
De bon matin en ce dimanche d’automne, un petit groupe se constituait tranquillement devant le terrain couvert de handball presque à l’entrée de la ville de Zaachitla, située à une quinzaine de kilomètres de Oaxaca. Des mères de familles avec leurs enfants, des locaux et des proches arrivaient progressivement au lieu de rendez-vous. Tous à vélo et masqués pour respecter les gestes barrières , certains casqués – la casquette et la lotion solaire sont surtout recommandées. Deux policiers attendaient, prêt à encadrer la manifestation, afin d’assurer un meilleur confort de circulation aux participants, particulièrement en centre-ville.
Le premier Tour en vélo street art à Zaachila, Oaxaca, sud du Mexique a initié en juillet 2015 et n’a eu lieu que trois fois depuis. Selon un thème propre et travaillé pendant une année entière, les trois manifestations se sont déroulées au même moment que deux événements culturels de grande importance à Oaxaca : la Guelaguetza (fin juin-début août) et la semaine de Día de Muertos (fêtes de la Toussaint).
Les street-artistes invités sont généralement des artistes émergents. Parfois ce projet communautaire obtient un soutien financier ce qui permet de faire venir des artistes et quand cela est possible, de leur payer le transport, du moins leur offrir une indemnité journalière de subsistance sur place.
“L’axe du projet est d’exalter Zaachila pour que les artistes de Zaachila aient des rencontres avec d’autres personnes extérieures à la communauté et surtout avec des antécédents, pour l’échange d’expériences et ainsi renforcer la technique et le discours des artistes locaux, afin de créer des liens qui, à l’avenir, répondent aux besoins de chacun.”
Nando Lelo
Entre les quelques initiateurs du projet se fait une curatelle. Le collectif ZAANARTE privilégie les artistes qui ont travaillé ou collaboré avec des communautés, dans un projet social ou politique, ceux qui ont un discours ou une proposition. L’art urbain purement décoratif n’est au contraire pas retenu par le collectif.
Celui-ci organise tout au long de l’année des résidences où le développement et la présentation d’un projet est couvert par une taxe pour le séjour, l’accompagnement et le développement. Jusqu’aujourd’hui, environ 105 personnes ont participé ou peint des peintures murales dans les différents quartiers de Zaachila comme San José, San Sebastián, San Jacinto, San Pedro, La Soledad, El Niño, Lexio.

Au bout d’une demi-heure Nando Lelo, un des fondateurs du collectif ZAANARTE et organisateur du tour à vélo, accompagné d’un collègue, invita la troupe d’une vingtaine cyclistes à le suivre pour un itinéraire d’environ deux heures, entièrement dédié au street art. En effet, Zaachila compte parmi ses habitants de nombreux artistes de rue, et la ville vaut vraiment le détour pour cela en plus d’être une bourgade tranquille, charmante. Il présenta en début et fin de parcours deux de ses œuvres, introduisant et concluant de manière conviviale les nombreuses autres œuvres de collègues, amis et artistes de passage que vous pouvez voir dans le diapo qui suit cette introduction. Également une troisième inclue dans une grande fresque collective en milieu de parcours (photo ci-dessus et dans le diaporama). Cette étape fut l’occasion d’un échange avec les habitants sur le processus de création socio-artistique du mural.
Le recorrido street art se termina dans l’espace culturel et convivial qu’anime Nando avec sa famille, confortablement assis – après deux bonnes heures à déambuler à vélo sous un soleil étincelant, cela se méritait bien! – dans des fauteuils Acapulco, autour de tlayudas, agua de Jamaica, bières et mezcal pour se réhydrater et bien terminer cette splendide journée. Ce qui nous donna l’opportunité de réaliser pour lapartmanquante un long et passionnant entretien avec l’initiateur du Zachilaa Tour Street Art.
On ne peut que souhaiter bonne suite pour ce projet à la fois social, artistique et culturel, et une excellente année 2022 à tod@s !!
Florent Hugoniot







































































Interview de Lelo Nando par lapartmanquante
Lelo Nando est un artiste autodidacte oaxaqueño, qui a fait ses premières armes en tant que graffeur dans le quartier de Valle de Aragón, Ciudad de México, où il a vécu son adolescence. Période pendant laquelle il a étudié la typographie et qu’il a pu mettre en pratique pour produire tracts et affiches lors d’une grève à la UNAM, plus tard pendant sa scolarité.
