J’en voulais plein les mirettes, je n’ai pas été déçu ! Entre les différents lieux d’exposition des Rencontres et la ville elle-même qui est devenue une immense galerie sauvage : des papiers de différents formats ou style, collés partout à tous les coins de rue. Des photographies bien sûr, beaucoup, enfin des photocopies de photos, en noir et blanc, en couleurs, des affiches, des assemblages, des dialogues improbables entre des images. Une envolée de messages visuels.
On ne peut donc pas quitter des yeux, que l’on soit dedans ou dehors, les murs de cette belle cité chargée d’histoire. Ils parlent sans cesse d’autres existences, d’autres expériences. Des milliers de fenêtres imaginaires ouvertes dans ces beaux murs patinés, nettoyés, frôlés mille fois, chargés de récits et de corps. De paroles aussi, le murmure de la rue certainement, les histoires locales, mais aussi des citations littéraires qui peut-être se sont échappé de la librairie Actes Sud, sur les quais du Rhône.
Le crû des expos 2018 est excellent. Une centaine disséminée dans la ville, entre les lieux officiels des Rencontres d’Arles et les galeries privées. Deux thèmes principaux pour la sélection officielle, les Américains et mai 68. Mais plus généralement des voyages dans le temps, des confrontations d’époques et des clichés impressionnants, des images qui deviennent autre chose que de la représentation, mais de l’anticipation avec le numérique, et une nouvelle réflexion sur le regard : Est-ce que nous voyons ce qui existe ou ce que nous rêvons, projetons, inventons ?
Escapades dans des univers très divers : la répression policière en Turquie (la Maison des peintres), Les nouveaux Jésus dans les 4 coins du monde (Jonas Benkinsen dans l’église Sainte Anne), l’occupation de la Palestine par Tsahal (Taysir Batniji à la chapelle Saint Martin du Méjean), la spiritualité vaudou et son illustration (Jane Evelyn Atwood & Joan Colom à la Croisière)… Le tout très bien accroché et documenté avec des textes profonds, subtils pour tisser des fils, mettre en jeu ses certudes, croyances, se remettre en mouvement dans l’instabilité du moment. Et revoir sous d’autres angles notre univers visuel, pousser toujours davantage les limites de la photographie, qui nous apparait dans une multitude de propositions, de positions, des combinaisons infinies de sens, de souvenirs, de références.
Mises en abîmes qu’illustrent si bien le labyrinthe de collage dans la ville !
« On s’éduque l’œil par curiosité, par entrainement. Mais j’ai toujours pensé qu’il y avait certains individus qui voyaient et d’autres qui ne voyaient pas. Ça ne s’enseigne pas. C’est une grâce qui arrive en naissant. On n’apprend pas ce que l’on sait. »
Robert Delpire
Robert Frank et Raymond Depardon nous embarquent pour un voyage aux USA, à différentes époques du XXe siècle : dérangeant, renversant. Voyage dans le temps également et toujours aux States, le convoi funéraire de JFK entre New York et Washington aux Forges. Dans le même lieu l’hommage émouvant de la photographe britannique Ann Ray à Alexander McQueen avec Les inachevés révèle l’envers de la féerie de la mode, des rêves brisés et des ailes qui se déploient. William Wegman, le photographe des Braques de Weimar, cette race de chien de chasse au poil court argenté, une exposition grand public et toute en finesse, grâce à l’humour et au travail de l’artiste ; des artistes aurait-on envie de dire car Man Ray et Fer Ray, ses deux fidèles modèles, sont des acteurs très expressifs !
J’ai bien aimé aussi cette rencontre avec un photographe qui a fait un voyage de 24 jours en Chine, avec comme objectif de faire un seul cliché quotidien avec un appareil analogique. Ce voyageur-écrivain et photographe, sur les pas de Nicolas Bouvier, en a fait un récit initiatique visuel, qui est publié accompagné d’un texte de l’auteur. Lorsque celui-ci m’a offert un verre d’eau fraiche et engagé la conversation, le partage de l’expérience photographique et humaine s’est réellement produit. Un moment magique, comme celui dans la cours de l’espace Van Gogh, avec le retour des ateliers centrés sur le son et les polyphonies, notamment celui de Martina Acatella. De très belles voix qui vinrent se mêler aux images partout présente dans Arles, et rappeler que la vie, c’est aussi du cinéma, du théâtre…
Je suis resté impressionné par l’échelle qu’a prise le festival cette année. Avec le rachat du site de la Forge par un magnat suisse, le panorama arlésien se voit paré d’une nouvelle construction surprenante, une immense tour grise dessinée par Frank Gehri, que je trouve assez angoissante et vilaine comme une montagne en béton dans un zoo. Depuis la privatisation du site, une partie nécessite l’achat d’un supplément pour voir une exposition autour d’œuvres de Gilbert & Georges, Pipilotti Rist et d’autres que je n’ai pas vues.
