Comment peut-on être mexicain ? (5)

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Une grand-mère et sa petite-fille sur le balcon aux couleurs du Mexique pour le Dia del Grito, Puebla 2011

Viva México !

 » Pratiquement tout ce que j’ai écrit a à voir avec le Mexique. J’ai beaucoup voyagé mais je reviens toujours à cette énigme, à cet étrange sport extrême qui est d’être Mexicain. Il y a un dialogue avec mon pays qui est naturellement un dialogue critique, une mise en doute de l’identité. »

Juan Villoro, écrivain mexicain

L’analyse et la critique de l’identité mexicaine – autant que cela se peut pour une notion tant fluide et capricieuse – que j’ai commencée au début de cette étude continuee, mais est-t-elle arrivée à son but ? Je veux dire, a-t-elle réussi à se faire passage entre deux cultures, la française et la mexicaine ? Bref, la mayonnaise a-t-elle pris, la métamorphose a-t-elle eu lieu, me suis-je mexicanisé, et à la lecture de mes différentes parties, est-il possible de plonger et de s’immerger dans les sensations, les problématiques, les senteurs, les promesses du Mexique ? C’est évidemment au lecteur de se faire sa propre opinion.

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« Cd. Juarez – La Biblia es la Verdad, lee La » (La Bible est la Vérité, lis-La – Ciudad Juarez 2015)

L’état des lieux  s’achève avec ce cinquième et dernier chapitre (lire ou relire Comment peut-on être mexicain 1, 2,3 et 4). Il viendra ponctuer ces quatre ´remières parties dans une tonalité plus ludique. En tant qu’acteur et témoin, je peux avancer sans faux fuyants ni excès de confiance que cette quête par les mots du Mexique, un Mexique fantasmé, réel et virtuel, a porté ses fruits concernant mes pratiques au quotidien et mes stratégies à plus long terme dans ce pays que j’aime beaucoup. Elle fut enrichissante pour ma compréhension du peuple mexicain, constitué de populations extrêmement variées, à tel point qu’on peut parler des Mexiques. Elles constituent cependant réellement un peuple qui conserve et entretient des valeurs tout à fait indispensables au vivre ensemble et à la construction d’un NOUS. Depuis sa longue odyssée serpentine venue du fond des temps, celui-ci suit sa route. Résolument tourné vers l’avenir, le peuple mexicain entretient ses valeurs et sa dignité, mais aussi sa distance face aux écumes du quotidien. De tradition latine et catholique assumée, il conserve ses références morales sans trop verser dans les conservatismes extrêmes. Pour autant, il est difficile de généraliser et de parler d’une seule population : elle est multiple, aux aspects divers et souvent paradoxaux : mysticisme et religiosité (un synchrétisme), athéisme et sens critique, esprit scientifique, fascination des cultures étrangères et nombrilisme, progressisme et immobilisme…

Buena onda

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Célébration des 100 ans de la prise de Zacatecas par les forces armées de Pancho Villa – Zacatecas, 2014

Une particularité qu’on rencontre du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest de ce grand pays, c’est la persistance de l’échelle humaine, malgré une modernisation parfois effrénée. La multiplication des grandes surfaces et centres commerciaux n’a pas fait disparaître, comme en France, nombre et d’artisans et de petits métiers spécialisés comme les colporteurs ou les rémouleurs (lire Sonidos de Puebla). La diversité des métiers de rue (surtout pour la nourriture, jus de fruits, tamales, stands de cuisine ambulants) la livraison à domicile (eau, gaz), les commerces de proximité dans les centre-villes, les épiceries (abarrotes) ouvertes jusque tard dans la nuit, témoignent que les Mexicains savent parfaitement jouer de toutes les gammes que leur aura apporté à la fois la mondialisation et leurs cultures ancestrales comme historiques. La manière de manger, de se divertir, de se rencontrer, prouvent l’importance de l’espace public, et quelle ne fut pas ma déconvenue de constater que déjà aux frontières du Texas, les places se vidaient de substance, les trottoirs de piétons tandis que le trafic automobile partout y faisait sa loi.

Une détail anecdotique constant, c’est la présence des payasos sur les places pour égailler les passants, qui restent parfois des heures assis à les écouter (lire Payasos esquisitos). Et puis il ya a la fête évidemment avec toutes ses couleurs : les grandes commémorations souvent fériées qui ponctuent le calendrier mexicain et qui permettent de faire de courtes pauses dans un rythme de travail quotidien très soutenu, sachant que le samedi mais aussi pour beaucoup le dimanche est un jour de semaine laboral ; mais aussi tout l’éventail des sorties pour la fiesta du week-end, de la cantina au bar dernier cri, des boîtes de nuit spécialisées salsa cubana ou dance music, direct from USA !!

