L’enfant cannibale

Qui es-tu Monsieur Y ?

Un enfant qui a grandi trop vite, un enfant prisonnier dans un corps d’homme.

Un adolescent qui s’amuse des autres, de la réalité extérieure, un jeune homme qui se joue de l’amour et du temps linéaire des adultes. Tu es un éternel retour vers le monde de l’enfance.

Ton JE insaisissable, tout en fuites et feintes, en apparitions décroissantes comme la lune, tes petits pas, tes va-et-vient, ta danse un peu gauche qui m’a tant amusée puis donné vertige et nausée, tout cela finit toujours par s’éclipser dans ton refuge, cette prison puérile et si transparente pour les autres, ceux dont tu souhaites attirer l’attention.

Depuis cet espace improbable que toi-même as déserté, tu forges tes armes du désir, tu creuses tes pièges de chasseur aux abois, et tu mords la main de celui qui t’as ouvert sa maison et son cœur : moi hier, demain une autre victime.

Chaque fois que je pense à toi, je suis en conflit. Je ne sais jamais à qui je m’adresse, qui me parle. À force de babiller dans le sens du vent, ta bouche s’est remplie du vide de ton existence. Les miennes de paroles t’entraient par une oreille pour ressortir par l’autre. Je t’ai suivi comme un somnanbule. Tu m’as confondu et je me suis laissé égarer, nos torts étaient partagés. Tu m’as finalement perdu dans un dernier courant d’air, un bâillement.

Alors que je t’avais ouvert en grand ma porte, tu as bien inspecté le terrain tel un rôdeur. Tu as observé mes moindres gestes, bu mes caresses, mangé mon corps pour en prélever de nouvelles étoffes, parfaire ton déguisement et composer ta tenue de séducteur des plages tristes. En moi tu t’es repu de ta faim d’absolu.

XXXXX

« Tu me tues, tu me fais du bien » (1)

XXXXX

Sous tes airs puérils, tu es un tueur. Tu tues, turlututu chapeau pointu…

Mine de rien, avec ton sourire refait Ultra Brite, tu as tué la beauté de notre rencontre, l’innocence d’un monde en construction, le nôtre. Un sourire insaisissable, un peu honteux comme une excuse d’exister. Un sourire qui n’existe que pour toi et ton reflet de circonstance, démultiplé sur ton téléphone mobile.

Tu m’as fait peur Monsieur Smiley, une peur vertigineuse qui s’est transformée en colère puis en impuissance : celle de te sentir si vide, si creux. Tu as presque 30 ans et tu es un enfant perdu de son siècle, déjà un irresponsable émotionnel, un manipulateur en passe de devenir un parfait pervers narcissique. Un fils de famille évaporé dans la movida gay.

Pourtant, tu m’avais confié un jour que la première fois que tu es allé baiser avec des inconnus sur la si mal nommée Playa del Amor, tu pleuras toutes les larmes de ton âme souillée, tes rêves de romance violée. C’est ainsi, l’épreuve du feu, le passage au sexe de tant de gays de ton âge et d’autres époques, le vagabondage et les labyrinthes de la délivrance physique, le contact des corps furtifs, la marge et les plages désertes. Mais il ne t’as pas fallu longtemps pour toi aussi t’ennivrer et t’évanouir dans ce monde individualiste et mensonger des plaisirs immédiats, dans toute son inconsistance et sa crudité.

Toi qui a commencé une psychothérapie, à ce que tu dis, je t’ai vu changer tellement de forme et de personnage. Est-cela le but de ce travail intérieur, te confirmer dans tes erreurs ??

Tu n’as que des amigos gays. Comme c’est troublant !

