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Deuxième tour de piste à Oaxaca, avec une version de ce meme qu’est devenu le célèbre tableau d’Eugène Delacroix, « La liberté guidant le peuple » datant de 1830 et inspiré par les Trois Glorieuses (ou révolution française de juillet, deuxième du nom après celle de 1789). Les détournements de cette œuvre fleurissent sur la Toile depuis deux mois que le mouvement des Gilets jaunes a débuté en France. Également sur les murs de la ville de Oaxaca, en ce début d’année 2019 ! Car les Gilets jaunes ont fait des émules dans de nombreux pays du monde.
De passage dans la capitale de Oaxaca, cet l’État de l’extrême sud-ouest du Mexique, je cherchais une magnifique gravure en noir et blanc vue une semaine plus tôt, représentant un garçon poing levé de profil, collé sur une façade peinte en un de ces ocres intenses dont les Mexicains ont le secret. Mais je ne le trouvais point, tant les œuvres murales vont et viennent dans cette ville très animée et populaire, mais aussi soucieuse de son patrimoine historique. Les affichages sauvages sont souvent déchirés du bout du doigt ou décollés entièrement s’ils sont effectués sur des bâtiments emblématiques.
En faisant une rapide boucle matinale, avec mon téléphone portable en guise d’appareil photo, j’ai pu cependant récolter une douzaine de clichés intéressants, des œuvres parfois dégradées dont cette surprenante Liberté. Dans le même courant contestataire des Gilets jaunes, les artistes et militants de Oaxaca amènent au centre du débat public des sujets peu glorieux de la République mexicaine. Ainsi cette gravure ci-dessus dénonçant les disparitions et enlèvements d’enfants, « Nous n’oublions pas, nous ne pardonons pas ! » , ou d’autres œuvres sur le thème du féminicide ou de l’exploitation minière, qui détruit paysages et écosystèmes et déplace ou abîme les populations villageoises. C’est certain, ça fait un peu tâche dans le centre-ville touristique si soigné et entretenu !
Voilà exactement l’illustration d’une irruption de la réalité dans un univers protégé, une bulle de confort. Voici la mise en valeur de ce qu’on appelle un déni de réalité, celle de la pensée conformiste et moutonnière qui pose des oeillères afin de ne pas laisser voir ce qui peut heurter le bon quidam. Le citoyen, ou tout simplement l’ètre humain, r{eduit á son essence de consommateur, s’empêche de voir son environnement d’un manière trop large, afin de ne pas troubler son petit confort moral, ses certitudes, et souvent afin de ne pas voir ses responsabilités, son rôle dans un système qui déshumanise.
Combien restent soumis à des règles iniques, là au Mexique, qui détruisent des communautés indiennes, des cultures et savoirs ancestraux, des liens sociaux et environnementaux inestimables ? Ainsi Coca Cola qui y est comme Dieu ou Diable en son paradis artificiel, une entreprise criminelle pour ses effets délétères à grande quantité sur la santé, pour sa privatisation des nappes d’eau phréatiques et leur épuisement, pour ses déchets plastiques et aluminium non contrôlés qui envahissent la planète. Pour autant, malgré un éventail de boissons qui favorisent les maladies telles qu’obésité et diabète, son succès ne se dément pas en 2019 tellement la publicité a forgé les esprits depuis des générations. Dans un autre registre, la corruption, le détournement des biens publics, toujours en filigrane dans la société mexicaine.
Ici en France, où une « majorité silencieuse » aux abois, sidérée peut-être, ne veut pas, ne sait pas, ne peut pas prendre en considération le mouvement des Gilets jaunes, un événement historique en ce sens qu’il repose certains fondamentaux de la démocratie, des communs et des intérêts collectifs, et non ceux de classe ou catégoriels. Il redéfinit aussi certains beaux principes de la culture chrétienne, comme l’aide à son prochain, la quête de sens et de spiritualité dans une vie humaine. Les Gilets jaunes se sont donc invités dans le paysage médiatique comme dans les beaux quartiers urbains, se déploient des zones périurbaines désolées jusqu’aux principaux lieux de pouvoir à Paris. Les Gilets jaunes sont la mauvaise conscience de notre société complétement marchandisée, qui s’est pliée dans toutes ses composantes. à l’idéologie capitaliste dans sa forme la plus poussée mais aussi la plus abjecte.
Ils sont un questionnement existentiel et c’est bien pour cela que beaucoup de personnes encore protégées par le déclassement et le chômage, d’autres qui s’en sortent à peine au quotidien, s’y tiennent à distance, hésitent à y adhérer. Possiblement par peur de perdre certaines illusions et de devoir changer de mode de pensée, mais surtout de sortir d’un mode de projection et d’adhésion avec les catégories supérieures – le chef d’entreprise, le winner de la mondialisation, le maitre du jeu – complètement factice. La peur oui, a fiat bien du chemin dans les consciences pour bloquer toujours un peu plus la société dans son ensemble. Peur de reconsidérer ce que solidarité signifie, mais aussi de redéfinir ses priorités, sortir de l’individualisme et tracer des horizons fédérateurs, dépasser la dictature du Moi. Peur de se mélanger avec des prolétaires, des précaires. tous ces gens qui ressentent l’angoisse des lendemains, qui sentiraient trop la clope, la sueur et la bière pour reprendre un des préjugés les plus répandus. Crainte de s’associer à une foule haineuse, raciste, macho et homophobe comme en fait la description des principaux chiens de garde médiatique du système pour… faire peur au quidam, au consommateur de mass médias.