Être mexicain en 10 points et demi :

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  • Être une famille, un groupe avant d’être un individu.

  •  Être capable de dénicher rien qu’à l’odorat un stand de tacos al pastor à 3 km à la ronde.

  • Liker toutes les publications renforçant le sentiment national et la fierté d’être Mexicain(e), sans s’intéresser à la politique du pays ni et aux grandes orientations prises par l’exécutif.

  • Ne pas couper l’élan vital (à pied, en voiture), ne pas être castrateur – comme on peut l’être en France – éviter tout geste ou parole de supériorité et la jouissance perverse de diminuer son interlocuteur.

  • Être honnête dans les transactions commerciales, pas de marchandage ou si peu (Christophe Colomb a confondu les Indes avec l’Amérique, donc éviter de se croire en Afrique).

  • Être direct dans se demandes et formulations : même si les interprétations peuvent varier, ne pas hésiter à répéter deux ou trois fois les choses car le Mexicain est volatile comme un colibri et a une mémoire de poisson rouge !

  • User de formules imagées et affectives telles que « chingon, padre, wey, a la verga, mamada, no maaames, a huevos, pinche, ni modo, etc. » et à l’occasion être grivois dans ses paroles.

  • Faire des propositions de sorties irréalisables ou seulement envisageable dans une 5e dimension, avoir au moins 3 projets de sortie et choisir au dernier moment celle qui vous arrange le plus.

  • Ne pas craindre les bains de foule et les contacts physiques en public.

  • « Hubiera » n’existe pas, les hypothèses dans le passé n’ont aucun avenir au Mexique.

  • … et surtout rester dans le vague et avoir de la patience !!

Tolérances : des Mexiques

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« Somos 43 », oeuvre de Nabil Gonzales en hommage aux victimes d’Ayotzinapa, 43 sérigraphies sur calque

Du fait de son aspect multiculturel, la société mexicaine fonctionne comme différents boîtes plus ou moins étanches entre elles, s’assemblant les unes avec les autres d’après leur poids économique et historique, leur volume socioculturel, mais aussi leur contenu ethnique. Les lignes de démarcation sont d’ailleurs souvent les mêmes : indien/pauvre – métis / classe moyenne et aisée – descendants directs d’Europe et blancs / élite économique… Même si le trait est grossier, il trace une réalité marquante du Mexique depuis la Conquista jusqu’à aujourd’hui encore. Il n’y a qu’à constater comment le cas des disparus d’Ayotzinapa, 43 jeunes normalistes issus d’un milieu rural et très indianisés dans l’État du Guerrero au Sud du pays, est traité par la presse nationale ; comment les suspicions de criminalisation et trafic de drogue vis-à-vis de ces étudiants syndicalisés hantent la rumeur – alors que l’appareil gouvernemental est corrompu des pieds à la tête par le narcotrafic et les séquestrations contre rançon, que la liste de dizaines de milliers de morts et disparus s’allonge toujours davantage, sans que justice soit jamais faite –  pour constater que, dans cette partie du monde, si on est pauvre et de couleur café, on est forcément plus coupable que de les visages couleur lait et bien mieux insérés dans l’économie globalisée.

Du fait de toutes ces méfiances réciproques, croisées et complexes, des vestiges de la peur du conquérant et des stratégies de dissimulation adoptée pour survivre, on avance souvent par tâtonnements, on procède par touches en société. Par exemple une prise de contact se fera selon des rites légers mais importants, avec des jeux de regard neutres, des sujets consensuels et fédérateurs pour animer la conversation. Le contact pratique, concret et utilitaire au quotidien est beaucoup plus direct, moins ampoulpe qu’en France, et le tutoiement à l’espagnole – ou à l’américaine –  s’est imposé partout. En Chine, fait comme les Chinois, pareil au Mexique. D’une manière générale, afin de ne pas d’exaspérer certaines susceptibilités et d’éveiller des cicatrices post-coloniales encore vives, il faut éviter d’imposer son jugement péremptoire et savoir rester à l’écoute des différentes sensibilités. Combien de fois ai-je entendu au début de mon séjour « Arrête de faire ton Français » !

