La francophonie désigne l’ensemble des personnes et des institutions qui utilisent le français comme langue maternelle, langue d’usage, langue administrative, langue d’enseignement ou langue choisie. En tant que concept, mode d’échanges linguistiques, littéraires et artistiques principalement, media d’actions interculturelles favorisant le dialogue (celui des peuples et des individus avant celui des gouvernants), ce terme recouvre des réalités bien différentes.
C’est la raison pour laquelle je parlerai dans ce panorama de francophonies au pluriel.
Images et regards croisés
Les frontières sont arbitraires. Depuis que je (re)vis à l’étranger, exactement au Mexique, après avoir passé pas mal d’années en Afrique, je reste toujours agréablement surpris de constater à quel point la culture et la langue françaises attirent et font réagir. Positivement en général (la Tour Eiffel, la Révolution et le raffinement tricolore semblent éternels) mais parfois d’une manière antinomique et agressive (particulièrement dans certaines des ex-colonies françaises).
Toujours difficile de s’extirper de l’image de la France et de ses clichés, comme de sortir de ce besoin de classification internationale auquel la mondialisation nous a tous habitués, une exhortation permanente à la concurrence généralisée. Il faut reconnaître que, nombrilistes et cocardiers, le rang mondial qui nous est attribué à nous Français(e)s, quel que soit le critère (PIB biaisé, Paris capitale incontestée de la mode, liberté de la presse, avancées sociales, etc.) inquiète toujours beaucoup dans les limites de l’Hexagone – cette figure géométrique fermée qui reste parfois longtemps inscrite dans notre esprit et le circonscrit, malgré l’éloignement géographique.
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Je n’ai pas l’impression d’être un objet de musée, de curiosité malsaine ou un repoussoir pour les Mexicains et Mexicaines, bien au contraire. Cela dépend peut-être si on évolue dans le monde doré et éthéré des affaires et activités parfois prédatrices, du business international ou dans celui plus pittoresque de la réalité populaire et du partage. Nos différentes approches de la vie à l’étranger, de l’autre permettent aux habitants des pays visités d’avoir une image un peu différente, plus humaine, plus fraternelle de notre pays, que les stéréotypes véhiculés par la TV ou certaines méthodes d’enseignement du FLE (Français langue étrangère) dépassées . Il y a une autre France après les défilés sur les Champs Élysées et l’Arc de Triomphe et les événements politiques internationaux.
Pot pourri de culture française
Les manifestations officielles de la francophonie, guindées ou ouvertes aux curieux de toutes catégories sociales, l’effort de démocratisation de la culture française – qui reste souvent synonyme d’élitisme et de classes sociales aisées – devraient aller un peu plus loin que le buffet de l’Ambassadeur ou un concours de la francophonie organisé chaque 20 mars, accompagné de la traditionnelle dictée de Pivot. Rares sont les organisateurs, les acteurs culturels institutionnels (Alliances françaises, Instituts français, Centres Culturels rattachés à la diplomatie) qui font preuve d’un peu plus d’inventivité et d’audace dans les événements. Le catalogue des activités proposées aux AF est un vrai fourre-tout, avec des expositions, concerts, représentations théâtrales plutôt sélectionnés en fonction des connaissances et caprices des autorités, souvent coupées des réalités. Il suffit de voir le site pour s’en convaincre.