Du garçon charmant, attentionné et bien élevé, un buen chico disent tes amis encore fidèles, en passant par le jeune mec de son temps, profitant des luttes d’autres générations d’homosexuels pour vivre pleinement et sans complexe, accepté et même choyé par ta famille amputée du père, toujours au chaud dans le giron maternel avec toutes les facilités de rencontres sur les réseaux sociaux, connexions dématérialisées pour découvrir un univers tout en ombres, assouvir ton envie de nouvelles rencontres, par curiosité disais-tu ; jusqu’a cet hijo de la chingada, doudou menteur qui compartimente sa vie, participant à toutes les fêtes (sans me convier, prudence d’égoïste – pire tu venais t’en vanter auprès de moi comme un sportif auprès de son entraîneur, un étudiant lancé dans la vie active auprès de son professeur mis en retraite), testant sa puissance sexuelle dans une frénésie de corps anonymes et interchangeables, des aventures nocturnes sans fin : défilé trans et swimming pool parties, orgies de fin de soirée entre amis…

Juste par curiosité disais-tu encore, et du bout de ton Tout.

Tu ne viendras plus boire à ma source et te rassasier de mon énergie vitale. Une eau chantante que tu partageais avec d’autres inconnus, cette eau qui ne leur appartient pas et qui ne t’as pas désaltéré. Tu as pris mes fleurs et ma beauté, tu les a jeté au sol pour en faire un tapis sur lequel tu as dansé avec un autre, chorégraphe de tes illusions.

« Un soir, j’ai pris la beauté sur mes genoux – Et je l’ai trouvé amère, je l’ai injuriée. » (2)

Flor de baro, Iris extraterrestre – Florent Hugoniot

Soyons amis me disais-tu, c’est mieux, apprenons à nous connaitre, finalement nous savons si peu de nous deux, moi de toi, toi de moi…

No amigo, je ne souhaite pas être ton ami pour que tu viennes encore suçoter mon énergie vitale et me raconter tes nouvelles aventures amoureuses, infructueuses ou pas.

Tu es entré dans ma vie comme un frère, reparti comme un touriste. Je ne serai donc pas ton trophée, je t’ai échappé malgré toi et je glisse de tes mains encore malhabiles.

Quelle validation es-tu venu chercher ? Tu m’auras fait courir pour des actes manqués, des étreintes avortées, des absences. Tu m’as tellement menti mon amour, paroles de saltimbanque dont tu méconnais jusqu’à la valeur esthétique. Tu t’es évalué toi-même, tu m’as mis à l’épreuve, comme un bébé qui fait tomber son jouet à répétition, attendant que papa ou maman le ramasse patiemment. Nous avons mis fin à ce jeu épuisant, tu es tombé tout seul de mon estime.

Sais-tu seulement aimer ? Tu n’as pas su, moi non plus. Je n’ai pas pu être celui que tu désirais éperdument. La différence entre nous deux, c’est que tu as tout simulé depuis le début. Notre histoire s’est dissipée dans le vide de ton cœur qui ne supporte pas la vérité. Ton fragile édifice de reflets risquerait de s’écrouler.

Tu as voulu te faire peur, toi qui aime tellement frissonner dans d’autres bras, devant un film d’horreur. Regarde-toi alors dans un miroir, celui que je t’ai subtilisé et que je te tends. Ton désordre intérieur est laid, si effrayant, si destabilisant, glaçant !!

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JE SUIS TON MIROIR

ÊTRE, C’EST AVOIR CONFIANCE EN SOI, EN L’AUTRE

TON CŒUR EST MA DÉFENSE, MON ABÎME, MA RÉSURRECTION

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Moi aussi je suis tombé de haut et tu ne m’as pas aidé à me relever. Je recolle petit à petit les morceaux éparts de mon être. Demain, encore, je m’envolerai.

Tu ne me décortiqueras plus à vif, cruel enfant. Ton obscurité ne m’aveuglera plus. C’est fini, salut, je te laisse a ton romantisme de supermarché virtuel.

Les rêves sont les combustibles de notre réalité, ne te trompes pas de chemin.

Il y avait comme une grimace tout au bout du labyrinthe.

Passionnement, à la folie, pas du tout. Te quiero.

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Florent Hugoniot, Oaxaca août 2021

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NOTES

(1) : Hiroshima mon amour, Marguerite Duras

(2) : Prologue d’Une saison en enfer, Arthur Rimbaud

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