« On ne fait pas un voyage. C’est le voyage qui vous fait, ou vous défait. »
Nicolas Bouvier
Cette embardée historique et culturelle au sujet du Mexique continue avec cette partie plus immersive, plus personnelle et émotionnelle, qui sera aussi une ouverture sur les chances de ce pays dans un proche futur. Mais le voyage ne s’arrête pas là, pas plus que ne s’arrête ici cette aventure de l’écriture qui me pousse à aligner des lettres et des mots sur mon clavier. Pas à pas, touche à touche, des horizons s’ouvrent, éloquents, tandis que des portes se referment en silence. Le temps est un décompte, l’espace de la page blanche une promesse sans cesse renouvelée.
Excentré / recentré
Feuilleter le roman invisible de mon existence. Trouver des connexions souterraines et relier les chapitres de ma vie. Revenir quelques pages en arrière ne serait-ce que pour trouver les principales motivations de mon départ de France, celles ou se sont écrites les différentes étapes de mon projet d’expatriation…
Pourtant, de cette histoire déjà ancienne je ne retiendrai qu’un désir, celui de m’immerger dans une autre sphère linguistique, et une action : partir, ir se, s’en aller, salir, sortir…
Partir, oui mais pourquoi ? La réponse se trouve évidement sur le chemin, le voyage rencontre lui-même ses propres réponses et ses propres justifications. La volonté de m’établir ailleurs m’aura guidée plus ou moins prosaïquement au Mexique, pays étranger avant de devenir à mes yeux cet étrange pays où je vis…
Partir, revenir, c’est comme une grande respiration. Un souffle qui t’anime et qui, lorsque tu as flairé d’autres senteurs, d’autres saveurs, t’imprègne et ne te quitte plus. Certainement mon enfance africaine a-t-elle laissé ses traces de sable, de poussière rouge, de chourai et d’iode sur mon être en construction. Un immense désir de jouer au funambule, de m’aventurer, de trouver mon équilibre entre deux cultures : le fonctionnalisme, le cartésianisme français et la caresse immense du Sahara mêlée à la puissance du fleuve Congo. Je repense souvent aux voiles flottants de ces femmes mauritaniennes, aériennes malgré une prise de volume de plus en plus marquée avec l’âge, comme à une invitation à la légèreté, au nomadisme, le vertige du vide. L’Afrique ou le quotidien qui se réinvente chaque jour, l’acceptation de l’imprévu et de ses raisons occultées. L’appel des déserts et des foules humaines. La fête et ses excès régénérant, fête des yeux, de tous les sens, envolées du cœur.
Mon cœur était bien meurtri mais joyeux, lorsque les toits multicolores de Mexico apparurent à quelques mètres sous la calandre de l’avion, lors du premier atterrissage américain. À toucher du doigt ! Le Mexique !! Une destination rangée longtemps dans un coin de l’esprit – une hypothèse en attente certainement – tout à côté d’images de divinités mayas, de lancées de marches hiératiques vers les cieux, de civilisations perdues, d’une méthode d’espagnol écornée, de films d’Almodovar. Mélange de rigidités castillanes et des exubérances de la Movida, de fleurs tropicales éclatantes, de cartes postales représentant mariachis et danseurs traditionnels sur fond d’azur et de palmiers. Souvenir de cette maquette de stand Aeromexico qui me permit, en la fabriquant, d’échapper un moment du cours de communication visuelle 3D, formation artistique trop cadrée par une vision du monde principalement commerciale, entraîné malgré moi dans le formatage publicitaire ; la fin des années 80, la fin des années fric et de la toute puissance de la pensée occidentale, pour ne pas dire étasunienne, un ectoplasme qui sert de modèle unique, toujours actuellement à nos élites françaises (lire Management du Moi – la parole optimisée).
