Après avoir publié un premier article sur les panneaux peints de Manuel Guillermo de Lourdes, au Palacio de Gobierno del Estado de Durango, ex Palacio de Zembrano, je vais dans ce second volet présenter et analyser l’oeuvre monumentale que Francisco Montoya de la Cruz y a peinte entre 1950 et 1952, ainsi que le projet post-révolutionnaire des Casas del Campesino.
Casas del Campesino, Montoya de la Cruz et la LEAR
Les Casas del Campesino étaient destinées à héberger ou à réunir les paysans, qui depuis leurs lointains terrains, venaient dans le villes assister aux événements relatifs aux activités agricoles ou politiques. Ou alors pour ceux appauvris qui devaient émigrer pour obtenir du travail. Elles servaient aussi pour que leurs enfants aient un hébergement s’ils partaient étudier en ville. Ces Maisons du Paysan disposaient de chambres meublées, d’une cuisine, salle à manger, bibliothèque, un auditoire et, parfois, d’une piscine.
L’essort du muralisme est lié à ces centres sociaux destinés aux pauvres peones (paysans) qui luttaient pour leur terre et qui la travaillaient, en parallèle des centres administratifs tels les mairies, etc. Les murales des Casas de Campesino avaient un but décoratif mais également éducatif, en direction des populations en majorité analphabète. C’est un art militant, destiné au public et réalisé par des membres du LEAR, qui s’inspire directement des fresques des églises, à l’origine destinées aux fidèles européens également analphabètes, ou ne comprenant rien au Latin de l’Église catholique.
Les Casas del Campesino (Maisons du Paysan) installées dans les capitales des États, furent un projet rural du cardenismo, du nom du Président du Mexique pendant l’entre-deux guerres Lázaro Cárdenas.
Celui-ci fut célèbre pour avoir redistribué les terres aux paysans, nationalisé les entreprises pétrolières créant ainsi Pemex (Petróleos Mexicanos) et réformé profondément le système éducatif. Cette politique socialiste inspirée du communisme, est actuellement remise en cause par les gouvernements mexicains qui se succédent au pouvoir depuis Vincente Fox et l’entrée officielle du Mexique dans l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain, Canada + USA + Mexique) le 1er janvier 1994. Dernière contre réforme néolibérale en date, pour le plus grand joie des appétits canadiens et étasuniens et autres multinationales des énergies fossiles, la privatisation de Pemex en cours.
Les fresques que Francisco Montoya de la Cruz a peintes dans la Casa del Campesino puis au Palacio del Gobierno de Durango entre 1950 et 1952 s’inscrivent parfaitement dans les concepts que soutenait la Liga de Escritores y Artistas Revolucionarios (Ligue d’Écrivains et Artistes Révolutionnaires ou LEAR), sur le sens social de la peinture et l’implication politique de la production artistique. Un réel engagement artistique et politique.
Francisco Montoya de la Cruz était devenu en 1936 le préposé de la Section d’Arts Plastiques du LEAR à Durango, avec Alejandro Martínez Camberos, qui représentait la Section d’Écrivains. Cet organisme, lié au Parti communiste, avait cette année inclus des membres non communistes parmi sa structure.
Francisco Montoya de la Cruz (1907-1994)
Francisco Montoya de la Cruz est né dans la ville de Durango en 1907. Principale figure du mouvement du muralisme mexicain, il fut un muraliste, sculpteur, peintre et graveur mexicain. Il fut également co-fondateur de l’École de Peinture la Sculpture et les Artisanats de l’UJED (Université Juárez de l’État de Durango), la première école d’art du nord du pays.
Fils de Virginia de la Cruz et du sculpteur Benigno Montoya Muñoz, il part à 18 ans, aux États-Unis, où il étudie dans The Art Institute of Chicago puis dans l’Académie de Charles Sain. De retour au Mexique, il s’installe à Mexico City pour s’inscrire en 1929 à l’Academia de San Carlos, où il s’initie à la carrière de “muraliste”. Il rencontre Diego Rivera, qui était directeur de l’Académie de l’Art de l’UNAM et découvre son oeuvre. Diego Rivera aurait dit que dans tout le Mexique il n’y avait que deux muralistes, Montoya et lui-même.
