brandie vers le ciel.
Fête nationale
Des visages avides se pressaient au comptoir, les uns sans dents, les nez déformés et colorés, d’autres sans cheveux, les yeux rieurs et baveux de convoitise.
Le repas était servi, un amas de frites couronné de merguez très rouges. Pour ne pas rompre la conversation, il fallait déchirer la viande avec les doigts. Le jus rouille constellait le comptoir de lentilles de graisse et formait un ciel étrange avec les gommettes de vin rouge.
Ce soir là, il pleuvait, nous avions trop froid pour attendre le feu d’artifice.
Hôtel de Calais
L’enseigne est sans équivoque, des lettres peintes en bleu sur un panneau rectangulaire collé à même la façade : HÔTEL DE CALAIS. Sous le porche de l’hôtel de Calais, une autre enseigne HÔTEL DE CALAIS, sans les deux étoiles cette fois. Plus discret, élégant, et on peut dire Historique, le cartel de céramique apposé près du premier panneau, affiche en rondes gothiques un pompeux HÔTEL DE CALAIS. Le rideau pare-soleil du restaurant indique enfin sur son volant bleu roi, un HÔTEL DE CALAIS tout en mouvement.
Dans la fulgurance d’un rayon de soleil inespéré, l’HÔTEL DE CALAIS nous était apparu.
Et l’œil maintenant pointé vers le ciel de nouveau encombré : « En tous cas, cette année, les nuages sont beaux ! »
Jambonneau
Le sachet plastifié à l’intérieur gardait dans ses plis une gelée épicée que nos doigts affamés délogeaient dans les moindres creux. Au centre, le jambonneau, découpé en lamelles, diminuait vite. La viande disparue, le papier s’est replié, gras et plat. Encore quelques effluves de rôti, puis le ciel acier à commencer à couler sur nous. La chaleur du repas s’évaporait déjà.
À Saint-Valéry-sur-Somme
Comment ne pas craindre le vide quand les vacances se déploient péniblement dans une succession de jours gris ? Non, le soleil ne viendra pas aujourd’hui. Pire, la pluie ne cessera pas aujourd’hui. Péremptoire, la sentence s’abat chaque matin sur ces pauvres familles qui assises sur des bancs trempés et sous des parapluies bien courbés, se prennent à rêver d’un petit coin de paradis.
Rosemarie
Un nœud de satin posé tel un gros papillon sur sa chevelure de barbe à papa, Rosemarie dodelinait de la tête à chaque coup de sécateur porté aux rosiers touffus et exubérants. Au-dessus d’elle, une énorme abeille de majolique butinait le mur jaune de sa maison, joliment nommée (en lettres rouges sur un parchemin de céramique) « Mon goût ». En sus du rouge carmin qui couvrait ses lèvres et du velours pourpre qui sourdait des fleurs, il fallait bien ça pour conjurer la grise mine du ciel.
Josephine Parker
Photographies Florent Hugoniot