On a eu tôt fait de taxer ces Gilets jaunes de populistes, alors que c’est un authentique mouvement populaire, qui refait naitre l’idée de peuple, d’Histoire, de langage et de culture commune. Et ce n’est déjà pas rien !
Peu d’œuvres intéressantes inspirées par ce mouvement ont fait flores. Peu de production graphique de qualité, comme celles affichées dans les rues de Paris par des étudiants des Beaux Arts en Mai 68, sinon des slogans intéressants et forts, de ceux tagués à la va vite qu’on voit sur les réseaux sociaux, des messages coup de poing sur des pancartes, écrits aux dos de ces fameux gilets jaunes. Ce jaune fluo de la visibilité, de l’affirmation.
On constate encore peu de soutien dans le monde artistique en géneral et, faut-il s’en surprendre, parmi les artistes institutionnels comme les célébrités, dans la musique, le cinéma et le théâtre c’est l’attentisme, la mise en retrait, peu d’actions venant des collectifs artistiques. Même Arianne Mnouchkine n’a pas voulu s’associer aux barbares en gilet fluo. Tandis que Juliette Binoche leur a fait un timide clin d’oeil. Mais beaucoup hésitent à jeter leur image et leur réputation dans ce bouillonnement des idées, des corps et des images. Surprenant tout de mème, et certainement significatif, ce retard à l’allumage de toute cette catégorie socio-cul, peu encline à reconnaitre la dynamique positive, innovante des Gilets jaunes. Mais ce réveil de la parole, du vivre ensemble est en train de rompre les digues jusque là soigneusement étanches.
La médiatisation, la reproduction, la multiplication des images et même leur détournement, entrent complètement en ligne de compte dans ce mouvement révolutionnaire, qui ne fait que s’amplifier tout en ayant une structuration encore faible car c’est un fait politique inédit depuis les années 60/70 au moins. Un de ces retournement dont le destin de l’humanité a le mystère, dans une période finissante : celle dite postmoderne, des jeux de miroirs, des faux-semblants et du cynisme. Les millions de manifestants propulsés dans les rues en ont sonné le glas, et remis sur le devant de la scène des notions telles que droits, démocratie réelle, solidarité, égalité (par exemple devant la loi et la fiscalité) et fraternité.
En attendant de voir quelque production graphique intéressante issue de cette France qui se drape d’or criard et repeint son destin du soleil de la souveraineté, voici plus bas un diaporama à compléter. On peut admirer quelques nouvelles gravures politiques et contestataires oaxaqueñas.
Que s’ouvrent nos yeux et notre conscience, il faut savoir être pleinement présent dans des moments essentiels comme celui que nous vivons !
Le surgissement de la réalité, quel beau programme, non ?
Florent Hugoniot
Des liens complémentaires, une tribune, un film :
https://fakirpresse.info/j-veux-du-soleil-le-film
Plus de slogans et grafitis, pas toujours de la meilleure qualité mais par curiosité :
même sans partager tout de ton point de vue, je trouve ton article comme toujours passionnant
Gracias 🙂 Les points de vue différents sont aussi bienvenus.
« Novembre 2018, les Gilets jaunes bousculent l’Histoire et décrètent l’état d’urgence. Urgence fiscale. Urgence sociale. Urgence politique. En France, le sens des injustices est, paraît-il, plus vif qu’ailleurs. Est-il cependant nécessaire de brandir ce signe distinctif, ce brevet d’insoumission pour expliquer notre soulèvement ? Le désastre en cours ne saute-t-il pas aux yeux de tous ? Reconnaissons-le, notre France opulente prend l’eau de toute part et emploie désormais toute son énergie à conjurer l’hypothèse du naufrage. Autour de nous, on ne compte plus ceux qui découvrent l’angoisse des fins de mois, les stratégies laborieuses pour joindre les deux bouts. Vidées de leurs pauvres, les métropoles cultivent l’entre-soi ; leur unique préoccupation : tenir leur rang dans les remous de la globalisation. La périphérie est invisible. »
Un texte intéressant écrit par deux Gilets jaunes, Benoît Christel et Arnaud Marie, et publié sur Le Media Presse, un des rares médias en France à avoir traité à sa juste mesure de cette actualité sociale intense depuis le début du mouvement.
https://lemediapresse.fr/idees/notre-epoque-est-celle-dune-crise-generalisee-detourner-le-regard-nempechera-pas-la-catastrophe-lettre-ouverte-de-deux-gilets-jaunes/