Rivera recommande donc Montoya pour la décoration de l’escalier du Palais du Gouvernement de la ville de Colima, finalement réalisée par un autre peintre. Le jeune artiste eu cependant l’opportunité d’intervenir sur les fresques de David Alfaro Siqueiros.
De retour à Durango, sa ville natale, Montoya réalise de très nombreuses fresques toujours existentes. Entre autres celles à l’intérieur du Palais du Gouvernement de l’État et celles de l’ancien Congrès de l’État, situé rue du 5 février et Saragosse, du palais Municipal, Av. du 20 novembre et la rue Victoria, de la Casa del Campesino, de l’ancienne Maison de la Musique, rue Negrete, la fresque de la Posada Durán et un petit mural futuriste rue Juárez, dans le centre-ville historique.
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En 1955 Montoya fonde l’EPEA, l’École de Peinture, de Sculpture et les Artisanats de l’U.J.E.D. où il a activement travaillé pour la fonte de sculptures en bronze de différents héros nationaux, tels que Guadalupe Victoria, Benito Juárez, Francisco Villa, Les frères Arrieta (Jose, Mariano, Eduardo y Domingo), non seulement dans la ville de Durango, mais aussi dans d’autres lieux en tant que délégué artistique de l’école.
Montoya de la Cruz a reçu au court de sa vie de nombreux prix honorifiques : le « Racimo de oro » de la compagnie viticole du Vergel en 1969 ; la médaille Benito Juárez, octroyée par l’UJED en 1971 ; la médaille Guadalupe Victoria à la vertu et au mérite, délivrée par la Législature du Congrès de l’État de Durango, en 1974 ; la médaille du mérite de l’Institut d’Art du Mexique en 1976, et la décoration nationale à la Vertu et au Mérite, octroyée par le Congrès local en 1974 et une reconnaissance importante à Los Angeles, California, USA, en 1979. Il est mort dans la ville de Durango à l’âge de 87 ans.
Les murales du Palacio del Gobierno de Durango
Les fresques des corridors du Palacio de Gobierno, sont sont d’authentiques œuvres al fresco (pigments sur enduit frais à base de chaux et de sable) réalisées par Francisco Montoya de la Cruz, entre 1950 et 1952. Dans la partie orientale, se trouvent les deux compositions “La educación pública en Durango” (l’éducation publique à Durango) et “La agricultura y la minería en Durango” (l’agriculture et les mines à Durango) tandis que dans le corridor Sud on peut voir “La industrialización y el progreso de Durango” (L’industrialisation et le progrès à Durango).
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Un écriteau au dessus de l’arc du milieu dit note : “Esta casa es de los que trabajan la tierra con sus manos” (Cette maison est de ceux qui travaillent la terre avec leurs mains). Il y a une annotation similaire dans l’escalier du Rectorat dans Chapingo : “Aquí se enseña a explotar la tierra, no a los hombres” (Ici on apprend à exploiter la terre, non les hommes »). Ces coïncidences ne sont pas étrangères à l’influence que Rivera a exercée chez quelques générations de peintres, surtout parce qu’en 1929 Montoya a étudié dans l’Académie de Charles Sain, appelée ensuite École Centrale d’Arts Plastiques, quand le directeur était Diego Rivera.
En général les fresques ont deux sujets. L’un est sur les réussites de la Révolution dans Durango et ses richesses, des agrariens, des textiles, des minerais, un sujet propice pour un endroit comme cela. Tout de suite un sujet pour réveiller une conscience, l’homme – femme, qui sans être narratif, symbolise ses luttes éternelles et fait référence au fascisme. Montoya ne pouvait pas cesser d’aborder cette problématique, comme les membres du LEAR ne le faisaient pas non plus.
Le cubisme géométrique
Le peintre combine ludiquement de grandes figures avec de plus petites, et inclus également des miniatures. Le dessin y est prépondérant et comporte des références purement mexicaines comme l’épi de maïs gigantesque, tel issu d’un pays de Canaan, qui se dresse face au paysan et son fils. l’importance de ces images consiste en ce qu’elles sont structurées comme si chacune d’elles était une sculpture, les visages, le cou, les bras, les mains : ce sont des plans sculpturaux, très maîtrisés.
