Dans les villes au Mexique, le soir et par beau temps, les payasos ou payasitos (les clowns) fleurissent sur les places centrales comme le zócalo, ou plus périphériques, comme les plazuelas. C’est une tradition bien spécifique à ce pays, qui attire les foules, familles, touristes, flâneurs à la recherche de quelque distraction gratis et en plein air. Seuls, en duo ou en groupe, les payasos improvisent, interpellent le public, très réactif certains soirs, le font participer á tout genre d’acrobatie, danse, lui lancent des défis. Les payasos se déguisent, jonglent, chantent en jouant d’un instrument… Ils cherchent bien sûr et avant tout à faire rire, ce qui est l’essence de leur art, et qui dépend du talent et de l’éloquence de chacun ! On peut également être distrait dans le bus par la visite éclair d’un payasito, venu gagner quelques pesetas dans le trafic en faisant un court sketch.
L’Auguste, avec son gros nez rouge, est au Mexique le modèle de référence, à la différence qu’ici les nez postiches sont généralements plus fins et pointus. Toujours très finement maquillés, les payasos apportent un soin particulier à leur costume, recherchent des accoutrements ou des accessoires originaux. L’utilisation de perruques vivement colorées est fréquent, par contre le chapeau melon est resté de l’autre côté de l’Atlantique… Car c’est en Europe qu’Auguste, personnage grotesque et fou, fit son apparition aux alentours de 1870. Le clown blanc, appelé ici Oliver ou encore Clown, plus ancien, est rare car plus spécifique au vieux continent et aux cultures du nord. Le Contraaugusto (contre-pitre), celui qui n’entend et ne comprend jamais rien, est plutôt le compére idéal, le double parfait pour les situations absurdes et comiques.
Héritage de l’Antiquité, les « monstres », personnages diformes, les nains irrespectueux et lubriques étaient très présents dans les cours des souverains durant le Moyen Âge et la Renaissance. L’Égypte de pharaons avait aussi sa cohorte de bouffons et d’amuseurs publics, ainsi que la Chine impériale. Le clown plus particulièrement nous vient directement des fêtes romaines et de la Commedia dell’arte, du moins l’Auguste comme nous nous le représentons. Le mot français clown dérive de l’anglais clod et du germanique klönne. L’Angleterre élizabethaine avait ses bouffons, ainsi que la Renaissance française sous Francois 1er, inspirée par l’Italie. On connait le goût de la cour des Habsbourg d’Espagne pour les nains, fous du roi et clowns, importée par les conquistadores au Mexique. Pourtant, lorsque Cortes rencontra Moctezuma, il remarqua dans sa suite également des nains et des bouffons. Comme quoi chaque roi a besoin de se divertir des affaires du palais et d’entendre parfois la vérité sur la situation sociale de la bouche de ses « fous », de ses clowns.
Diego Vélasquez, « Portrait de Sebastián de Morra », vers 1645
« La fonction principale des monstres à la cour était de magnifier la perfection du souverain et la grandeur des courtisans par un effet de contraste. La présence, à travers eux, de l’excès comme de la diminution, devait faire ressortir les justes proportions qui régnaient à la cour, comme dans un jeu de miroirs. » Mairesse, 2008
Un nain en particulier était célèbre auprés du roi Philipe IV, El bufón don Sebastián de Morra, peint par Diego Velázquez, en 1643. C’est le nanin le plus célèbre de Velasquez, il est barbu et porte un vêtement rouge (ci-dessus). Dans un tout autre registre, David Bowie a su jouer de l’image du clown céleste avec son célèbre personnage, son multiple double scénique Ziggy Stardust.
Dans le Mexique d’aujourd’hui, les clowns ont quitté depuis longtemps les palacios pour gagner leur vie, et c’est sur les places publiques qu’ils jouent et improvisent, parfois durant plusieurs heures en solo. Élément important de la culture populaire, les payasos donnent encore un peu plus de couleur et de gaité à ce pays. Ils abordent ouvent des sujets simples, quotidiens, font bombance de sous-entendus graveleux et sexuels, se travestissent et inversent les rôles. Des festivals et des rencontres sont régulièrement organisés, comme la Convención internacional de payaso, ou encore Feria de la risa, à Mexico City en octobre.
Voici une sélection de photos de payasos, prises à Puebla principalement, mais aussi à Zacatecas et à Oaxaca (la partie d’escrime). Un payaso travaille quotidiennement dans tout le Mexique, devant l’entrée des farmacias similares (un chaîne de pharmacies ; eh oui, ici pour attirer le chalant, elles utilisent clowns et musique disco !) : il s’agit du doctor Simi, qui se glisse parmis les photos. Il arrive que d’autres payasones, satyriques et grotesques, se produisent sur le ring de la lucha libre. Ça vaut aussi le coup d’oeil … et bons éclats de rire !!
Photo©Florent Hugoniot