Pas d’échappatoire à la société de consommation qui a envahi les consciences des Européens. Pas sur les plages vides du Languedoc en hiver, encombrées de corps fatigués en été, pas entre les rangées des livres d’artistes sagement alignés et référencés, les catalogues d’expo du monde entier qui constituaient mon labyrinthe intérieur dans les couloirs de la Bibliothèque Kandisnky. Et certainement pas dans une société française que j’ai vu progressivement se refermer sur elle-même, d’un Paris ouvert sur le monde et sa richesse humaine qui s’est obscurci, ratatiné, hyper-centre d’un pays nombriliste, craintif, faisant des paris sécuritaires ou identitaires risqués, ceux d’un pays vieillissant. Une société habituée désormais aux infos prémâchées, au prêt-à-penser et au manichéisme véhiculé par des médias qui ont fait de la désinformation une déontologie et du facteur humain un détail inutile, un prétexte à l’émotion facile. Préoccupée de son bien-être, du manger bio, mais écrasée de fumeuses théories psychologisantes et moralisantes, positivantes, débilisantes…
Bien sûr, je n’oublie pas les cercles de proches, là-bas, cercles brisés, cercles emplis d’ego et d’hédonisme aussi, rebondissant, dessinant la ronde des existences amies qui s’entrechoquent et s’emmêlent, traçant des mouvements dérisoires mais tellement essenciels, allées et venues, empathies, distances, générées par des forces désordonnées qui nous dépassent tous, tirant à hue et à dia.
Ils se croyaient libres comme l’air, ils étaient juste inconsistants.
Je ne rejette pas pour autant mon identité française, patiemment construite à l’étranger à travers l’enseignement et les échos de la métropole, puis en France, adulte, par mes multiples tentatives de m’y trouver une place.. Au contraire, déplacée, elle a pris plus de relief, une évidente nécessité : quand la périphérie se redécouvre une centralité. Certainement le fait de parler une autre langue, de baigner année après année dans la culture mexicaine hispanophone a varié mes points de vue tout en relevant l’importance du langage, un autre thème longuement développé sur lapartmanquante (lire D’un mot à l’autre – la parole transposée). D’ailleurs toutes les études le prouvent, parler une ou deux langues étrangère de manière courante est régénérant pour le mental ! Et puis la nouveauté met en éveil les sens et l’intelligence. Faut-il donc partir si loin pour avoir un regard neuf ??
Bernard-l’ermite
Le pagure (Pagurus bernhardus), plus connu sous le nom de Bernard-l’ermite (ou encore bernard-l’hermite, parfois écrit sans trait d’union) est un crustacé décapode. Son nom vient du grec « pagauros » (qui a la queue en forme de cône).
De l’occitan languedocien bernat-l’ermito, bernat viendrait du prénom de Bernard de Clairvaux et ermito du comportement de l’animal. Une autre hypothèse fait dériver bernat du celte bernos (aqueux, marécageux), mais cette étymologie ne semble pas satisfaisante car d’autres animaux, qui ne sont pas aquatiques, portent un nom occitan en bernat : par exemple bernat-pudent (punaise des bois).
Il a la particularité de devoir utiliser des carapaces ou des coquilles vides pour protéger son abdomen des prédateurs. Lorsque sa croissance fait que sa carapace devient trop étroite, il en change pour une plus spacieuse. Il n’hésite pas parfois à déloger l’éventuel occupant de la coquille qu’il convoite.
Wikimix
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Un géant enchaîné
Le Mexique, ce pays immense qui avance, le compteur sur l’avenir, avec conviction et vélocité, ce pays aux finitions mal faites, aux conclusions toujours repoussées, ce pays mythique remodelé par les besoins de la globalisation est à l’étroit dans une projection postmoderne qui ne le reflète pas. Les publicités et telenovelas sont remplies de blondes pulpeuses et de play-boys richissimes, de bambins diaphanes aux yeux clairs qui n’ont rien d’indien, où seul le rôle de la cuisinière ou du comique de service échoit aux comédiens trop typés « mexicains ». Le peuble mexicain, dans sa variété, comporte une majorité de morenos (bruns de peau et de cheveux) mis face à un modèle de blancheur céleste, de pureté primermundista…
Ce grand pays conique aux pieds posés comme il peut, en équilibre sur des plaques tectonique mouvantes, largement ouvert sur sa frontière nord, resserré sur l’isthme de Tehuantepec au Sud – qui failli accueillir le premier projet de canal Atlantique-Pacifique, échu finalement au Panama, plus manipulable à l’époque par les puissances occidentales. Une société métisse abreuvée par tant d’influences extérieures, en mal criant de la figure emblématique du père (même si au quotidien les relations père-fils sont dépassionnées), souffrant de dualité pour la figure de la mère, avec d’un côté la trahison de la Malinche, fondatrice du Mexique moderne (la Chingada, la prostituée, la mère mal-aimée) et la dévotion à la Virgen de Guadalupe. Difficile d’avancer sur des bases si peu stables… et pourtant, le Mexique reste un espace empreint de valeurs humanistes, un pays moderne mais non désincarné, qui met bout à bout des univers très divers et où l’on peut encore se façonner un destin avec des outils simplement humains : son courage, son intuition et son sens critique, une éducation de base décente et des études avancées (encore) accessibles pour un grand nombre, les mouvements de son cœur. Il reste un territoire habité, une terre de désirs où les corps prennent toute leur place.