Minorités au Mexique

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Invasion de Pères-Noël sur un centre commercial, période des soldes de fin d’année à Puebla, 2012

Les minorités recouvrent toutes les catégories : ethniques, culturelles, politiques, confessionnelles, socioprofessionnelles, de classe, sexuelles, virtuelles, etc. Ce sujet a déjà été traité dans la première partie, mais je développerais ici davantage. On peu pêle-mêle citer les Mayas, les Raramuris, les Huicholes devenus des curiosités touristiques, les Zapatistes, révolutionnaires indépendantistes du Chiapas, les Mennonites de Chihuahua, producteurs de fromage et conservant jalousement leur sang germanique, les syndicats puissants comme le CNE, se battant pour conserver les derniers acquis de la période socialiste, les ultralibéraux, les Évangélistes, les Témoins de Jéhovah, les adeptes de l’église de Scientologie, les paysans cultivant encore le maïs non génétiquement modifié, les quelques communautés afro-mexicaines rescapées de l’époque du commerce triangulaire, les villages de pêcheurs et de montagne… Le terme de communauté recoupe celui de minorités, mais élargi considérablement les perspectives. Ainsi les Chilangos (habitants de Mexico qui, à l’image des Parisiens mais en plus drôles et relaxés, constituent une communauté à part du fait son poids démographique, économique et culturel, et usant un type de langage populaire local et urbain, toujours en renouvellement). Auxquels il faut ajouter les grands commerçants libanais, les communautés espagnoles, françaises – les deux plus importants groupes étrangers du pays – juives ou italiennes, installées depuis des générations et plus ou moins assimilées. Les expatriés japonais qui ont reconstitué un quartier nippon à Aguascalientes, les Coréens de Hyundai, les Allemands venus travailler pour Volkswagen un peu partout dans le pays, constituent un aspect notable de l’expatriation économique au Mexique. Communautés de cultures. d’origines différentes, aux intérêts également souvent divergeantes. Cependant, même si constituée de nombreuse minorités, le Mexique moderne a plutôt comme socle l’universalisme. héritier des Lumières et des révolutions populaires et bourgeoises, tandis que le communautarisme (surtout religieux) a tendance à se diffuser sous l’infuence des USA et du modèle anglo-saxon partout chanté…

liverpool-mexico-logoConcernant l’apport français à l’économie du pays, on site souvent ces célèbres migrants de Barcelonnette, venus du Sud des Alpes françaises au milieu du XIXe siècle, qui à la suite du pionnier Jean-Baptiste Ebrard se sont fixés à Guadalajara et se sont convertis en très efficaces entrepreneurs mexicains. Une seule famille est propriétaire des grands magasins huppés Liverpool et El Palacio de Hierro, de type Galeries Lafayettes. C‘est Maximino Michel Suberville l’actuel président du groupe, avec une fortune estimée à 400 millions de dollars en 2015, selon Forbes qui vint de l’ajouter à sa liste de multimillionnaires internationaux. La présence française est d’ailleurs aussi notable au Mexique à Querétaro, du fait de la présence de multinationales bleu-blanc-rouges de l’aéronautique et de la défense.

Et puis moins célébrés par les médias mexicains, tous les ressortissants des pays d’Amérique centrale ou du Sud, fuyant guerres civiles, conditions précaires, misères et persécutions qui ont émaillées l’histoire récente de ce continent ; tous ceux qui n’ont pas pu passer la frontière des USA ou se sont installés de leur plein gré, temporairement ou ad eternam… Curieusement, ce sont les grands voisins du Nord, Gringos et Canadiens, qui ne semblent pas attirés par les charmes mexicains, hormis bien sûr pour l’exploitation des ressources naturelles et les Sping Breaks et autres vacances au soleil !

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Reconnaissance et survivance de cultures traditionnelles par l’aide du tourisme : fabrication d’un tapis dans un atelier de tisserans, état de Oaxaca

L’appel régulier au XIXe et XXe siècles, mais encore au XXIe siècle des gouvernements mexicains aux autres nationalités, pour venir peupler cet immense pays et aider à son développement grâce à une immigration plus aguerrie techniquement ou commercialement, a eu certainement comme résultat cette mosaïque des peuples en même temps que la relative tolérance aux autres. Une exception notable : la communauté chinoise qui fut massacrée vers Ciudad Juarez au tournant du XXe siècle, après avoir participé à la construction du chemin de fer dans le Nord du pays (les natifs indiens se chargeant principalement de l’extension du réseau au Sud), et qui ne dû son salut qu’à l’intervention des troupes militaires étasuniennes avant d’être « rapatriés » aux USA, toujours en rivalité territoriale avec son voisin mexicain, à qui il avait déjà amputé la moitié de son territoire (lire Comment peut-on être mexicain ? (4)).

