Colotlán, sympatique ville du Nord de l’État de Jalisco au Mexique, est considérée comme la capitale mondiale du piteado, non tant par son nombre de d’ateliers consacrés à cette activité, mais par la qualité et la beauté de ses produits. Le piteado ou encore bordado en pita est une broderie fine sur cuir, principalement réalisée sur les éléments de l’art équestre comme les selles, mais aussi les ceinturons, les chapeaux, les bottes ou sur des articles plus courants comme des sandales et des bracelets. Cette activité artisanale s’y est naturellement développée en parallèle de l’élevage des chevaux. Avec une nature suffisamment généreuse dans les alentours de la ville pour produire du fourrage – un petit oasis dans une nature chaude et aride – l’activité équestre est bien vivante, et Colotlán possède de nombreux ranchos.
Le piteado n’est pas l’exclusivité de Colotlán, mais les spécialistes et aficionados de l’art équestre mexicain s’accordent pour dire qu’on y trouve les dessins les plus sophistiqués et la meilleure façon. Cet artisanat existe également dans les États d’Hidalgo, Guerrero, Veracruz, San Luis Potosí, Estado de México, Durango, Jalisco, Zacatecas, Michoacán et Chiapas, et participe de la culture de la charreria, tout à la fois élevage de chevaux, et rodéo mexicain (lire Sabado de Gloria à Jerez). Lié à un commerce désormais internationalisé – principalement en direction des USA où une forte demande existe parmi la communauté latino, mais aussi vers la Chine – le piteado est implanté dans la petite ville de de Colotlán depuis de nombreuses générations.
On peut y dénombrer une quarantaine d’ateliers différents, sans compter les artisans à domicile, qui produisent par exemple autour de dix mille ceinturons par mois. C’est donc un source de revenus et un secteur économique essentiel pour les habitants. Le piteado attire également quelques touristes intéressés par la culture traditionnelle mexicaine. Pour rester au Mexique, les produits de Colotlán sont présentés et vendus dans des stands, lors des ferias et corridas, ou dans les magasins spécialisés en sellerie. Outre-Atlantique, le musée du Prado à Madrid, en espagne, présente quelques oeuvres exceptionnelles, ce qui a contribué à donner ses lettres de noblesse à cet art de l’ornement du cuir.
Le piteado est exclusivement réalisée avec des produits naturels : peau tannée de différentes qualités et souplesses, venant de León ou San Luis Potosí dans le centre du Mexique, et fibre naturelle provenant d’une espèce particulière d’agave aux longues feuilles (plante avec laquelle on fabrique généralement la tequila et le mezcal), importée des États d’Oaxaca et du Chiapas, plus au Sud du pays.
Tout atelier doit disposer de trois employés au minimum : un dessinateur, un brodeur et un punteador, qui se chargent de manufacturer conjointement les pièces. Réaliser un ceinturon brodé à la main est un travail assez ardu qui prend environ huit jours, à raison de six heures quotidiennes. Premièrement, les longues bandes sont taillées dans la peau et reçoivent une patine et un éclat particulier. Puis le dessin est gravé avec un ciseau. Les plus beaux dessins originaux dérivent des grecques aztèques ou développent des motifs floraux baroques ; ou encore s’inspirent de la faune avec la charrería et le jaripeo (rodéo mexicain), les batailles de coqs et les courses de taureaux. Aujourd’hui, beaucoup de dessins mélangent des motifs géométriques huicholes, une culture millénaire préhispanique du Mexique qui traverse l’État de Jalisco, tandis que certains ateliers ont vulgarisé des formes plus contemporaines pour s’adapter à la demande, ce qui favorise la création mais dénature parfois l’art du piteado.
Une fois passée cette première étape de création, le dessin est piqué régulièrement à la main pour permettre ensuite la broderie, qui est la tâche la plus difficile et, pour cette raison, la mieux rétribuée. Puis, à l’aide d’une machine à coudre, le brodeur met la doublure au revers du ceinturon, il redécoupe et fait les finitions. Enfin, un autre artisan ajoute la broche, la boucle et la barrette. Le ceinturon est ainsi prêt à la vente. Avec le cuir restant, on élabore des housses, des broches, des boucles d’oreille.
La gamme d’outils est étendue et précise : le dessinateur dispose d’un ruban de mesure, d’un ciseau, d’une cale, d’un couperet, d’un rasoir et d’un compas ; le punteador d’une pointe dure et d’un bâtonnet de bois de mezquite, qui sert à lisser le cuir ; et le brodeur d’aiguilles, d’une couverture et de la fibre de pito. Les différentes catégories d’artisans se servent plus généralement de larges tables de travail et de planches plus fines en bois sur laquelle ils s’appuient pour les tâches délicates, de pierre à aiguiser et de règles.
Sur place, une ceinture faite main et de très belle façon ne revient finalement pas si cher à l’achat, mais si vous souhaitez vous offrir un équipement équestre complet en piteado, il faudra disposer d’un budget conséquent, sinon gagner à la lotería nationale !
À Guadalajara existe une industrie concurrente qui utilise des machines à broder et les techniques automatisées pour la fabrication d’imitations du piteado. L’utilisation de fils de soie à la place du pito peut confondre le consommateur peu averti, qui préfèrera ainsi des produits meilleurs marché car standardisés par la production industrielle, mais pas très originaux et de bien moins belle qualité si on y regarde de plus près… Les ateliers mécanisés de Guadalajara et de San Luis Potosí on a aussi popularisé une fausse version faite avec fils de fer argentés et dorés qui sont frauduleusement négociés comme des fils d’or ou d’argent, des productions au goût douteux digne des narcotrafiquants !
Une fondation assure la promotion du piteado à travers le monde, avec des bureaux à Veracruz au Mexique, en Floride et à Shanghai en Chine. Elle appuie sans but lucratif cette belle tradition et distribue l’équipement nécessaire aux communautés d’artisans, ce qui illustre une belle coordination et prouve la volonté partagée de conserver cet art et ce savoir-faire typiquement mexicain. L’origine du piteado est espagnole voire arabe, mais la forme développée au Mexique fut toujours extrêmement riche et inventive.
Cette organisation finance aussi des recherches scientifiques pour améliorer les qualités de l’agave (Aechmea magdalenae) avec lequel on obtient la fibre du pito, en mettant en synergie des communautés rurales productrices de fibre d’agave de la Sierra Madre dans le Nord de Oaxaca, avec des biochimistes et des producteurs agricoles de plantes d’agave au Guatemala dans la région de Mesaltenango, tout en préservant les ressources naturelles et l’environnement nécessaire à l’obtention des matières premières pour le piteado. Elle soutien aussi la conception de dessin novateurs, en offrant une aide matérielle nécessaire aux artisans. Afin que Colotlán continue à vivre de son savoir-faire si exigeant et élégant, et que le lumineux sourire de ses habitants ne s’efface jamais !
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Florent Hugoniot
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Sources : http://www.unionjalisco.mx/articulo/2013/04/22/turismo/colotlan-capital-mundial-del-piteado – Homero Adame
beau reportage un véritable document bravo