Chaque premier dimanche de mars voit arriver dans la Laguna le Marathon International Lala, du nom du principal sponsor, le Grupo Lala, marque de produits laitiers bien connue dans tout le Mexique : on trouve les briques de lait, la crème, et les yaourts Lala dans tous les supermarchés et épiceries de proximité. Ceux-ci sont principalement transformés et empaquetés à Gómez Palacio, où s’est implanté en 1950 ce groupe agro-industriel d’envergure internationale.
Située au Nord du Mexique et connue pour son climat chaud et ses paysages désertiques, « La Laguna » (Le Lac) est une aire métropolitaine, parmi les plus étendues et peuplées du Mexique, qui relie Torreón et Matamoros, dans l’état de Coahuila, aux deux villes de Lerdo et Gomez Palacio, dans l’état limitrophe de Durango. La dynamique humaine et économique a fait de cette région aride, une zone prospère et résolument moderne qui déroule ses voies rapides, ses campus, ses colonias et fraccionamientos (quartiers et zones résidentielles), ses parcs industriels entre les montagnes de Durango et le désert de Coahuila, sur un ancien lac préhistorique asséché, totalement plat et poussiéreux. Pourquoi avoir installé une telle activité agroalimentaire dévoreuse en eau et en fourrage dans un environnement si hostile aux ruminants ? Mystère de la planification nationale, du capitalisme et du surréalisme mexicain…
Tandis que des centaines de vaches laitières suent sous les nombreux hangars climatisés en périphérie urbaine, ce sont des vaches en résine ou en structure gonflable qui viennent ponctuer les principales avenues, places et ponts du parcours, et rappellent plus ou moins discrètement le soutien de Lala à cette manifestation sportive très prisée par la population de la région. De fait, c’est le marathon qui réunit le plus de participants au Mexique, avec environ 5000 participants d’une dizaine de nationalités et 50 000 spectateurs mexicains, principalement des Laguneros. C’est aussi le marathon le plus rapide de toute l’Amérique latine, qui permet de se qualifier par exemple pour celui de Boston, USA.
Les hôtels se remplissent le temps d’un week-end et un air de fête envahit la ville, tandis que les orangers diffusent l’arôme suave de leurs fleurs blanches dans l’atmosphère. Le printemps est encore doux, il commence à s’étirer sous le soleil ardent et le ciel profondément bleu du Nord du Mexique. Le climat est donc parfait pour un petit tour de piste entre les curieux, les athlètes en herbes, les coureurs de fond confirmés et les professionnels venus de tous les horizons, dont une poignée de Kenyans qui vole régulièrement la victoire aux locaux.
Le soleil était déjà haut lorsque j’aperçu de loin les premières groupes de coureurs, facilement repérables avec leurs casquettes, leurs baskets et leurs lycras jaunes, verts, roses fluo. La circulation avait été bien sûr neutralisée sur le trajet du parcours, ce qui conférait au centre de Torreón une sérénité et un silence particulier, comme si toute la ville était tendue dans cet effort collectif, toute activité annulée, emportée dans le dépassement physique de chaque participant. Je remarquais rapidement la présence de jeunes femmes au corps ferme et tonique, des petits nerveux, des gorditos souriants à l’embonpoint bien visible, quelques excentriques maquillés comme pour Carnaval ou arborant un chapeau de lutin bon marché en velours, et même certains abuelos (grand-pères) enthousiastes, tout dentier dehors. L’Amérique dans toute sa modernité, son positivisme et sa trivialité !
Encore un petit effort !!
La récolte de portraits s’annonçait intéressante, et je naviguais entre les grappes de curieux, de plus en plus fournies à mesure que je me dirigeais vers le Bosque Venustiano Carranza, un grand parc central que contournaient les coureurs avant de franchir la ligne d’arrivée. L’effort se lisait sur la plupart de leurs visages à l’approche de l’immense arc de ballons bleus, rouges et blanc marquant la fin des 42.195 km de trajet parcourus en larges foulées, la tension des muscles était palpable.
Je décidais finalement de me positionner sur la dernière ligne droite afin de saisir les participants et les participantes lors de cet ultime moment où ils semblent tout donner, avant le grand relâchement et la satisfaction d’avoir accompli l’épreuve. Certains souriaient encore, d’autres fondaient sous la transpiration, d’autres encore serraient les dents et bombaient les fesses.
Alors que les Mexicains présentent en général un visage lisse et souriant, j’allais pouvoir graver grâce à cette épreuve sportive – qui est aussi une métaphore de la vie – des expressions plus naturelles, plus rugueuses et moins feintes, moins préparées comme pour les inévitables photos de groupes d’amis, de famille et les selfies-prêt-à-l’usage. Des visages qui exprimaient ce que nous tous, mobilisons dans nos parcours personnels pour avancer, participer, tenir le rythme et se relever lorsque parfois nous chutons, mais aussi pour la beauté du geste : la persévérance et le dépassement.
Pour cette 17e édition du Marathon de Torreón qui se déroula en 2015, Erick Mose et Demissie Missiker, athlètes respectivement kenyan et éthiopien, gagnèrent haut la main et d’un pied léger l’épreuve du marathon de Torreón. Depuis 6 années consécutives, aucun Mexicain n’avait réussit à l’emporter, il faudra attendre l’édition de 2017 pour cela.
Florent Hugoniot