Et pour finir, l’exemple cocasse de Chipilo : cette ville située à proximité de Puebla fut fondée par un village entier d’italiens, des réfugiés politiques et économiques de la Vénétie, à qui le gouvernement mexicain offrit des terres insalubres pour les mettre en valeur et s’établir. Cette communauté est restée longtemps fermée, refusant de mêler son sang aux autres composantes de la population mexicaine, et conservant jalousement l’usage de son patois local et de ses traditions européennes, tout en offrant en retour une production de fromages italiens délicieux tels que provolone, parmesan, gorgonzola ! Mais la grande ville de Puebla a désormais enveloppé ce village en s’étendant vers Cholula. La dynamique expansive et la natalité mexicaine auront eu raison finalement de cette île vénitienne, comme elle nivelle doucement mais sûrement de nombreuses particularités historiques dans un grand ensemble hispanophone.

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Femmes en costumes traditionnels à un mariage mondain, Oaxaca, 2012

En revanche, les revendications émises par les populations natives, comme à Oaxaca dans le Sud-est du pays, auront permis une reconnaissance des droits et des cultures indiennes, en même temps qu’une renaissance de l’artisanat souvent novateur, couplé avec l’industrie touristique. Les pratiques traditionnelles, les réalisations et inventions souvent de grande qualité, permettent la prospérité (relative) d’artistes et artisans, dont certains participent à des projets immobiliers et de décoration de grande envergure. Elles suscitent également l’intérêt des classes boboïsées des grandes villes et autres hipsters, tout comme les courants écologistes et environnementalistes, pourtant toujours balbutiants au Mexique.

Différences sexuelles au Mexique

"El baile de los 41 maricones" - José Guadalupe Posada, 1852-1913

« El baile de los 41 maricones » – José Guadalupe Posada, 1852-1913

L’homosexualité au Mexique n’est plus un délit depuis bien longtemps, et les différences sexuelles sont répandues comme chez tous les autres groupes humains. La figure du Mexicain, éternel bringueur et dragueur, qui n’hésite pas à tromper sa femme au gré des rencontres tardives et des occasions courantes, est certes caricatural, mais malgré un fond conservateur catholique, il flotte une permissivité de bon ton et les blagues sexuelles sont très courantes. De fait, les pratiques sexuelles sont vastes et relativement désinhibées, alors que la pudeur portera davantage sur l’expression des sentiments. D’ailleurs, aux yeux des Gringos puritains, Mexicains et Mexicaines passaient pour des sensuels. Le film Suddenly, Last Summer, réalisé par Joseph L. Mankiewicz en 1959, adapté de la pièce de théâtre de Tennessee Williams illustre brillament cette image d’une sexualité libérée, presque bestiale des Latins vue par les Anglo-saxons. Le drame final qui révèle l’homosexualité refoulée du personage principal, joué par Montgomery Clift, se déroule en Espagne, mais il aurait pu être tourné au Mexique, à Puerto Vallerta par exemple. Dans la réalité et le jeu social des apparences, un homme encore célibataire à 30 ans commence à être douteux, et une femme célibataire entre 20 et 30 ans, sans enfants, subira une grosse pression de sa famille pour « se caser ».

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Marcha del Orgullo Gay, Torreón 2015

Concernant plus particulièrement l’homosexualité masculine – qui a toujours été plus réprimée que la féminine – il y a eu des avancées faites tout au long du XXe siècle, et d’une manière encore plus marquée au XXIe siècle, avec une véritable libération des mœurs chez les jeunes générations, allant jusqu’à une indifférence du genre et une grande tolérance, exactement la même qu’on peut constater en Europe. Les look androgynes et les couples gay sont désormais courants. Et pourtant le Mexique, pays réputé machiste et homophobe, part de loin ! Les Aztèques auraient été particulièrement discriminatoires et répréhensifs à l’égard de l’homosexualité masculine. Même si les pratiques sexuelles précolombiennes restent assez vagues, on peut constater que dans les régions côtières, dans le Sud du pays, les mœurs semblent plus légères depuis longtemps, du fait du climat mais certainement aussi des habitudes locales et ethniques. Les Mayas toléraient l’homosexualité. Cependant, dans le Chiapas actuel et au sein des communautés indiennes plus fermées, le modèle hétérosexuel traditionnel de famille fait bloc : les Zapatistes ne sont pas vraiment réputés pour leurs valeurs féministes, et encore moins pour leur acceptation des pratiques homosexuelles. De fait, la famille classique reste la norme et le modèle pour la très grande majorité des Mexicains et Mexicaines.

