Dans la zone centre de Ciudad Juarez – si tant est qu’on peut trouver un centre et une périphérie dans ce no man’s land urbain – entre un hôpital, un musée, une médiathèque et quelques boîtes de nuit, de longues fresques peintes s’élancent à l’assaut du ciel désespérément bleu, tout en jaugeant les voitures et les quelques passants alentour. Ce sont des commandes de la municipalité pour des édifices publics, une politique culturelle surfant sur la vague du street art : heureuse initiative donnant de la vie à la ville, certainement du fait de la proximité des USA. Saluons ce geste d’ouverture culturelle, ainsi que l’inventivité et la maîtrise des artistes ayant réalisé les œuvres présentées ici. Car s’il y a bien une chose remarquable dans cette mégapole folle perdue dans le désert, ce sont ses murales réalisés un peu avant la grande période d’insécurité qui s’est abattue sur la ville il y a quelques années, et qui semble s’être calmée aujourd’hui.
Après Ciudad Juarez Street art (1), voici donc un nouveau chapitre de mes déambulations cyclistes dans cet univers impitoyable, vidé de ses joies et courant après ses splendeurs passées, où les véhicules 4 roues et les centres commerciaux entourés de parkings sont devenus les seuls maîtres. Ici, dans la zone pronef, le figuratif monumental le dispute au style illustratif, en général pour le meilleur. On retiendra surtout des visages et des masques peints, quelques animaux réels ou fantastiques qui auraient pu d’ailleurs s’insérer dans Bestiaire street art de Cd Juarez, tous s’affichant en miroir d’un monde d’humains transparents et d’individus en voie d’effacement progressif.
Une tentative de réappropriation de l’espace public par la geste artistique et le biais de figures sublimées, qui survole ici l’horreur capitaliste dans toute sa splendeur, ses crimes et ses défaites.
Art urbain versus nivellement humain
Longue vie au street art ! Hormis les magnifiques levers de soleil orangés et cyan sur les Franklin Mountains, ces fresques découvertes au fil de mes parcours auront été les rares fontaines où mes yeux et mon esprit se seront abreuvés, pendant les huit mois de mon séjour juarense. Pas de pitié pour la médiocrité consumériste : que Ciudad Juarez disparaisse entre les sables brûlants d’où elle est née grâce à des milliers de petites mains sacrifiées ! Qu’elle se replie entre les majestueuses montagnes rocheuses d’où elle s’est levée dans un vain élan hyper-matérialiste, et dans un suffocant effort collectif qui enrichira toujours davantage quatre nantis et trois mafieux. Fantasme de la ville américaine ultramoderne, qui retombera un jour comme un soufflé crevé, faute de carburant, et que seul le vent du désert animera encore dans d’autres éternités.
Ma rage contre cet anti-modèle de développement humain ne s’étant toujours pas calmée, je me réserve le droit de publier un dernier paragraphe et d’ultimes photos d’œuvres murales sur ce thème ! Sans rancune.
Florent Hugoniot
C’est a l’évidence du street-art sur commande. Ça n’empêche en rien le coté art et décoration valorisant et l’immeuble et le dessin
oui c’est plaisant. Votre texte élabore une réflexion impitoyable sur l’exutoire vain que représentent ces dessins géants á l’ennui et l’uniformité subis dans cet univers que vous nous décrivez comme étant balayé par le souffle intense venu du nord. Merci