
C’est dans un magnifique espace atemporel lové au centre-historique de Oaxaca que se trouve l’Espacio artístico Xicotencatl, dans la rue du même nom : une ancienne propriété de plain pied, à l’origine entièrement construite en adobe ou terre crue. Elle s’articule autour de deux patios, dont le plus grand et le plus discret, au fond d’un passage de bric et de broc, accueille divers artistes et ateliers , comme celui du peintre Gabriel Mendoza. Dans ce collectif s’est aussi installée la Escuela de muralismo de Oaxaca, que dirige Jesús Gutiérrez depuis maintenant 10 ans. Les exercices et œuvres, toutes les réalisations effectuées lors de différents stages de formation se développent dans toute la bâtisse, comme des fenêtres ouvertes sur de multiples imaginaires. Les curieux peuvent y découvrir progressivement des espace-temps envoyant des messages personnels très divers.
La vieille bâtisse de plus de 100 ans d’existence a été rénovée par les occupants. Malgré leurs efforts, elle est croulante à certains endroit par manque d’entretien des propriétaires, mais demeure parfaite comme terrain pour la pratique et la création artistique.
Cet espace, situé Calle Xicotencatl 303 reste un carrefour international pour des rencontres et échanges artistiques au cœur de la cité coloniale, en plus d’être un havre de paix et d’étonnement au milieu de l’agitation urbaine et touristique. Il est aussi le théâtre d’évènements artistiques : vernissages d’expositions, concerts, performances.
Lapartmanquante a rencontré Jesús Gutiérrez dans son univers de patchwork de fresques achevées, en cours et à venir, pour en savoir plus sur son école et les perspectives de la technique murale dite a fresco, aujourd’hui en 2022.
Merci à Jesús, bonne continuation !!
Le maître Jesús González Gutiérrez est le fondateur et le directeur de l’École de muralisme de Oaxaca. L’artiste se spécialise dans la peinture murale à fresque ainsi que d’autres techniques naturelles et organiques. Il se concentre principalement sur des techniques préhispaniques et des matériaux durables et biodégradables, comme le cinabre qui donne un rouge chaud. La technique du frais est appliquée sur les murs, les plafonds, même les panneaux élaborés avec un mélange de chaux, de sable et de fibre de coco. À Jalisco où le maître a grandi, la noix de coco est très utilisée comme boisson et sa fibre se trouve en grande quantité pour le recyclage.

- Salut Jesús, depuis combien de temps travailles-tu dans cet incroyable endroit à Oaxaca?
Cela fait 5 ans que je vis et travaille ici. J’ai découvert l’endroit grâce à des contacts dans le domaine artistique de Oaxaca.
- Y avait-il déjà des ateliers artistiques?
Gabriel Mendoza, qui est le premier artiste à trouver le lieu, s’installe et le dédie à l’art, selon la famille propriétaire du bâtiment.
- Connais-tu un peu l’histoire de ce lieu?
Elle a plus ou moins cent ans. Toutes les constructions de rez-de-chaussée, sauf une maisonnette de deux étages construite au milieu du XXe siècle. C’était une tannerie, où on préparait des peaux. Une activité qui sent fort et qui a besoin d’être pratiquée à l’extérieur. C’est pourquoi nous avons deux cours et beaucoup d’espaces de rangement.
- Depuis combien de temps tu enseignes la fresque en général?
27 ans, principalement à Oaxaca, Mexico, New York.
- Comment t’es-tu toi-même initié à cette technique antique?
Ma famille est en partie de Jalisco où j’ai grandi. C’est pourquoi j’ai été inspiré par les œuvres de Gabriel Orozco à l’hospice Cabañas, dans la ville de Guadalajara. Ce fut le premier pas, avec l’héritage artistique de ce célèbre muraliste mexicain.
Ensuite, j’ai décidé d’apprendre le muralisme et la technique à fresque. Mais à Guadalajara, il n’y avait pas d’école pour cela, non plus dans la capitale fédérale. Enfin, à la Casa de Cultura de Coyoacán, le maître Pedro Hernández Ángeles, assistant de Diego Rivera, m’a transmis la technique. Il y a trois ans, il est mort. Grâce à ce maître et à d’autres, on n’a pas manqué l’enseignement de la technique traditionnelle du muralisme au Mexique qui a repris à l’époque révolutionnaire (1920-1930).
- Qu’est-ce que t’a motivé à approfondir cette technique?
L’utilisation de matériaux naturels locaux que nécessite la fresque, et la tradition préhispanique, un héritage ancestral que je veux transmettre. C’est une technique respectueuse de l’environnement. On peut la qualifier d’art durable. Même les oiseaux viennent ici dans cette cour pour boire de l’eau de chaux. Tout est recyclé dans l’espace.
Le peintre Francisco Toledo, que j’ai rencontré à Oaxaca, m’a proposé de diriger un atelier de fresques en 2010. Je m’adresse au CASA (Centre des Arts de San Agustin
http://www.casa.oaxaca.gob.mx/wp/ ) donnant 2 ans d’ateliers là-bas. Le succès de cet atelier m’a convaincu de rester ici en ville. Entre 2011 et 2012, j’ai ouvert mon premier atelier dans un autre endroit du centre historique de Oaxaca.
Plus tard, j’ai organisé un atelier artistique pour les enfants à Saint-Domingue. Francisco Toledo conduisait les enfants, et était parfois présent dans les ateliers. Aussi dans les écoles, dans les communautés mixtèques et zapotèques.

