Viva l’Algérie à Paris !

Hommage musical à l’Emir Abdelkader, avec Rodolphe Burger, Mehdi Haddab, Skander et Rayess Bek à l’ICI.

Le 7ème festival des cultures d’Islam prend cette année le relais des Veillées du Ramadan à la Goutte d’Or, Paris 18e. À l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, l’Institut des Cultures d’Islam (ICI) a décidé de fêter à sa manière ce pays, si vibrant d’un passé lumineux et parfois tragique. Mais l’Algérie est aussi riche de son présent et de sa jeunesse, qui l’entraine avec vitalité et générosité vers un avenir que nous espérons tous serein et libéré des crispations identitaires. Cette remarque vaut d’ailleurs également pour notre propre pays, juché trop souvent du haut de ses certitudes, sur l’autre rive de la Méditerranée. Car une relation passionnelle, dérangeante et vivifiante relie la France à l’Algérie, chacune étant le miroir de l’autre. Ces deux pays frères, frères ennemis, frères de sang, vivent désormais leur histoire respective, deux histoires toujours communes, par dessus un passé colonial révolu. En même temps, loin des prises de positions officielles et des raisons d’état, le métissage des cultures continue son œuvre. En France, toutes les grandes métropoles sont devenues des creusets dans lesquels les deuxièmes, troisièmes, quatrièmes générations issues de l’immigration algérienne viennent apporter leur flamme et leurs espoirs à une société en devenir.

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« Dévoilez-vous ! » Halida Boughriet, 2012 – réinterprétation contemporaine

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Affiche éditée par le 5ème bureau d’action psychologique de l’Armée française dans les années 50

À l’évidence, plus que le passé, au delà des anciennes incompréhensions, ce sont les questionnements respectifs face aux mutations du monde qui assemblent les deux populations. Ainsi, l’effervescence artistique de la scène contemporaine algérienne traverse les frontières hexagonales depuis de nombreuses années, et les passerelles culturelles toujours se construisent et se renouvellent. De même, on a pu voir à l’occasion de l’exposition Dégagements… Tunisie un an après présenté à l’Institut du Monde Arabe (IMA) du 17/01/2012 au 01/07/2012, comment la scène artistique tunisienne a pris part et perpétue la révolution de jasmin, qui a ébranlé toutes les structures de ce pays voisin de l’Algérie. Les lignes du front artistique bougent donc  dans tout le Maghreb…

L’ICI est situé au cœur de la Goutte d’Or, quartier emblématique des mixités ethniques et culturelles dans le 18ème arrondissement de Paris. Dans sa programmation qui court jusqu’au 22 septembre, l’Institut des Cultures d’Islam a choisi de présenter des artistes des différentes disciplines artistiques  – photographie, musique, théâtre, cinéma, bande dessinée – afin de donner à voir  « le visage d’une Algérie inventive, dynamique et stimulante ».

« Emblématique de l’histoire complexe du rapport de la France à l’Algérie vue à travers l’imagerie populaire, [l’affiche ci-dessus] s’inscrit également dans la lignée de la photographie coloniale – rappelons que l’invention de la photographie est contemporaine de la prise d’Alger – pour laquelle le dévoilement de la femme est une préoccupation constante, comme si le voile représentait le symbole ultime d’un acte d’insoumission. »

Véronique, Rieffel, commissaire de l’exposition 50 ans de réflexion.

Halida Bourghriet, une révélation

Mémoire dans l’oubli, Halida Boughriet (détail)

Dans l’interprétation artistique 50 ans de réflexion, les œuvres de Halida Boughriet occupent tout l’espace d’exposition du rez-de-chaussée. C’est la première exposition personnelle de cette artiste qui tisse une œuvre militante et toute en finesse, à découvrir absolument ! Deux grandes photographies, tirées de son travail Mémoire de l’oubli – présentées récemment à l’IMA (Le corps découvert) – accueillent le spectateur. Chacune immortalise une figure féminine de la résistance algérienne, en costume traditionnel, allongée dans un salon traditionnel oriental. Dans cette représentation ironique et lascive, elles nous fixent, telles des odalisques d’un autre âge, éternelles icônes d’un passé fantasmé. Et pourtant ce regard bien perçant qui scrute l’objectif semble se jouer de cette forme de travestissement et affirmer une autre réalité, en disant la dureté des combats passés et à venir pour les femmes algériennes.

Territoires hybride, Halida Boughriet (détail)

Territoires hybride, Halida Boughriet (détail)

Puis Territoire hybride « plonge le visiteur dans un contraste frappant entre les halls d’Alger et les halls d’Ile de France ». Regards croisés entre des entrées de riches immeubles haussmanniens vides et de sordides cages d’escaliers HLM, on ne sait plus vraiment où l’on est.. Cette confusion règne également dans le mode de présentation très particulier de cette deuxième partie de l’exposition : Halida Boughriet a imaginé un dispositif ingénieux en présentant ses photographies suspendues dans l’espace. Elles s’animent comme par magie, en jouant avec les reflets des visiteurs glissant sur les grandes plaques de plexiglas, qui enserrent les tirages translucides. Composant avec la semi-obscurité naturelle des clichés, des tubes de néon posés au sol viennent également mettre en lumière et souligner ces espaces aux décors baroques et cérémonieux. Comment rajouter des fulgurances lumineuses à des photographies, sans effets spéciaux ni ajout numérique, il fallait oser… Et l’effet est envoutant !!