jotaJe conseille la lecture du livre México se escribe con J – Una historia de la cultura gay de Michael K. Schluessler et Miguel Capistrán, pour connaître les processus historiques alternant ségrégation et tolérance, souvent en fonction des lames de fond qui remodelé le pays. Pendant la dictature porfirienne, l’épisode du « bal des 41 » est particulièrement emblématique : une fête privée homosexuelle avec travestis et machos comprenant 41 jeunes et fringuants convives, mais surtout quelques enfants de familles de l’élite, avait fait scandale à l’époque. La Police avait procédé, sur dénonciation, à une rafle générale ; les modestes ayant été lourdement condamnés tandis que les rejetons des puissants avaient été libérés. Mais ce scandale fit long feu sur la place publique, tant et si bien que le nombre 41 fut longtemps banni des casernes et autres lieux très virils, comme une sorte de superstition, de sortilège, ou un sous-entendu sarcastique…

« Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. »

Les Animaux malades de la peste – Jean de la Fontaine

Le processus de reconnaissance dans les mœurs puis dans la loi se développe principalement dans des milieux cosmopolites et ouverts au monde, aux modes aussi. Ainsi à Mexico ou dans des villes comme Veracruz, très créolisée, l’homosexualité est tout à fait tolérée et parfois très exubérante ! Pas rare de voir un couple femme ou homme se tenir la main dans la rue, surtout dans la capitale, chose qui n’arrivera jamais au Nord, à Torreón ou à Ciudad Juarez, dans ces régions de Rancheros, plus machistes. Pour autant, ayant assisté à une Gay Pride (ou Marcha del Orgullo) à Torreón, je poux témoigner que la population fait preuve d’une grande tolérance, Torreón étant d’ailleurs avec Durango un des premiers États à avoir officialisé le mariage gay, Ciudad de México ayant suivi le mouvement quelques années plus tard (lire Torreón Gay Pride 2015). On situe le taux mondial médian de population homosexuelle autour de 10% de la population totale, ce qui me semble cohérent pour le Mexique. Et les baisers dans la rue et autres manifestations d’amour entre deux gays comme entre deux lesbiennes semblent plus fréquentes et admises à Mexico qu’à Paris…

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Marcha del Orgullo Gay, Torreón 2015

Mexico a son quartier gay friendly, avec la Zona Rosa centrique, aux nombreux bars et antros (boîtes) à thèmes et très fréquentée par des publics divers. Guadalajara, malgré un conservatisme partagé avec de nombreux État du centre, compte aussi une forte communauté gay visible et organisée. Dans l’isme du Mexique, à Oaxaca, les communautés de Muxes (le troisième genre) sont traditionnellement insérées dans la société et animent fêtes et cérémonies familiales.

Comme beaucoup de sujets au Mexique, il y a la morale, le qu’en dira-t-on et les pratiques réelles, de l’homo refoulé ou tout à fait assumées, en passant par le closet (ou la dissimulation) très répandu. Pas évident de faire son coming out, certains gouverneurs d’États vivant ouvertement leur homosexualité sans pourtant appuyer la légalisation du mariage gay. Le mariage homosexuel au Mexique est légal dans onze États du Mexique : Mexico district fédéral, Campeche, Chihuahua, Coahuila, Colima, Guerrero , Jalisco, Michoacán, Morelos, Nayarit et Quintana Roo.

Maricón, puto, joto (PD et autres insultes)

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« Il s’agit d’une action d’intolérance contre les homosexuels – La défense de la famille traditionnelle – Je n’en ai aucune idée » Reporte Querétaro

La tolérance et l’ouverture sont cependant de plus en plus claires, avec un positionnement les plus progressistes dans toute l’Amérique latine, le gouvernement actuel prônant l’avorterment sous contrôle socio-médical, la légalisation du mariage gay, mais aussi de l’adoption par des couples du même sexe. Ce qui a provoqué récemment une levée de bouclier de tous les obscurantismes, des braves familles cathos, des grenouilles de bénitier et des effrayés du genre, auxquels se sont liés des groupuscules néo-fascistes, pour organiser sur les réseaux sociaux, dans les médias et dans la rue, une contre-manifestation mettant en avant les valeurs traditionnelles de la famille avec ce slogan : « No te metes con mis hijos » (ne touche pas à mes enfants). Le même schéma qu’en France avec les démonstrations rances, les campagnes médiatiques, les slogans et les insultes de la « manif pour tous », deux cortèges POUR et CONTRE ayant simultanément défilé récemment dans la capitale, sans heurts. Les mobilisations et démonstrations opposée aux LGBT ne semble pas pouvoir empêcher, ici aussi, les mœurs d’évoluer favorablement pour la diversité sexuelle. 80% des Mexicains se disent catholiques, mais réellement pratiquants, c’est une autre affaire, surtout chez les jeunes. Globalement, les statistiques livrent toujours un fort taux de persécutions, avec ratonnades courantes, « dénonciations » et son lot de victimes et de morts anonymes, qui donnent toujours du Mexique une image homophobe.