Il a commencé à peindre dans la rue des tortues accompagnés de grands frères de son quartier, avant de constituer une crew, et de défendre le territoire et les spots, face d’autres équipes de street artistes. Peindre est alors devenu sa passion. L’univers des graffitis et des pochoirs devient le sien.
En évoluant dans sa vie, Lelo devient adepte de la philosophie reggae, s’intéresse au boudhisme et fait un voyage initiatique dans la región mixteca, où il se rapproche du syncrétisme catholique au Mexique, apprend les cycles de la Vie, le symbole du maïs, des rudiments de langue mixtèque, et se penche sur l’utilisation des plantes hallucinogènes, ce qui le ramènera à ses propres souvenirs d’enfance et à ses racines.
Lelo a été également très inspiré par la culture familiale, la majorité de ses parents vivant à Oaxaca, Zaachila. Ses grand-parents lui ont enseigné histoires locales, témoignages des temps passés, contes traditionnels et l’utilisation de la pharmacopée naturelle. Enfant, il s’est toujours montré très curieux vis à vis des traditions et des vestiges archéologiques de la région.
Ayant choisi finalement de faire des études de médecine vétérinaire à la UNAM, Lelo se passionne également pour les processus de stimulus chimiques au sein des organismes vivants. Le fonctionnement du corps l’inspire dans une vision plus cosmique, plus inter-dépendante de son environnement et de l’Histoire, de symboles. Il en profite aussi pour étudier le náhuatl, langue des aztèques, ainsi que l’Histoire mexicaine.
Ses compositions surprennent par leur maitrise du volume, mais aussi par leur narration induite. Elles sont souvent inspirés de l’art mésoaméricain, comme ces figures souriantes (qui sont de réels portraits stylisés de personnes existantes) régulièrement présentes dans ses fresques. On reconnait aussi les fruits de sa formation graphique, du point de vue de leur composition et de leur lisibilité. Parfois on a l’impression de lire dans ses œuvres une ligne de hiéroglyphes ou un rébus. Il se dit inspiré par des mouvements artistiques tels le fauvisme, le surréalisme avec André Breton. Mais on pourrait qualifier ce langage visuel que Lelo réinvente, de peinture surréelle ou d’un art méta-réel, cosmogonique et peut-être chamanique.
Lui-même se définit comme zapotèque, de l’ethnie principale de Oaxaca, et souhaite valoriser l’identité commune, les traditions et le lien social, mais aussi sa propre identité en tant qu’artiste, observateur de ce monde.
Lalo Nando participe actuellement à des expositions collectives en se fait un nom sur la scène street-art internationale, et voyage régulierement. Mais il s’est enraciné à Zaachila, où il vit aujourd’hui avec sa compagne et leurs deux jeunes enfants, participant activement comme on peut le voir à la vie culturelle et sociale du village, notamment avec le collectif ZAANARTE, son espace culturel et le Tour de Bici Street Art.

Zaachila Tour Bici Street Art
Lelo, depuis combien de temps vis-tu à Zaachila ?
Cela fait maintenant 3 ans que je suis revenu vivre à Zaachila, depuis Mexico où je résidais depuis quatre ans pour mes études universitaires et le travail.
C’est un environnement qui te convient ?
Je ne sais pas si l’ambiance à Zaachila me convient, mais si c’est le cas, je me sens très bien dans mon village, où l’inspiration jaillit du contact avec la nature, D’un côté, il me tient à l’écart du monde intellectuel qui m’ennuie souvent, mais que d’autres fois j’essaie de rejoindre.
Comment es-tu arrivé à Zaachila?
Je suis originaire de Zaachila, cependant ma famille a dû migrer à la capitale. Nous avons dû changer de résidence de Zaachila à Mexico DF pour le travail de mes parents, j’avais 5 ans. J’ai pu étudier et me qualifier en tant que Médecin vétérinaire, à la FMVZ de l’UNAM, cependant chaque vacances ou chaque événement familial nous retournions à Zaachila, en bus ou en voiture de mon père, ce qui m’a toujours maintenu au courant de ma famille et de l’endroit. Je pense que cette empreinte m’a permis de me questionner sur mon passé et mon présent.