Voyager me conforte dans mon identité, dans mes valeurs et ma fierté d’être français. Il faut savoir admettre et respecter que ce que représente la France, dans l’imaginaire collectif international, avec sa culture, son histoire, mais aussi sa société en 2015, plurielle, imaginative, créative, dynamique (ses arts et divertissements comme la musique, le cinéma, mais aussi les sciences) n’est pas du tout celle trop souvent négative que nous renvoient les médias français. Certainement une tendance à l’auto-flagellation judéo-chrétienne encore tenace de la part de l’ex fifille ainée de l’Église…
Une langue bien pendue
Comme langue, le français compte toujours pour beaucoup dans les échanges internationaux de tout genre. Elle n’appartient pas en exclusivité à un bout d’Europe occidentale, en repli actuellement sur lui-même, comme tout ce continent riche, vieillissant et inégalitaire, qui devient davantage chaque jour une forteresse. De nombreux Mexicains me répondent qu’ils souhaitent apprendre le français parce que cette langue elle est belle à leurs oreilles, son pouvoir de séduction reste donc bien réel. Les artistes, ceux qui s’expriment, créent en français sont nos meilleurs ambassadeurs : les nouvelles stars de la chanson qui se répandent sur la Toile via Youtube, les comédien(ne)s qui traversent les frontières pour aller jouer auprès de tel réalisateur d’Hollywood ou de Ouagadougou ; mais aussi les peintres issus du Street Art et de la scène urbaine parisienne, marseillaise, sétoise, toulousaine, tels Speedy Graphito ou Di Rosa, qui s’exposent dans les grandes foires d’art contemporain ; sans laisser de côté la scène hip hop bouillonnante, les danseurs, les rappeurs , la fusion afro-antillaise, la french touch électronique (Air, Daft Punk).
En grande partie aussi grâce aux écrivains francophones : ceux des Antilles, du Canada, ou pas si loin Suisse, Belgique, et surtout d’Afrique, qui compte aujourd’hui 50% des francophones, et en représentera 80% (selon les projections) dans 20-30 ans. Bref, cette longue liste cocorico, arc-en-ciel et nouvelle vague, pour sortir un peu des incontournables Impressionnistes et Edith Piaf, dont le talent transcende les époques mais fige les conversations, surtout avec les jeunes générations, bébés du numérique.
Une culture et une expression vivaces
La langue française continue à s’apprendre dans le monde entier, plus en Afrique et Amériques, moins en Asie. Elle sert de base à des débats passionnés grâce aux philosophes français du XXe siècle, penseurs du XXIe siècle, vibre et se renouvelle parce que certains articles scientifiques ne peuvent se lire encore que dans la langue de Molière et que nos universités attirent toujours des étudiants des 4 coins du monde. Et que le brassage des cultures au sein même de notre pays enrichit, nous enrichit, ne l’oublions pas…
La journée mondiale de la francophonie célébrée chaque année le 20 mars, avec force annonces consulaires et trompettes officielles, limite chauvines, est l’occasion de rappeler certaines vérités :
- le français est la seconde langue enseignée dans le monde, après l’anglais et devant l’espagnol. Actuellement, 85 millions d’élèves et étudiants s’instruisent en français dans le monde
- il est aujourd’hui parlé sur tous les continents par environ 274 millions de francophones, 212 millions l’utilisant quotidiennement, dont 77 millions de locuteurs natifs.
Les États qui composent la zone francophone sont au nombre de 57. La population francophone se répartit ainsi : 78 millions en Europe, 18 millions dans les Amériques et Caraïbes, 12 millions en Afrique du Nord et Moyen-Orient, 37 millions en Afrique subsaharienne et Océan Indien, 1,1 million en Asie et Océanie.
Quels visages de la francophonie ?
Il faut savoir puiser dans ce vivier de talents cités en début de texte. Les étudiants en FLE, les populations francophones sont tous hyper-connectés. Le Global Village a ceci de pratique que de son salon, de son Smartphone, on peut partir facilement à la découverte de cultures étrangères, à la pêche aux infos professionnelles, amicales, au détriment parfois des relations de proximité. Si TV5 Monde, RFI, les réseaux sociaux, les forums internet restent virtuels, des sites d’hébergements et d’accueil comme CoachSurfing permettent de voyager économiquement dans le monde entier, par échange de bons procédés et courtoisie, de faire des rencontres enrichissantes et de se faire parfois des amitiés.
Les sites d’information en ligne à destination d’une population francophone dans des pays de langue étrangère, les informations croisées et transnationales fleurissent grâce à la facilité et au faible coût des échanges sur la Toile. Les titres sont multiples et très nombreux, il suffit d’aller sur le site de l’ONU construit à cet effet. Pour en rester à la zone Amérique du Nord, citons Francopresse, AFP (Association de la Presse Francophone pour le Canada), Le Grand Journal (« le portail d’informations préféré des francophones vivant au Mexique ») ou encore Le Courrier d’Espagne, el primer periódico español en francés, business & lifstyle.
