Mariposas monarcas, morceaux d’infini

Ce fut l’un de mes premiers émerveillements au Mexique. Un horizon s’ouvrit et s’éparpilla, quand j’entendis les deux mots magiques de mariposas et monarcas. Des papillons rois… Une évocation, un désir d’évasion, des ailes colorées qui s’agitent, un projet de randonnée qui se fait jour… J’appris l’existence de ce phénomène naturel qu’est la migration annuelle des Monarques en Amérique du Nord, de la bouche d’un jeune mexicain, un guerro (blond). Comme moi, il était venu ce jour-là participer, en tant que figurant, au tournage d’un spot publicitaire pour les jus de fruit Oasis, dans des studios situés au Nord de la capitale.

Quelle situation cocasse ! Venir pour un long séjour d’immersion culturelle et linguistique au Mexique, avec un tel appétit de paysages nouveaux, de saveurs, de faune et de flore exotiques, et se retrouver à gagner quelques pesos à Mexico pour promouvoir une boisson française aux saveurs artificielles bien connue des enfants… Une expérience déroutante et assez ennuyeuse, révélatrice de certains clichés inversés. L’équipe de production, fraîchement débarquée de France, tendue comme un couteau, avait déjà testé la coco locale. Certainement du moins le réalisateur, surexité, qui était accompagné de ses assistants virevoltants, déjà prêts à repartir le lendemain pour de nouvelles prises sur la côte pacifique, et en complet décalage avec l’humeur plutôt détendue de la vingtaine de figurants présents ce jour-là. Bon, on était censé incarner le public tumultueux d’une émission people à la con, pourtant on ne frétillait pas assez sur les gradins, ca n’hurlait pas suffisamment de joie au goût des specialistes de l’entertainment mondialisé et des paradis bradés, toujours bleutés et fruités… Vraiment, quel spectacle étrange, vu de l’autre côté, que cette équipe francaise si distante, des extraterrestres menés au pas de charge par un réalisateur odieux, hystérique. Des figurants, en quelque sorte…

Et durant les si longues attentes entre chaque prise, je fis notamment la connaissance de ce jeune Chilango sympathique qui me parla le premier des papillons Monarcas. Tienes que conocer, il faut absolument que tu connaisses… Une fenêtre de rêve s’ouvrait dans cette réalité si triviale, une envolée de papillons oranges aux veinures sombres se matérialisait devant mes yeux, entre les murs et les rideaux noirs du studio.

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Les incroyables papillons Monarcas s’établissent chaque hiver dans les montagnes de Michoacan, Hidalgo et Estado de México, dans différents sanctuaires naturels désormais protégés. Ils migrent depuis le Canada et couvrent environ 4000 km en traversant les États-Unis jusqu’aux sanctuaires mexicains du centre-sud du pays, où ils se reproduisent après avoir hiverné. Pins et cèdres se couvrent alors de millions d’ailes oranges et noires à pois banc, et la féerie y est bien réelle. Légers, les lepidoptères glissent entre les troncs et se nourissent du nectar des nombreuses fleurs multicolores qui couvrent les flancs de la montagne, à environ 3 200 m d’altitude. Pour assister à ce spectacle enchanteur, il faut se rendre dans la Reserva de la Biósfera entre les mois d’octobre-novembre quand les papillons arrivent, et mars-avril au moment de leur retour au Canada.

La Reserva de la Biósfera est devenue patrimoine de l’humanité UNESCO mais ce phénomène unique de migration n’existe que depuis une cinquantaine d’année. Sur les 5 sanctuaires existants, deux seulement sont ouverts au public : El Rosario et Sierra Chincua dans l’État de Michoacan. C’est dans le second, Sierra Chincua, non loin de la petite ville d’Angangueo que j’ai pris les photos qui illustrent le texte. Je recommande ce site pour la beauté de la flore et de ses panoramas, mais aussi pour son échelle tout à fait humaine : des petits groupes de touristes, mexicains pour la plupart, sont accompagnés chacun d’un guide qui n’impose pas son rythme mais accepte les nombreuses pauses photo ou autres, tout en surveillant bien sûr à ce que personne ne s’égare sur les sentiers et que l’environnement soit respecté, particuliérement sur la zone de reproduction des papillons ; l’aire d’arrivée comporte un grand parking, des installations modernes, des boutiques souvenirs et des restaurants principalement, mais dans un style traditionnel et on peut y manger à bon marché.