Arles, c’est aussi le plaisir de glisser dans ses rues, comme une image, un reflet sur les vitrines, jusque dans le miroir des toilettes high tech des Forges dans lequel votre serviteur s’est immortalisé. Mais une image numérique est si vite passée…
J’ai photographié deux textes que j’ai trouvés pertinents, sensibles, et que j’ai consciencieusement retapé sur mon clavier. Je les reproduis ici pour conclure cet article sur les Rencontres d’Arles 2018 et donner à penser, immaginer, en même temps qu’à voir.
Pour plus de précision sur la programmation complète, voici le lien sur le site officiel. C’est jusqu’au 23 septembre, à ne pas rater si vous êtes dans le coin et même plus loin :
https://www.rencontres-arles.com/
Florent Hugoniot
AUTRES TEXTES
« La bonne photo est celle qui est construite, pour mettre en valeur l’essentiel, pas tellement pour montrer mais pour dire ce qu’on veut dire sur la photographie. Quand il n’y a rien d’annexe, rien d’accessoire, et que tout est concentré sur le signifiant.
(…)
Faire une bonne photographie requiert sensibilité, patience, réactivité, sens graphique : sans parler de la compétence technique. Le talent est « la cerise sur le gâteau ». L’éditeur que je suis est à la recherche des cerises.
(…)
Ne me demandez pas de faire la liste de mes photographies préférées, il y en a trop. Il y a des photographes qui sont des grands témoins, qui voient des choses et saisissent les événements. Et ceux qui, dans leurs photos, disent ce qu’ils pensent, ceux-là sont des artistes… Donner à voir est une chose, donner à penser sur ce qu’on a vu en est une autre. Il n’y a pas de fond sans forme. C’est la distance qui sépare un document d’une véritable photographie. Il n’y a rien à concilier. Un photographe doit savoir s’il veut montrer ou s’exprimer sur ce qu’il montre.
Réunir des photographies, c’est donc provoquer une confrontation entre des univers figuratifs déjà constitués dans leur autonomie thématique et graphique. C’est pour cela que le thème d’un recueil, s’il préside à la sélection des images, ne peut en assurer à lui seul l’organisation. Pour que le dialogue s’engage, il faut que chacune d’elles trouve en l’autre de quoi s’accorder avec elle. Le lieu, musical, d’une résonance.
Je ne me lasse pas de choisir des photos, de les associer, de les publier, de les accrocher. Mais je n’ai pas tellement envie d’en parler, d’expliquer, de commenter.
Ce que nous demandons aujourd’hui, c’est le droit de regard. Mais pour l’exercer, chacun de nous doit réapprendre à voir.
Mais qu’est-ce que lire une image ? L’image est un feuilleté de sens groupés autour de son infracassable noyau de réalité ; l’écriture y trouve des ressources infinies. Toute juxtaposition d’images même involontaire fait sens ; de leur montage en séquences calculées naissent des rapports insoupçonnés, des fragments de récits, des richesses, des rêves…
Ce qui me plait dans la photographie, c’est le silence. »
Citations extraites de Robert Delpire, C’est de voir qu’il s’agit, écrits et propos réunis par Michel Christolhomme. Edition Delpire, 2017.
Reproduites avec l’aimable autorisation des éditions Delpire, dans l’exposition à Actes Sud, Caves du Méjan, consacrée à la mythique collection Photo Poche.
« Le patrimoine commence et demeure là où nous naissons, marchons et vivons. A Arles, les yeux possèdent tout.
On reconnaîtrait entre cent mille les pores drus de la pierre douce, le profil des rues, la physionomie des façades, le regard des fenêtres. « J’entends » Arles (les trains portés par le mistral, les claquements du vent, mots de là et pas d’ailleurs, bruits et rumeurs des Lices, clameur et fureur des arènes, glas des heures). Arles se « touche » (parapets rugueux, marbres lisses, ferronneries rafraîchissantes), se « respire » (l’air de la mer et de la Camargue au-dessus du Rhône, les figuiers de la canicule, l’humidité des palais obscurs) et se « goute » (mais là, on n’en finirait pas, de l’ail à l’anis).
Le patrimoine, c’est tout cela et aussi le caractère si particulier que ces pierres perpétuent chez ceux qui les habitent (rétifs, excessifs, exigeants, indolents, pudiques, excentriques), leur travail, l’Histoire et les histoires de toutes ces familles, sagas locales ou cultures d’adoption…
Arles est populaire et impériale, rustique et aristocratique, chrétienne et païenne, modeste et orgueilleuse, classique et traditionnelle, brusque et baroque, austère, échevelée.
Apollon et Dionysos. En noir et blanc et en couleurs… »
Christian Lacroix
ton article est une somme, un festival à lui tout seul
Tous les accrochages sauvages me sont insupportables et c’est quelques fois le cas à Arles cette belle ville qui ne merite pas forcement ça
L’exemple d’Avignon devenant un dépositoire devrait servir d’exemple.
Oui l’art, la culture doit s’exposer se sortir des ghettos mais pas n’importe comment au risque de se devaluer.