Ce cubisme géométrique est une influence évidente de l’oeuvre de Rivera. Mais aussi il rappelle d’une certaine manière les têtes colossales pré-hispaniques, par sa magnificence et par la même construction géométrique. Remarquer la représentation diaphane de âme des anciens (Indiens d’Amérique centrale, présents avant l’arrivée des Espagnols et de la modernisation des appareils de production, de leur diversification) insérée comme une gangue dans la montagne, découverte, dévoilée, dérangée par l’activité minière. Et ce regard fixe, lointain, halluciné, de cet enfant déjà convaincu peut-être des thèses du socialisme, entrevoyant son rôle dans cette société sure d’elle, de l’utilité de sa révolution, de la permanence, pendant qu’une femme sert du lait aux autres enfants du même groupe. Attention ! Que pas un ne bouge le petit doigt, ça n’a pas l’air d’être la franche rigolade dans cette société idéale…
La touche de Montoya, à la manière impressionniste et pointilliste, est toute en fluidités, en courants d’airs frais et subtils. Elle donne un modelé singulier et un saisissant volume aux figures et allégories de ses audacieuses compositions. Toutes les fresques présentées ici se trouvent le long de la galerie du patio au premier étage. On en voit l’échelle grâce à la photo un peu floue ci-contre de cette mère de famille, une paysanne pareille à une Vierge soviétique sur l’uniforme duquel resplendit le bleu de la toile d’un pantalon, flottant au dessus du sol avec ses enfants, et d’une passante plus bas.
Une propagande politique et sociale élaborée
Les fresques de Montoya sont un hommage, une campagne nationale picturale et enthousiaste du productivisme et de la planification économique socialiste. Dans un premier temps ces fresques n’ont pas arrêté mon regard malgré leur présence et leurs dimensions. Mais en m’intéressant aux personnages surprenants, tous semblant figés dans une scène qui les immortalisera – les rendant semblables aux anciens dieux aztèques, nouveaux dieux de la prospérité, de la technique et de la guerre – il m’est apparu plus facile d’entrer dans l’oeuvre : enfants hypnotisés à l’école, étudiants à l’air revêche sortant de cours, le petit peuple, paysans, mineurs, ouvriers en représentation dans leurs environnements propres, encadrés par des hommes de science, des ingénieurs, des hommes qui savent et bravent l’horizon d’un air serein.
En général les fresques ont deux sujets : les réussites de la Révolution dans l’État de Durango et ses richesses, des produits agricoles, des textiles, des minerais. On y voit les hommes et les femmes dans leurs rôles traditionnels et dans leurs sphères public/privé en miroir, qui ne doutent pas, comme ci-contre, pour leurs engagements, leurs efforts, le futur de leurs enfants.
De part et d’autre de l’escalier central se répondent deux mains gigantesques, quasi divine, qui tendent des symboles, surmontées par des grands portraits : à gauche, le passé idéalisé à la manière néo-classique, les héros de la Révolution, l’aigle et le serpent mexicain ; à droite, le présent, les projets, les fruits de l’industrialisation.
C’est que la Révolution, le bonheur du peuple, occupé à l’enrichissement du pays plutôt qu’à la vaine critique, c’est du sérieux ! Bien sûr, il faut replacer ces œuvres dans le contexte : la guerre froide, le positivisme au sortir du deuxième conflit mondial et la reprise de la consommation et des échanges. l’ironie est aujourd’hui facile au sujet d’un artiste depuis officialisé, et cette pédagogie populaire représentait un investissent artistique et personnel important. Mais je ne peux m’empêcher de voir dans les magnifiques compositions de Montoya, de la propagande et de l’embrigadement pour le socialisme (dont le nom a aussi été mis à toutes les sauces au Mexique) au service duquel il a certes mis tout son talent.
Voici une sélection des murales de Francisco Montoya de la Cruz dans l’ex-Palacio Zembrano, actuel Palacio de Gobierno de Durango :
Florent Hugoniot ©Photo et texte
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SOURCES : LES MURALES DE J. FRANCISCO MONTOYA DE LA CRUZ À LA CASA DEL CAMPESINO DE DURANGO / Un exemple de muralisme régional par Guillermina Guadarrama Peña, chercheur du Cenidiap.
Très intéressant, merci, les muralistes au Mexique ont vraiment ouvert des livres pour tous