juan-gabrielUne icône mexicaine, le chanteur Juan Gabriel récemment décédé et célébré dans tout le pays, illustre très bien les ambigüités de la société mexicaine. Marié, ayant eu des enfants légaux et cachés, il n’a jamais vraiment fait mystère de sa bisexualité et ses supposées aventures masculines ont fait les délices de la presse people. Ses tenues de plus en plus exubérantes sur scène annonçaient la couleur, et lui ont donné le qualificatif de joto (folle) que le milieu du showbiz tolère mieux, surtout si la star a à ses pieds des millions d’admiratrices et admirateurs, chavirés par ses chansons romantiques ; foules qui lui offrirent un immense dernier hommage national, alors que ce mois-ci se mobilisaient partout dans le pays les personnes anti-mariage gay, certaines étant aussi fans inconditionnelles de « Juan Ga »…

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Les 11 types de famille au Mexique : papa, maman et enfants 25,8% – papa, maman et jeunes 14,6% – couple, enfants et autres aparentés 9,6% – famille recomposée 11,1% – couple jeune sans enfants 4,7% – nid vide 6,2% – couple du même sexe 0,6% – papa seul avec enfants 2,8% – maman seule avec enfants 16,6% – co-locataires 4,1% – célibataire 11,1%

Ce camembert ci-dessus permet d’avoir un panorama plus large de la composition des familles/foyers mexicains. On remarquera le fort taux de femmes élevant seules leur(s) enfant(s) et des familles mosaïques et recomposées, plus toutes les nuances représentées – le nombre de couples ouvertement gay étant officiellement très faible, certainement plus fort en réalité. Ce qui prouve que la diabolisation des modèles divergeants et de l’homosexualité par les ultraconservateurs n’a pas beaucoup de prise dans les faits.

Une Fédération de l’humour et du bien-vivre

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« Pourquoi tu ne veux pas être ma moitié d’orange ? – Parce que je suis à moitié flemmard. »

Les Mexicains se moquent de tout, ils sont même un des très rares peuples à se moquer de la mort. L’humour, composante essentielle de l’Homo mexicanus est très courant dans les conversations. Il a comme principale fonction bien sûr de (se) divertir, mais aussi de désamorcer certaines tensions, tout en filant la légèreté et en tissant la conversation avec des sous-entendus pratiquement toujours sexuels et d’autres quiproquos. On peut tout à fait comprendre dans une phrase simple comme « Quiero comer, tengo hambre. » (Je veux manger, j’ai faim) une allusion coquine à son appétit sexuel. Mais une caractéristique de l’humour mexicain et plus largement d’Amérique latine, c’est évidemment l’albur (traduit mécaniquement par hasard) qui a ses règles de fonctionnement précises.

El doble sentido (le double sens)

L’albur est un calembour, un jeu de mots qui cache un double sens, surtout à caractère sexuel. Autrefois, il se pratiquait uniquement entre hommes, les femmes ayant commencé à y participer plus récemment. C’est aussi un duel rhétorique, car on s’échange et on s’affronte amicalement à deux ou trois avec des phrases ayant un sens sexuel plus ou moins occulte. On considère que quelqu’un « gagne » l’échange quand son interlocuteur reste coi, ou que sa réponse n’est pas si ingénieuse. À l’époque où les participants étaient uniquement hommes, il était admis généralement que celui qui gagne finit par prouver qu’il endosse le rôle d’ homosexuel actif, alors que celui qui perd finit par passer pour l’homosexuel passif. Le livre Picardía mexicana, du Mexicain Armando Jiménez paru en 1958 est l’un des meilleurs résumés de l’albur dans la parole populaire du Mexique. En France, ce serait l’art du contrepet.

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« Un simple accent peut changer la signification d’un mot. Par exemple : está (il est) est le verbe être et esta (celle-là) est celle qui te mange. » Dr Mamón

L’albur, comme tout jeu de mots, ne fonctionne que dans la langue espagnole et plus spécifiquement les variantes mexicaines, chiliennes, colombienne… La phrase simple comme « Taco Holgado » (taco large) peut être prononcée comme « Ta co-holgado » (ta co-large, pour ta régulière, ta grosse ?). On peut aussi utiliser l’accentuation tonique pour reformer un autre sens que l’initial. Ainsi le nom fictif Johnny Lotengo, avec un autre accent et des espaces pour dire « Yo ni lo tengo » (je ne l’ai pas non plus). L’objectif est de faire rire l’assemblée mais aussi parfois d’humilier l’autre.

alburDes émissions de radio sont consacrées à l’albur, on peut devenir un éminent diplomé du calembour et une Feria del Albur s’est même tenu à Mexico en 2016 !