Enfin dans une petite salle tendue de noir, Videobox, cinq courtes vidéos de Halida Bougrhiet viennent clore – et ouvrir – l’exposition sur des performances en pleine rue (Action, 2004), dans le métro (Les Illuminés, 2007), et présentent des montages son/image tout en paradoxes et oxymores…  Le thème du nikhab (voile intégral) et du regard de l’autre, le désir du contact physique dans un lieu public pour les deux premières vidéos cités,  la fermeture des frontières entre l’Europe et l’Afrique (Transit, 2011) et les frustrations qu’elles entrainent sont autant de sujets que la jeune artiste traite avec brio et décalage. Les sièges en bois africain qui massent et tonifie le dos sont une raison supplémentaire pour aller se poser un moment devant l’écran !

Abdelkader 2032

Figure historique de la résistance à l’occupant français, l’Émir Abdelkader (1808-1883) est considéré comme un fondateur de l’État moderne algérien. Homme politique et chef militaire, il fut également écrivain, poète, philosophe et théologien soufi. Deux magnifiques soirées d’hommage musical lui furent consacrées, la première lors du vernissage, avec Mehdi Haddad, Pascal Tillet et Skander. Ci-dessous des extraits du concert de la deuxième soirée, d’une intensité et d’une poésie rare, avec Rodolphe Burger, Mehdi Haddab, Skander et Rayess Bek. Navigant entre les souples mélopées du oud, la dense mélancolie de la guitare basse, le concert est traversé des moments quasi méditatifs/contemplatifs, pour aller vers une phase plus nerveuse, dans une fusion rock-blues oriental, flirtant parfois avec le rock celtique et le hard rock électrisant. Clin d’œil à Michael Jackson au final, avec une reprise de Billie Jean (en fin d’article) !

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« A la fois marabout lettré du fin fond de l’Algérie, inventeur de l’État moderne, guerrier infatigable, protégé et ami de Napoléon III (et de Ferdinand de Lesseps), grand mystique de l’islam moderne, la figure d’Abdelkader est alors centrale. Il est vrai que la modestie de l’homme savant, les vibrations du guerrier, l’érudition du mystique ont de quoi le placer au centre du roman national algérien. Une autre dimension du personnage émerge progressivement. Grand mystique de l’Islam moderne, l’Emir Abd el-Kader réapparaît aujourd’hui comme l’homme de la « synthèse » entre Orient et Occident, entre résistance à l’Autre et acceptation des apports de « l’étranger ». Il est un homme de la méditation à la fois rationaliste et métaphysique, prônant un Islam d’ouverture et de réformes. Ses écrits spirituels et le rôle singulier du politique par rapport au religieux restent à redécouvrir, annonçant les temps présents du XXIe siècle. »

Benjamin Stora, Professeur des universités.

Avant-première de Rengaine de Rachid Djaïdani

Grande révélation de la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2012, Rengaine de Rachid Djaïdani aborde avec réalisme la question du racisme entre Noirs et Arabe dans le Paris d’aujourd’hui. Une moderne et bouleversante version de Roméo et Juliette. Ce film est une véritable œuvre plastique, tournée avec très peu de moyens sur neuf années, une ode à l’amour ainsi qu’un état des lieux dérangeant. c’est également un hommage à la Ville Lumière puisque le film compose avec ses éclairages urbains en nous offrant un véritable tableau mouvant. Le débat qui a suivi, animé par Isabelle Giordano, fut riche d’anecdotes. Les questions qui fusèrent du public prouvent l’actualité très sensible de l’acceptation de l’autre, du poids des traditions, dans ce mélange populaire des cultures qui se produit et se poursuit en ce début de millénaire. Paradoxalement, le thème de la féminité, qui irrigue en profondeur toute la programmation de l’ICI, émerge au milieu de cet univers hyper macho comme une véritable délivrance.

Débat avec le réalisateur Rachid Djaïdani et quelques membres de l’équipe, animé par Isabelle Giordano

Et aussi..

Le café des artistes, animé dans la bonne humeur par Mourad Achour pour BeurFM, a reçu de 20h à 22h des artistes musiciens de la scène algérienne, dans l’intimité du salon de thé. Pour la soirée de l’inauguration, Sofiane Saidi et Nassim Kouti. Le 13/09/2012, Souad Asla (chanteuse), Mounira (choriste), Smail (clavier) et Méni (percu). Malya Saadi a chanté le 14/09/2012.

À suivre désormais sur la radio 106.7 FM ou via le web.

Une sélection de planches et de dessinateurs algériens, en partenariat avec le Festival International de la BD d’Alger.

« Épines », planche BD issue de la série coquine et délicate de Rym Mokhtari

De nombreux rendez-vous à venir, à consulter sur le site de l’ICI. N’hésitez pas à y aller ces prochains jours, l’accueil est très chaleureux et le lieu réellement attachant !

Un sourire radieux dans le salon de thé !

Viva l’Algérie ! Et vive l’ICI, qui déménagera en 2014 dans son nouvel espace, plus grand, plus moderne, situé à deux pas rue Stephenson. Sûr que son équipe dynamique et enthousiaste saura y installer l’âme qui fait actuellement vibrer les murs de cette ancienne crèche, dans lesquels elle est installée depuis 2006.

Institut des Cultures d’Islam
23 rue Léon, 75018 Paris – 01 53 09 99 84

À relire, l’article paru sur lapartmanquante à l’occasion de l’exposition de Martin Parr, The Goutte d’Or.

Et encore un extrait du concert du jeudi 13 septembre, pour la route !

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Florent Hugoniot

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2 commentaires pour Viva l’Algérie à Paris !

  1. Ping : Institut des Cultures d’Islam 23 rue Léon, 75018 Paris | galerie sophie lanoë

  2. elaine dit :

    très intéressantes photos d’H.Boughriet . Bravo !

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