Dans toutes les familles mexicaines d’aujourd’hui il y a : une brebis religieuse, un mouton noir, une brebis aventurière, une brebis rose, une brebis mouillée, une brebis ivre.
Ces Mexicains de toutes les couleurs, toujours en train de, en retard, en transit, ces amis qui vont arriver, peut-être, mais qui une fois là, sourient et vous envisagent entièrement, manifestant une disponibilité remarquable malgré leur réserve, leurs pudeurs, et avec toute leur jovialité. Ces Mexicains et Mexicaines qui s’autorisent des délais et des absences frisant l’insulte, mais qui ne comprennent pas pourquoi vous n’avez pas envoyé trois messages le jour même pour reconfirmer le rendez-vous ! Eux, elles aussi essaient de surnager dans un monde complexe où les futilités et les diversions sont passés au premier plan, par rapport à ceux plus stratégiques et fondamentaux. Le nivellement par le bas, le trivial, l’instrumentalisation de l’éducation ou de la politique pour le court-terme, le pillage des ressources naturelles, la remise en cause de l’indépendance énergétique… J’ai traité ces thèmes dans mes précédents développements pour ne pas y revenir encore. L’histoire pourtant y est toujours en marche, et la lutte des classes – avec le creusement des inégalités qui, n’en déplaise aux éditorialistes libéraux, est aussi marqué qu’aux USA, encore plus marqué qu’en Europe – reste une réalité soigneusement cachée, mais qui partout comme la dégringolade régulière del valeur du peso en faveur du dollar.
Fascinés par les chimères étasuniennes, les Mexicains auraient tout intérêt à se réconcilier avec leur composante latine, à retrouver leurs racines amérindiennes et d’inverser leurs perspectives. L’Amérique du Sud, les Caraïbes semblent décidément si loin. Pourtant la Havane est à seulement deux heures d’avion de Mexico, mais à des années lumières de l’american dream. Tandis qu’un vol direct à Buenos Aires est aussi long qu’un aller à Paris ou à Londres. Ici aussi, le duel de faux-semblants entre Donald Trump et Hillary Clinton aux USA est bien plus commenté que la destitution illégitime de Dilma Roussef au Brésil. Trump l’épouvantail, s’il fait ici beaucoup plus peur qu’en Europe du fait de ses déclarations racistes vis-à-vis du Mexique aura eu cet avantage de réveiller la fierté latine et la fibre patriotique. Pendant ce temps, le pire continue de se déverser en provenance des USA : ainsi cette vague de payasos malos (clowns méchants) terrifiants la population dans les villages, copiant ce penchant étasunien pour le gore et le grotesque. Mais cela va plus loin qu’une mauvaise blague qui tourne court, certains payasos malos finissant lynchés par les habitants, fatigués du climat d’angoisse qu’ils s’amusent à distiller dans des régions qui n’ont pas besoin d’ajouter des menaces d’adolescents attardés à celles que le crime organisé et le narcotrafic font peser sur l’ensemble de la société. Si Hollywood a su tirer profit de toutes les formes de psychoses nées dans la famille de l’oncle Sam, il faut reconnaître que les USA restent particulièrement prolixes en monstres ! La pratique du religieux, qui au Mexique a plutôt tendance à tempérer que d’exacerber les passions, joue certainement efficacement son rôle de barrage face à la fascination du Mal qui dégouline de chez les Gringos.