Critiques politiques et détournements à gogo

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EPN, en notre nom (Pancho Villa et Emiliano Zapata) va te faire foutre pour vendre ce pour quoi nos avons lutté.

S’il y a un type d’humour qui est plus facilement accessible au néophyte, c’est la satire continue dont sont les cibles le Président du Mexique (EPN ou Enrique Peña Nieto), ses ministres et les parlementaires. Il y a de quoi, étant donné la corruption institutionnelle et les privilèges que ces politiciens s’accordent régulièrement ! Je ne reviendrai pas sur toutes les dernières trahisons et suspicions d’homicides auquel le gouvernement PRI doit fait face (le cas récent d’Ayotzinapa). Piña Nieto tout particulièrement fait les frais de la « liberté d’expression » et des internautes. Surnommé la gaviota (la mouette), ou encore Peñamiento (Peña menteur), caricaturé avec une mèche de jeune play-boy, il est réputé pour ses bourdes officielles, l’étalage de son inculture et son QI aussi bas que sa cote de popularité. Les Mexicains ne sont pas tendres avec lui, bien plus irrespectueux que ne pourraient l’être les Français, sans cependant verser dans la calomnie. Il faut dire qu’avec le scandale de la Casa Blanca, l’enquête sur le cas Ayotzinapa qui piétine depuis 2 ans, la privatisation de l’industrie hydrocarbure mexicaine, la Réforme éducative, les manifestations et les répressions sanglantes qui en découlent, il ne manque pas de casseroles…

waters-43Piña Nieto inspire donc, et il est fréquent de voir tourner sur Facebook ses images de presse détournées avec des pensées ou des dialogues recomposés, des caricatures croustillantes. Mais l’humour a ses limites. Ainsi Roger Waters de Pink Floyd risque de se faire interdire de séjour au Mexique après avoir dès le premier soir de sa tournée critiqué ouvertement l’exécutif mexicain en prenant la défense des 43 disparus (« Fue el Estado », ce fut l’État) en recouvrant le fameux cochon gonflable géant du groupe de graffitis militants. Et même si Donald Trump, cauchemar du pays et cible plus consensuelle, a été aussi servi. D’ailleurs l’invitation du milliardaire étasunien au fameux brushing jaune par la Présidence, celui qui a humilié à plusieurs fois les Mexicains depuis les USA et souhaite construire un mur étanche barrant la route à la migration latino et principalement mexicaine, a profondément choqué la population. Piña Nieto s’est donc retrouvé travesti en Malinche (lire Comment peut-on être mexicain ? (2), comparé à un paillasson…

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« Haut les mains ! Ceci est un braquage d’essence » caricature de Enrique Peña Nieto, artisan de la privatisation de Pemex

Les memes, variations infinies autour de détournements tous issus de la même photo, sont monnaie courantes et on aussi un énorme succès sur la Toile. Comme je l’ai déjà souligné, l’intensité et parfois la vulgarité des caricatures partagées et démultipliées permet de faire baisser la pression en calmant les électeurs désespérés, les militants mous du genou, ou en désamorçant des contestations politiques de grande envergure. Pourtant cela n’a pas suffit à arrêter les gigantesques manifestations contre la Réforme éducative. Les médias et Anastasia aux grands couteaux virtuels (les bots, des espions et rectificateurs du net) se sont donc chargés de la censure et de fournir aux téléspectateurs des sujets écran de fumée en ignorant délibérément la réalité du pays, sinon en faussant les chiffres et en minimisant les tensions sociales.

Voici un petit florilège d’images détournées, de vérités toujours bonnes à dire et de caricatures de Piña Nieto publiées sur Facebook. Le ridicule ne tue pas, mais il est ici amplement mérité !

Aprovecha lo! Profite !

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« Bonne fin du monde !! Et aussi bravo à ces femmes qui sont mères et apocalipse à la fois » – un meme de cette photo peu flatteuse de Robert Dowey Jr., très reprise sur Internet, avec des slogans changeants.