Zaachila a une tradition artistique ou une particularité culturelle ?
La musique, Le sirop zaachileño, la danse de la plume et la danse des échassiers est en définitive ce qui se caractérise le plus par la vie culturelle à mon avis. Il me semble que la vie religieuse est un autre thème culturel, où j’observe le syncrétisme de notre culture fusionnée avec le catholicisme et peut-être d’autres courants que je n’ai pas définis. Nos traditions se sont modifiées, je ne sais si c’est pour le meilleur ou pour le pire, mais les contextes qui se mondialisent sont de plus en plus notoires.
Comment s’est organisé le tour de vélo street art à Zaachila ?
Nous avons invité le grand public à se donner rendez-vous à la Mural de Bienvenue à Zaachila, avec vélo et casque. Le parcours a été d’environ 3 km pour découvrir quelques fresques, surtout les plus fraîches ou peintes. Une trentaine de personnes sont venues, principalement des femmes et des enfants.
Quels sont les objectifs de la visite de vélo street art à Zaachila ?
Le contexte de la visite est la stimulation de l’utilisation de la bicyclette dans l’espace public pour son plaisir, et encourager de manière visuelle le parcours avec les fresques qui ont été peintes, que les cyclistes connaissent le projet des fresques, une brève discussion de ce que les artistes ont développé sur chaque mur, Nous voulons que l’information fournie génère une analyse qui puisse être utile à la divulgation ou à l’échange d’expériences et que les gens soient plus curieux de ce qui se passe dans la communauté en générant une valeur intangible grâce à cette façon de faire la culture.

lpm – Lelo, où as-tu commencé à peindre à au Mexique ?
LN – J’ai commencé dans la ville de Mexico et dans la région métropolitaine, je me déplaçais habituellement dans le nord-est de la ville et au Centre, Aragon, Lindavista, Ecatepec et Neza.
Depuis quand es-tu peintre ?
J’ai commencé par peindre des couvertures de slogans pendant la grève de l’UNAM de 1999. La typographie que j’ai apprise au lycée dans l’atelier de dessin technique m’a permis d’apprécier les façons de faire les lettres, cette habileté m’a permis de me questionner sur le graffiti que j’observais dans les rues. J’avançais ainsi en autodidacte jusqu’à ce que je rencontre d’autres écrivains et que pendant 4 ans je continue à peindre des graffitis, de 1999 à 2003.
Pourquoi as-tu choisi spécifiquement le graffiti ?
Le graffiti m’est venu du point de vue de la protestation. En peignant des graffitis, nous avions une voix dans les rues, une voix qui souillait, une voix qui n’était pas entendue mais qui dérangeait comme le bruit. De faibles ressources et sans opportunités, vivant dans le quartier marginalisé de Valle de Aragon, les objectifs que les gens dans mon entourage avaient me dérangeaient, même à ce jour ; maintenant je vis dans un village mais avant les activités qui existent ne m’attiraient pas l’attention, pas comme le graffiti.
Cependant, à Zaachila, on réalisait des graffitis et pendant ces années, j’ai rencontré Uren et Sarf avec qui nous aimions faire des graffitis illégaux, ayant une expérience de la façon dont on fait dans la ville et connaissant comment on fait dans le village, j’ai compris le même code, les idées avec lesquelles on fait, la façon dont… C’est pourquoi j’apprécie que la façon sérieuse de le faire nous ait permis de continuer à peindre et de comprendre qu’il ne s’agissait pas d’un jeu, mais d’un processus d’approche de la peinture et non de l’art. C’était juste peindre et ressentir une satisfaction d’embellir les murs et d’avoir une présence dans les endroits que personne n’aime, seulement si on les regarde.
Comment t’es tu ait connaitre à Oaxaca? Au niveau national, international ?