Même si les projecteurs des USA braqués sur le monde entier continuent d’émerveiller, d’hypnotiser, de plus en plus de jeunes Mexicains perçoivent que leur salut ne réside pas sous la bannière étoilée, mais dans le déceloppement des capacités humaines du pays, et restent méfiant face à un empire puissant, qui use jusqu’au sang les énergies des latinos immigrés en les dénigrant, mais dont les convulsions sociales attestent de la désagrégation en cours. Et les cycles sont longs au Mexique, bien plus long que les crises systémiques de Wall-Street. Le pays possède beaucoup plus de richesses que ses grands voisins, c’est bien la raison pour laquelle il a toujours suscité les convoitises européennes, et que depuis 30 ans un accord néolibéral et néocolonial permet aux firmes canadiennes comme étasuniennes de venir y faire leur marché librement, sans l’entrave des protections sociales et environnementales exigées par leurs citoyens du « primer mundo ». D’emblée, le voyageur découvrira la richesse humaine qui s’y exprime et dépasse de loin la valeur monétaire des champs de pétrole du Golfe de Veracruz ou des mines de l’Altiplano.
Ojala, un jour le Mexique se secouera du joug de la corruption et des diktats du Nord…
Ecología, cette grande absente
La vocation coloniale du Mexique jamais démentie depuis plus de quatre siècles, a généré dans ce pays une population déconnectée du respect et de la protection de ses richesses naturelles. D’ailleurs les villes s’agrandissent en ouvrant de nouvelles « colonies », le lexique courant conservant dans ses usages l’image d’un pays vue comme une terre étrangère à exploiter. Une partie de l’élite en connivence avec les multinationales continue à puiser à pleine main dans les minerais, le pétrole, l’eau des couches phréatiques, à urbaniser ses plus belles les plages, à araser ses plus beaux paysages sans vergogne. Tandis que la majorité n’a aucune prise sur les biens communs et constitue une main d’œuvre exploitée. La région de Cancun souffre actuellement de la destruction des mangroves et de sa faune pour laisser place à d’immenses complexes touristiques. Le Chiapas compte de nombreux barrages qui alimentent les centrales électriques, mais qui lui profitent peu, qui l’asservissent puisque cette énergie profite surtout aux États industriels au Nord de la Fédération, et donne ainsi du courant utilisé par une grande partie du pays, ou sinon revendu à l’étranger.
Aucun projet éolien ou d’énergie marémotrice d’envergure à l’horizon du nouveau millénaire. Et le recyclage est balbutiant, plus du fait de petites entreprises triant cartons, métaux et verre pour la revente ; on peut souvent apercevoir des hommes et des femmes trimballant de gros sacs de poubelles en poubelles dans les villes, pour collectionner les canettes d’aluminium, rythmant leurs prises par des claquements secs, un coup de pied venant aplatir chaque lata (canette) de bière ou de sodas. Les mauvaises habitudes et l’utilisation pléthorique des desechables (jetables) perdurent : des millions de gobelets, assiettes et rangement alimentaires en polystyrène sont utilisés chaque année, dont une partie finit sur le trottoir ou s’envolent en périphérie des zones urbaines. Le biodégradable (verres, sacs plastiques) fait péniblement son chemin dans les pratiques quotidiennes, mais reste encore réservé à une petite portion de la population, qui a les moyens et est devenue consciente des enjeux écologiques et du respect du paysage.

« Quand tu achètes à un petit commerçant, tu n’aides pas un patron à acheter sa troisième villa ; tu aides à ce que sa famille puisse mettre la nourriture sur la table, pour cela : achète local ! »
La récolte municipale des ordures est quotidienne et plutôt bien assurée, qui finissent le plus souvent dans des décharges à ciel ouvert. Une habitude notoire : les habitants des villes et villages sont censé assurer le balayage régulier de leur bout de trottoir ou le nettotage d’une parcelle vide, sous peine de se voir infliger une multa (amende) par les autorités locale. Ceci expliquant la propreté des centre-villes et pallie aux services de nettoyage souvent déficients. Mais loin des regards, les cours d’eaux sont empoisonnés par les rejets d’industries chimiques, la faune et la flore extrêmement riche du pays n’a qu’à se débrouiller, malgré l’activité humaine invasive, pour se renouveler seule et selon ses codes millénaires, comme si ce pays n’avait pas lui aussi amorcé définitivement son virage industriel et consumériste, avec tous les dommages collatéraux pour la nature.