Être mexicain, c’est ne jamais oublier d’ÊTRE avant d’AVOIR, ne pas perdre le goût de l’échange et du contact humain, c’est avoir une ultra-sensibilité au ressenti direct, à l’intuition, aux envies du moment, aux énergies et à la gestuelle, aux expressions du visage, au regard, à tout ce qui constitue le langage non-verbal et permettra de situer son interlocuteur et d’adopter la meilleure attitude, premièrement celle qui ne vous desservira pas mais aussi celle qui permet à l’autre de s’exprimer.

Être mexicain, que l’on se limite aux clichés ou qu’on se replace dans la réalité, c’est effectivement avant tout profiter du moment présent, le Carpe diem, un savoir-vivre qui n’est certes pas « l’art de vivre » à la française, moins élitiste mais certainement plus tolérant et permissif voire laxiste, ce qui permet bien plus de souplesse dans le vivre ensemble. L’hédonisme, mais aussi le nombrilisme et l’individualisme rapprochent les Mexicain(e)s des Français(es), même s’il faut souligner la « qualité de vie » à la française est en train de se déliter sous les coups de boutoir répété des politiques d’austérité et néolibérales menées depuis plus de 30 ans, et la dissolution d’une nation souveraine dans un grand ensemble mondialisé et acculturé qu’est l’UE. Le Mexique, bien que faisant partie de l’ALENA, cette grande zone d’échanges commerciaux avec USA et Canada, sait garder son identité et son authenticité.

Cette cinquième et dernière partie, plus légère, ne doit pas faire oublier que le pays traverse une grave crise déontologique, humanitaire et peut-être bientôt économique, un bilan imputable ici aussi à des décennies de politique ultralibérales orientée depuis Washington et appliquées par des hommes et femmes de paille mexicains, et un socialisme complètement dévoyé avec un PRI (Partido Revolucionario Institucional) qui n’en finit pas de montrer les preuves de sa corruption et les traces de ses crimes.

grito-queretaro-2016

Día de Grito, Querétaro 2016

Afin de pouvoir continuer à profiter des bonnes choses et des joies de ce pays, de ses fabuleuses richesses humaines et naturelles, de ses magnifiques paysages, de son patrimoine architectural, de sa nourriture reconnue dans le monde entier et de l’affluence touristique qui malgré une actualité sombre donne au pays une image radieuse, de très nombreux Mexicains et Mexicaines devraient se réveiller pour sauver leurs valeurs et le modèle de société plus égalitaire construit par leurs ancêtres, afin de ne pas continuer à regarder impuissants le naufrage de leur pays, comme en Argentine, comme au Brésil. Ici il est lentement mais sûrement organisé par des marchands du temple et les fossoyeurs de la formule ¡Viva la Revolución!  vidée petit à petit de son sens et de sa force. Mais le peuple mexicain, sous son apparente somnolence, renferme des convictions chrétiennes et très humanistes, qui sont comme autant de barrages souterrains aux déferlements de doutes, de crises existentielles et des manifestations de haine que nous sommes habitués à constater en Europe.

¡Buena suerte y cuidate¡ / Bonne chance et fais attention à toi !

Florent Hugoniot

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RESSOURCES

Minorités :

http://www.cairn.info/revue-innovations-2004-1-page-143.htm

http://www.desdelared.com.mx/2008-2012/2009/notas/090616-japoneses-en-aguascalientes.html

http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/services-aux-citoyens/preparer-son-expatriation/dossiers-pays-de-l-expatriation/mexique/

http://www.elfinanciero.com.mx/blogs/historias-de-negoceos/quien-es-el-multimillonario-detras-de-liverpool.html

Mexico Gay :

https://ciencia.unam.mx/leer/925/los-muxes-el-tercer-genero-

http://www.eluniversal.com.mx/articulo/cultura/letras/2016/09/24/la-persecucion-gay-en-mexico-historia-de-odio

http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/09/25/le-mariage-pour-tous-divise-le-mexique_5003006_3222.html?utm_medium=Social&utm_campaign=Echobox&utm_source=Facebook&utm_term=Autofeed#link_time=1474767267

Albur :

http://izq.mx/noticias/31/05/2016/realizaran-primera-feria-de-feria-del-albur-y-la-garnacha-en-cdmx/

http://www.chilango.com/cultura/nota/2016/01/31/inscribete-al-diplomado-de-albures-2016

Mort : 
http://eslamoda.com/17-munecas-de-dia-de-muertos-que-toda-nina-mexicana-deberia-tener

Ayotzinapa : http://www.denunciasmx.com/2016/09/roger-waters-sera-expulsado-de-mexico.html?m=1

Juan Villoro :

http://www.eluniversal.com.mx/articulo/cultura/letras/2016/09/22/juan-villoro-estamos-en-uno-de-los-peores-momentos-de-mexico

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