Lorsqu’on emprunte le sentier de randonnée, on peut observer quelques papillons monarcas virevolter, d’abord isolés puis de plus en plus nombreux, jusqu’à arriver après un bon dénivelé à une zone protégée où des colonies de Monarcas ont pris leurs quartiers d’hivers. Ils y dorment tout serrés les uns contre les autres, formant des énormes essaims sur les coniféres, et s’animent avec les premiers chauds rayons de soleil. En ouvrant leurs ailes grises en dessous, oranges au dessus, ils font comme des clin d’oeil aux visiteurs et ponctuent les sous-bois de feu. On se prête à la rêverie collective, au recueillement, certains à la méditation, d’autres s’endorment, entourés de touristes silencieux et attentifs, aux gestes calculés. À la fois berceau et tombeau, le cycle de vie et de reproduction semble ici palpable, comme si on arrivait à la source d’une vibration si pure, si légère, si fragile, que toutes les précautions semblent nécessaires pour l’apprécier et la préserver.

On ne peut que se surprendre de ce phénomène de la migration des papillons Monarcas, qui dans leur vie feront deux trajets, du Mexique au Canada ou vice-versa, frêles et infatigables, pour se reproduire et transmettre, accompagner les plus jeunes vers les lieux consacrés et répartis entre les deux pays.

La raison cette migration réside dans le fait que la maturation sexuelle des Monarcas est seulement atteinte avec la chaleur printanière. Pour l’obtenir, ils ont besoin d’hiberner dans un lieu où la température les maintient engourdis, pour que quand la chaleur printanière arrive, ils se reproduisent assez vite. Le climat des montagnes mexicaines étant propice à leurs besoins vitaux, ils s’y sont donc établis. Où migraient-ils avant, comment sont-ils arrivés au Mexique ? Mystère… Peu après cette période, à la fin du mois de mars, ils entreprennent leur retour vers le Nord, où certains finiront leur cycle de vie.

Ce sont des agents polinizateurs de premier plan, et donc un facteur d’équilibre écologique. Ils sont hautement résistants aux conditions variables du temps, mais espérons que les changements climatiques en cours ne perturbent pas leur incroyable odyssée. Un papillon conventionnel a un cycle de vie de 24 jours, alors que le papillon monarque arrive à vivre 9 mois c’est-à-dire 12 fois plus que les autres espèces.

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Du rêve à la réalité, il n’y a parfois qu’un pas. Ou quelques pas, une ascension, des tours et des détours, quelques milliers de kilomètres… Ou encore quelques années, un certain temps, puisqu’il m’aura fallu attendre 5 ans et le bon moment pour aller à la rencontre de ces fameux papillons monarcas, depuis ce jour où j’appris leur existence. Et quand la réalité coincide avec ses espoirs et ses images intérieures, l’enchantement est total, natural et tellement fluide…

L’état de grâce, ca ressemble bien à ca, non ? Des ailes de papillon qui s’ouvrent, au creux du coeur, au creux du ventre. Une impression de légéreté et de liberté entre les oreilles, la belle insouciance d’un dimanche après-midi. Le trivial, le pesant de la vie sont demeurés loin, ailleurs, plus bas : oubliées les batailles quotidiennes, les vains efforts professionnels, les déceptions amoureuses, les intrigues humaines, bref toutes ces failles et ces tremblements de terre qui vous rappellent au sordide, au mesquin de l’existence, et qui parfois vous rapprochent du gouffre…

Un dénivellement de l’âme qui permet de goûter plus intensément ce bien-être prenant simplement forme quand on embrasse un bout de nature, et qu’on se laisse porter par elle.

Mais cette légèreté, cette facilité, c’est aussi l’abandon de toutes les formes de l’AVOIR pour revenir à son ÊTRE essentiel. Car comment posséder l’immensité ? Microcosme et macrocosme se rejoignent, se complètent et tirent un trait d’infini. Nous pouvons nous poser sur ce lien, nous nous y situons, nous nous stabilisons sur quelques branches stellaires et nous retrouvons le fil de nos pensées les plus secrètes. Les évidences, l’intuition peuvent alors s’épanouir et notre Moi se métamorphoser, s’envoler vers les plus hautes cîmes comme vers les chemins et les labyrinthes les plus obscurs. Les vieilles peaux se détachent et tombent, elle se dissolvent dans la terre. Le monde vous appartient, parce que justement vous ne possédez plus rien que quelques brins d’herbe qui glissent de la main, quelques grains de poussière en apesanteur, brillant au soleil, un éclat d’aile orangé le matin, une vibration zénitale, la lumière du soir qui s’empourpre et s’absente.

Florent Hugoniot

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SOURCES :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Monarque_(papillon)

http://www.voyagemexico.com/santuario-de-la-mariposa-monarca-michoacan/

https://www.mexicodesconocido.com.mx/mariposa-monarca-santuarios-mexico.html

http://www.pisodeexhibicion.com/Pub/0801A/Rin-SantuarioMariposa0801A.php

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Un commentaire pour Mariposas monarcas, morceaux d’infini

  1. MyoPaname dit :

    C’est absolument magique !
    Très beau billet pour découvrir …

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