Heureusement, la tradition des huerts, ces jardins potagers et exploitations agricoles familiales ne se perd pas. Par exemple à Oaxaca la grande majorités des produits alimentaires de base (primeurs, viande, oeufs, lait, condiments) est produite localement et sans trop d’engrais ni pesticides et vendue dans les marchés populaires ou chics. Tout comme à Puebla, une autre grande capitale gastronomique du sud du pays.
Petite leçon d’une Histoire perdue
Les Indiens d’Amérique conservaient une tradition d’entretien et de pérennisation de la nature et de leurs terrains agricoles, de leurs forêts, territoires de chasse et de cueillette… Jusqu’à l’arrivée des Européens qui bousculèrent tous les codes, déchirant la filiation cosmique des hommes, jetant à bas les éléments terre/eau/air avec les idoles des anciens dieux païens. Or on sait qu’un point commun de la plupart des cultures mésoaméricaines et sud-américaines est justement le respect de la Pacha Mama, la Terre nourricière.
Pourtant, des règles fondamentales du vivre en harmonie avec son environnement y avaient déjà été dépassées, voire oubliées du fait de la cupidité, de l’orgueil, de la compétition et de l’irresponsabilité des Hommes, des travers universaux. Ainsi, la brusque disparition de certaines civilisations brillantes (dont les Mayas) seraient dues à la surexploitation des ressources naturelles, aux sécheresses récurrentes et à l’épuisement des terres. La débauche de costumes d’apparat pour les hautes castes de prêtres, princes et guerriers, les offrandes aux divinités aztèques ont saigné durement la faune et flore – pour les plumages colorés et les essences rares notamment. Les célèbres fresques de Diego Rivera du Palacio Municipal de Mexico illustrent parfaitement l’exploitation abusive des ressources naturelles, derrière le vernis bucolique de l’artisanat et de la culture traditionnelle. Les Aztèques ont possiblement initié ce grand bradage de siècles de mesure et de compromis entre l’humain et la nature, avant la prise en main du pays par les conquistadores avides de l’or et des richesses matérielles d’une lointaine terre étrangère. Terre progressivement volée et mise sous coupe productiviste, richesses emplissant les coffres de la couronne espagnole puis dilapidées en pure perte pour les pompes de la Cour des Habsbourg et des Grands d’Espagne. Puissance mondiale de tout premier plan à la période de la Renaissance, l’Espagne a plié sous le poids de sa fortune extorquée, affaiblie par tant de largesses venues de ses colonies. Elle s’est enfiévrée d’Or pour devenir un Empire malade et déchu, déjà aux XVIIIe et XIXe siècles. Toutes les ex-puissances coloniales occidentales auront-elles ainsi à payer durablement leur voracité meurtrière ?
Les habitants de la lointaine île de Pâques au large du Chili, perdus corps et biens, ne sont jamais revenus eux non plus du gaspillage et de la surexploitation de leurs terres, et leurs géants de pierre semblent scruter l’horizon à la recherche de leurs créateurs, telles des énigmes historiques questionnant toujours le pourquoi de la folie destructrice et autodestructrice des hommes.