Rares sont les décideurs culturels, directeurs d’AF, consulats, événements officiels, qui osent épicer, voire centrer leur programation avec des artistes issus de la scène hip hop par exemple, des concours de slam, qui invitent ces nouveaux langages, qui s’intéressent aux regards alternatifs, en dehors d’une forme de conformisme de bon aloi. Heureusement les artistes sont plus aventuriers, et sur la base du bénévolat, de projets coopératifs, partenariats, plasticiens, vidéastes, musiciens, architectes s’engagent dans des projets lointains, riches d’enseignements pour les populations locales et pour eux-mêmes.
JR ou la bien-pensance mondialisée
L’exemple de JR (et son impitoyable monde fraternel) est assez troublant et traduit une forme de banalisation et de récupération médiatique, selon une logique de mise en tension communicationnelle creuse et au final d’institutionalisation, d’un message plutôt militant au départ (les droits et l’égalité des femmes en Afrique noire). Ses propositions artistiques sont devenues extrêmement consensuelles au fil des grandes expositions (Centre Pompidou, etc.), jouant d’une manière ambiguë avec la participation exponentielle du public, gratuite en tous les sens du terme : elle s’appuie sur la mode des selfies mais surtout ne dénonce ni ne dit plus rien de vraiment pertinent, propose un Better World tout en caressant son public/collaborateurs/modèles/communicants (devenu partie du processus de production, pions émerveillés de la stratégie de l’artiste international, modèles bénévoles et muets de son expression globalisée) dans le sens du poil.
Just received another cool @insideoutproject from an Action in Iloilo City, Philippines… here is their statement : « The purpose of our project is to be an example of change in our community. A positive change. By revisioning the expression of identity through this project, we believe that helping change one’s perception on how he/she looks on others could mold and transform him/her into a better individual. » #insideoutproject
Communication sur la page Facebook de JR
Ne manque à sa collection de trophées et de lieux qu’une série de banderoles géantes, déployées tout autour de la Tour Eiffel. Evidemment une artiste comme Annette Messager, qui a travaillé avec des détails d’anonymes, amas de photographies de parties de corps inconnus, trop dérangeante, a beaucoup moins de chance de devenir une marque/produit marketing de la bonne conscience transfrontalière. Le phénomène JR est devenu un cliché de la minute de célébrité warholienne, à mettre dans le panier des figures du Top 10 français, avec le Commandant Coustaud, Marion Cotillard et Johnny Halliday…
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Francophonies compassées et francoFolies
D’une part, côté salon et canapés, les réceptions chez Madame la détachée à la Culture, les événements amidonnés et empesés, figés dans les représentations d’un pouvoir socio-économique d’autres siècles, n’ont jamais eu beaucoup d’intérêt. Ils font encore moins recette, sauf si le buffet est bien garni, ni ne reçoivent beaucoup de succès auprès des jeunes apprenants en FLE, étudiants, élites artistiques, beaucoup plus à l’aise avec les codes actuels de la sociabilisation internationale. Chaque année, son lot d’événements et de commémorations officiels, comme la Fête de la Musique, viennent rythmer les structures oeuvrant pour la francophonie.
Certaines sont populaires et savent transcender les divisions de classe socio-culturelles pour trouver un vaste public, d’autres sont plus sélectives (souvent du fait du coût de la participation) comme la Semaine du goût, qui se traduit hors métropole par des menus gastronomiques de style français, hors de prix et ciselés à destination d’un public connaissant déjà champagne, foie gras et petits fours. Un effort plus conséquent devrait être fait en direction des populations plus modestes, pour qui justement, tout ce qui sonne « français » est inaccessible ou fantasmé.
D’autre part, côté jardin, nous avons en France, au Canada, en Afrique, aux Caraïbes, des initiatives passionnantes et inventives. Du festival Africolor en Seine-Saint-Denis en banlieue parisienne – dont voici la playlist 2014 – aux initiatives privées, fêtes thématiques et marchés associatifs de villages, en passant par les expositions, les concerts de jazz, rock, les échanges sportifs, humanitaires, culinaires… le panel de choix pour les actions favorisant la francophonie et le dialogue des peuples dans le cadre de cette fameuse interculturalité, est vaste et fourni.