Je pense que la réponse est de savoir comment ils m’ont connu à Oaxaca et aux niveaux national et international. Oaxaca c’est très petit et il suffit de peindre quelque chose et de marcher dans une expo ou qu’un ami vous présente à quelqu’un pour qu’ils puissent vous rencontrer. Mais à cette époque, peindre à Zaachila pour que les autres connaissent notre travail, au début nous étions un collectif où il y avait des collègues qui étaient déjà connus et au fil du temps ils ont appris notre travail en individuel. Le collectif n’était pas dur pour des questions que tout le monde ne peignait pas en forme, c’est-à-dire que certains peignaient sporadiquement ou quand il y avait un événement, certains comme moi peignaient presque tout le temps, cela nous a permis de porter notre travail à un autre niveau, Je pense que le travail collectif a été déformé, s’est détourné de la recherche individuelle pour générer un contenu qui n’a pas pu se concrétiser collectivement. Pour ma part, je suis affamé d’avoir mon propre discours, une propre exploration qui n’a pas été partagée pour concrétiser des idées collectivement, c’est ce dont je me souviens.
J’ai l’impression que lorsque j’ai été invité à un festival d’arts visuels à Oaxaca qui s’appelle Puntos de encuentro (Points de rencontre) j’ai fait un saut important tant dans mon travail pictural que dans le discours. Un an après ce festival, ce qui se préparait s’est éteint, alors j’ai décidé d’aller peindre dans plusieurs états du Mexique et j’ai eu l’occasion de me rendre à l’île de la Réunion. Sur l’île de la Réunion, c’était une étape avec le collectif Open Eyes où nous faisions de la vidéosurveillance de graffiti, documentaire d’art urbain et qui m’a permis de vivre avec d’autres artistes avec d’autres trajectoires, qui m’ont évidemment beaucoup influencé dans le travail, dans son développement et permis d’avoir une vision plus large de ce que je faisais, je pense que cela m’a donné plus d’opportunités. Plus tard, j’ai été invité à des festivals au niveau national où j’ai rencontré des artistes de renommée internationale comme Roa ou Axel Void, pour ne citer que ceux-là, cela m’a été très utile dans la façon de réaliser la peinture, comprendre l’expérience d’autres artistes dont l’œuvre a été très reconnue. J’ai aussi l’impression qu’à ce moment-là, nous étions quelques-uns à nous lancer et à nous rencontrer dans des festivals ou des événements. Certains sont plus mobiles que moi, mais cela ne me dérange pas tellement, se déplacer pour moi en ce moment n’est pas ma motivation, car je sens que je suis dans un autre processus et que je prends la force pour les prochaines étapes…
Quels sont tes projets, tu as des expositions en cours ?
Agrandir mon atelier de peinture, l’aménager mieux, c’est ma prochaine étape, et aussi ouvrir un atelier public et un espace d’exposition à Zaachila. Je travaille sur des illustrations pour la société HBO Latinoamerica et pour des amis du Café Quintal. Je travaille sur un projet qui parle de la danse de la plume, une version abstraite et visuelle des mouvements qui caractérisent la danse de la plume de la ville de Zaachila. Nous gérons des ressources pour la sixième édition du festival ZAANARTE. Nous prévoyons une visite aux États-Unis pour faire des ateliers et peindre des fresques.
Que penses-tu de la scène street art à Oaxaca ?
J’ai l’impression que ça a progressé, même si j’ai l’impression que tout a changé, il me semble que maintenant je le sens plus décoratif, plus pour qu’on le regarde. C’est bien que j’aie une proposition ou un discours, je sens aussi que la peinture murale a été répliquée dans les villages ce qui me semble phénoménal, même dans notre village les jeunes prennent déjà l’initiative et sont allés au village pour faire des peintures, chose qui fait partie de l’axe thématique de ZAANARTE, que les personnes ou les artistes de Zaachila peignent et rencontrent d’autres artistes, d’autres visions et peuvent améliorer leur travail personnel, donc nous sommes très heureux que les gens prennent l’initiative…
Quelles sont les perspectives de ce type d’art avec le tourisme culturel ?
En tant qu’offre pour le tourisme culturel, nous voulons attirer plus de visiteurs, afin que leur participation financière, libre et bienvenue, puisse contribuer à générer plus de peintures murales dans notre communauté.
Merci beaucoup Lelo et longue vie au Zachilaa Tour Street Art !
Entretien réalisé par Lelo Nando et Florent Hugoniot, déc. 2021.

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RÉFÉRENCES LITTÉRAIRES
Le rêve mexicain, ou la pensée interrompue, J.M.G Le Clézio, Éditions Gallimard 1988
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