Les pieds sur terre
Pour autant, les Mexicains ne sont pas pessimistes sur l’avenir. La croyance en la toute puissance de la technologie et de la science, ces « miracles » venus du positivisme occidental, aide à oublier les erreurs du passé comme les errements du présent. C’est peut-être cette foi inébranlable dans le lendemain qui transporte le plus les visiteurs étrangers, et réjouit particulièrement les touristes français. Cette jovialité naturelle, l’accueil chaleureux et le dynamisme partout mesurable d’une société en croissance : croissance démographique, économique, qu’elle soit touristique ou industrielle, développement urbain, qualité du réseau routier, accès Internet dans le moindre village… toutes les apparences de l’hyper-modernité. L’appartenance à un tiers-monde méprisé semble bien loin aujourd’hui, même s’il suffit de s’éloigner des tours flambant neuf du centre commercial de Mexico ou de Monterrey et de circuler dans l’arrière pays et ses zones déshéritées, isolées dans le temps, pour constater que le Mexique est toujours à cheval entre deux mondes. Il est une synthèse, en équilibre instable, entre l’individualisme moderne et les solidarités traditionnelles.
Dans ce pays où les horizons vous happent, l’aplomb de ses habitants, la verticalité et la transcendance, le stable, une forme de dignité sans indignation, la confiance dans la douleur, beaucoup de patience et un peu d’espièglerie, de la présence dans l’absence, l’instablilité horizontale, tant de choses qui dásapointent et interpellent le voyageur en quête d’aventures humaines. Il, elle découvrora alors progressivement l’étendue des atouts et valeurs de la société mexicaine, malgré ses résignations : de la curiosité, une écoute totale quand on est disponible, une grande capacité de travail et du courage pour l’endurance, la volonté de se dépasser, d’avancer, d’inventer, d’apprendre toujours, sans que l’âge soit un obstacle. De nombreux jeunes Mexicains poursuivent des études supérieures, font des recherches, gagnent des prix internationaux. Cette tendance représente certes le verre à moitié plein si on ne mentionne pas que beaucoup profitent du système universitaire public et prolongent les études à cause de perspectives réelles encore pauvres : chômage massif et sans aides institutionnelles, peu d’emploi valorisant et correctement rémunéré. Beaucoup restent donc longtemps à vivre chez leurs parents, aussi pour des raisons culturelles.
La société mexicaine bénéficie d’une relative bonne santé économique, en dépit de la cooptation et de la reproduction des élites. L’ascenseur social semble encore fonctionner ici, du moins jusqu’à un certain stade, les hautes sphères socioculturelles restant complètement étanches au commun, puisque tout un réseau de Clubs de riches, de système de postes haut-placés pré-réservés, de luxueuses résidences hyper-surveillées, de lieux de loisirs et plages privatisées, permet aux familles millionnaires et aux fils de, filles de, de ne pas se mélanger avec la plèbe. Or l’ensemble des Mexicain(e)s, si forts pour se mettre en scène, désirent vivement être reconnus et avoir de leur patrie et d’eux-mêmes une image positive, gagner la place que ce grand pays mérite dans un monde désormais interconnecté et multipolaire.
S’enraciner dans la réalité du pays et de ses composantes humaines met en lumière les besoins vitaux de la population mexicaine, qui sont aussi des options pour l’avenir. Car si on s’écarte des porte-voix de la berceuse productiviste partout déversée, qui ne voit le salut du pays que dans la surconsommation et l’épuisement des richesses naturelles, on découvre alors des perspectives bien plus excitantes et pertinentes, plus proches aussi des solutions alternatives qui émergent en Europe : retrouver le respect du territoire, sortir d’une agriculture dévorée par les hydrocarbures et le court-terme, favoriser la relocalisation et les circuits de proximités. Le Mexique dispose de tous les atouts pour cela. Penser différemment l’aventure contemporaine, tenter une autre forme d’urbanisme et d’architecture en s’appuyant sur le génie des exemples historiques. Sans remonter bien loin, la richesse léguée par le projet colonial espagnol n’est pas que touristique, elle montre à quel point espaces publics et privés étaient intelligemment imbriqués, pratiquant ouvertures et passages, aération, parcs et jardins intérieurs, ménageant des parenthèses de repos dans des villes déjà denses.
Et comment, sous des climats parfois extrêmes, ne pas envisager des solutions millénaires qui ont fait leur preuve : remettre à jour les connaissances ancestrales et toujours efficaces dans l’agriculture, avec les techniques d’irrigation développées par les civilisations natives, l’isolation via des matériaux naturels tels l’adobe, la santé via une alimentation riche et équilibrée et les médecines traditionnelles… Remettre l’humain au centre de son environnement immédiat ne bannit certainement pas les technologies numériques et la recherche scientifique. C’est tout un monde qui reste en devenir !