L’île et l’archipel
La grande peur millénaire de l’engloutissement du français dans une bouillie anglaise innommable, version ultralight et appauvrie de la langue de Shakespeare, ou du péril jaune, rouge, latino, arabe est sans fondement objectif. Donc ne nous dévalorisons pas trop, ne succombons pas à une vision étriquée de notre propre pays, de notre culture universaliste et universelle, ni de la belle langue de Proust et d’Artaud. Et surtout ne laissons pas les politocards continuer leur travail de sape dans tous les domaines, dont celui de l’estime de soi chez chacun des Français et Françaises, perdus dans le projet européen, et voyant le monde soit comme un refuge de terroristes soit comme un marché géant pour nos multinationales. Altruisme, civilité et écoute sont aussi des termes qui disparaissent progressivement du lexique commun. Beaucoup d’étrangers s’en rendent compte. Il faudrait que certain(e)s Français(es) connaissent un peu mieux l’histoire de leur propre pays et du monde en général, avant de donner leur point de vue sur tout et n’importe quoi depuis leur centre du monde, ce qui nous vaut le rôle ingrat de prétentieux arrogants ou d’ex-colonialistes amers. Il y a aussi ceux qui aiment tenir le rôle de l’alternatif rebelle, mondialiste révolutionnaire– étonnant comment les parcours, la radicalisation de certains jeunes européens frustrés et sans horizons, partis par exemple faire le djihad en Syrie et de certains altermondialistes se ressemblent, selon Olivier Roy. Pur individualisme stérile, voire irresponsable.
French Fries et Saucisse Bashing
La Fraaaaaance, c’est certain, est un concept risible et ridicule, sur lequel des Anglo-saxons ignares, parfois des personnalités germaniques arrogantes s’appuient pour faire du french bashing permanent, devenant eux-mêmes de pauvres clichééés. Une autre guerre des civilisations dans laquelle nous ne devons pas oublier nos atouts et tout ce que nous avons encore à offrir, à partager avec les autres êtres humains.
Liberté–Égalité–Fraternité, ou encore laïcité, émancipation, féminité, élégance, intelligence… Si nous n’y croyons plus nous-même aujourd’hui, d’autres continuent à y croire pour nous, pour eux surtout, et à se battre pour ne pas verser dans l’obscurantisme et vivre dans un pessimisme borné, romantique et auto-destructeur. La saveur du français est recherchée en tant que langue et véhicule d’une culture universelle, diverse, métissée. Le monde est riche de surprises, d’autres êtres humains issus de cultures parallèles, de groupes linguistiques complètement différents croient encore à notre générosité et au pouvoir de nous renouveler.
Ne les décevons pas !
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Florent Hugoniot
Belle étude de la situation, et j’aime bien ta conclusion. Et il faut défendre les Français qui l’utilisent de plus en plus mal ! Ce n’est pas ton cas.
pardon j’ai écrit trop vite : il faut lire il faut le défendre des Français qui l’utilisent de plus en plus mal
À lire certaine commentaires sur Facebook même, je trouve que les internautes francophones se débrouillent pas si mal vu la complexité de la langue ! Et les habitudes du net, du retour en force de l’écriture vie les smartphones et forums, démentent les pronostiques comme quoi nous serions entrés depuis les années 80, dans une ère dans laquelle priment avant tout images, identités visuelles et Logos.
Bel article Florent, bravo. Oui non, ne les décevons pas, qu’on soit français ou non d’ailleurs, l’être humain peut être généreux et accueillant. C’est comme ça que cela devrait être (formule inspirée de Jean-Luc Lagarce). Comportement que j’ai plus souvent observé en Amérique du sud qu’en France. C’est flagrant. « La France a peur », Roger était un visionnaire.
Gracias Lile ! L’accueil du public de Zacatecas était chaleureux effectivement, ce sont des projets comme le vôtre qui devraient être portés par les AF et leur réseau culturel, bonne route à la Compagnie La passante 😉
https://lapartmanquante.wordpress.com/2014/12/01/ces-dames-de-zacatecas/