… et des racines cosmiques
Dans un essai paru en 1925, le philosophe mexicain et secrétaire de l’éducation José Vasconcelos avança cette notion de La Raza Cósmica (La Race cosmique) ou encore race de bronze, pour exprimer l’idée d’une future « cinquième race » en gestation sur le continent américain. Elle englobe toutes les races du monde sans se soucier de la couleur de peau, pour ériger une nouvelle civilisation. Et effectivement, la société mexicaine en 2016 est déjà le fruit du métissage et qui réunit les quatre grands ensembles ethniques : la rouge, la jaune, la noire et la blanche. Selon Vasconcelos et le mouvement intellectuel avant-gardiste des années 1920, qui réunit plusieurs autres penseurs dans la dynamique de la révolution mexicaine et le grand courant de l’internationale socialiste, les concepts exclusifs de race et de nationalité peuvent être transcendés au nom d’un destin commun de l’humanité.
Ce mythe moderne de la nouvelle race à venir puise aux sources d’ancien mythes mayas ou aztèques, celle par exemple du Popol Vuh et de la création de l’homme de maïs, ou encore de La légende du Cinquième Soleil .
Voilà, je pose la plume un moment et laisse reposer mon clavier. Une plume de quetzal certainement, intensément verte comme l’espoir ! Vert émeraude comme la forêt tropicale de la Huasteca, vert-de-gris comme les façades en pierre sculptées de Guanajuato, vert électrique comme le logo de la Pemex, vert tendre du nopal, vert d’eau comme les plages des Caraïbes. Ce vert qui sait si heureusement habiller le drapeau mexicain à côté du rouge sang. Cette couleur recèle tant de nuances, si plaisantes à la palette des peintres ; tous ces verts, du plus sombre au plus lumineux, qui s’harmonisent si bien avec les autres teintes vives qui recouvrent les maisons du Nord au Sud du Mexique, avec tant d’audace et de créativité dans l’harmonie colorée : orange, variation d’ocres, brun sourd, blanc, jaune, bleu profond, azur clair, pourpre, violet, rose mexicain…
Florent Hugoniot – Querétaro, octobre 2016
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SOURCES :
https://www.unsacsurledos.com/premieres-impressions-au-mexique/
Défaitismes européens :
http://arretsurinfo.ch/dario-fo-nos-intellectuels-ineptes-tristes-et-asservis-a-la-pensee-unique/
C’était quoi le tiers-monde ?
http://www.monde-diplomatique.fr/2000/08/WALLERSTEIN/1946
Résistances citoyennes au Mexique et écologie :
L’initiative citoyenne d’un petit village dans les montagnes mexicaines : https://www.franceinter.fr/emissions/les-histoires-du-monde/les-histoires-du-monde-18-octobre-2016
D’autres paradigmes :
http://www.franceculture.fr/emissions/ce-qui-nous-arrive-demain-14-15/les-bienfaits-de-la-langue
La race cosmique :
https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Raza_C%C3%B3smica
http://masdemx.com/2016/10/los-manifiestos-en-nahuatl-de-emiliano-zapata/
Les cahiers psychologie politique. A propos du labyrinthe de la solitude d’Octavio Paz : quelques commentaires sur psychologie et littérature
http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=1307
bonjour. Très beau texte qui transmet l’amour pour une culture attachante et riche malgré les vicissitudes actuelles. Mais les réactions nationalistes aux outrages du président étasunien se limitent souvent á une posture, une attitude bravache qui ne débouche guère sur du concret: une telle domination économique ne le permet pas.
Votre conclusion faisant l’apologie du vert vise, elle, extrêmement juste car c’est une des premières choses qui frappe le visiteur dés qu’il s’éloigne de la ville: une profondeur, une richesse et une variété de nuances infinie de cette couleur que viennent compléter les autres teintes vives qui se livrent á une surenchère de luminosité (fleurs, vêtements, papillons, façades des maisons…)
Le Mexique ? … une passion