- Tu transmets ton savoir, notamment avec des stages sur place.
Je propose des ateliers intensifs de groupes de 5 à 8 personnes, qui durent une semaine. Ou une formation plus complète d’un mois. Chaque jour, il y a 8 à 12 heures de pratique de la fresque. Mais chacun va à son rythme, jusqu’à travailler la nuit si nécessaire pour terminer son œuvre. La semaine est la seule mesure du temps.
Pour entrer dans la pratique, les candidats doivent déjà avoir un projet à réaliser. Beaucoup viennent des écoles d’art, de design, d’architecture, de la scénographie… Il y a aussi des peintres, mais en fait l’atelier est ouvert à tous. Ils, elles viennent du Mexique, d’Amérique latine, d’Europe, des États-Unis…
Le plus important est l’envie d’apprendre. De plus, les élèves réalisent leur propre projet, qui est pensé avant et mûrit pendant l’atelier. En général, les élèves aiment beaucoup l’échelle humaine de l’école.
- Comment se déroule l’appel à candidatures et la sélection des profils?
Bien sûr, les candidats me contactent par des annonces sur Instagram ou Facebook. D’autres sont des amis d’anciens élèves, qui m’envoient directement des messages, des questions. Lorsqu’il y a suffisamment de candidats, une séance est ouverte et la séance est organisée avec souplesse, en fonction des disponibilités de chacun. Le dernier jour de la session de formation, les peintures murales sont inaugurées. À la fin de la formation, elles obtiennent leur certificat, une attestation d’atelier.
En 2021, un diplôme plus avancé d’un mois commence. La première session a été avec deux artistes diplômés en art : Shannon Bouard et Fidel Brito. L’idée est de développer un projet personnel, appliquer la technique d’une manière professionnelle.
- Qu’attendent tes élèves en général? D’où viennent-ils?
Principalement mettre en pratique ce qu’ils ont appris à l’école. C’est pourquoi Nous restons en contact, échangeons des choses techniques avec d’autres projets. Mettre à jour sur la fresque.
D’un autre côté, le séjour à Oaxaca leur permet souvent de découvrir la ville. J’ai un rituel pour commencer la semaine : aller avec les nouveaux étudiants au Marché Central acheter de la chaux, qu’ensuite ils vont préparer.
Tout au long du séjour, ils ont des contacts avec d’autres artistes. Nous visitons des studios de peintres, des musées, des galeries, des sites archéologiques, jusqu’aux cantines ! Le groupe aime savourer Oaxaca pour sa gastronomie. Viennent des végétariens, végétaliens, allergiques, nous préparons ici la nourriture ou nous leur enseignons des restaurants appropriés. C’est très convivial en général, des amitiés se tissent.
- Peux-tu nous commenter une œuvre en particulier?

Séraphin de Sigrid Wiese – 2021
Je choisis cette œuvre parce qu’elle n’a pas eu besoin de croquis, elle est très libre et spontanée, il y a beaucoup de liberté et de sécurité pour la réalisation. C’est l’image d’un enfant-ange, un séraphin non encadré, qui va s’envoler. Forme avec Frida Kahlo sur sa gauche, et un ange sur sa droite, unit groupe de gardiens artistiques et spirituels, sont les veilleurs de l’endroit avec l’icône du Christ sur le mur opposé.
De même, avec Sigrid, c’est une collègue et une grande peintre de Oaxaca. En fait, nous sommes allés faire une gigantesque peinture murale historique en Pologne l’année dernière.
Maintenant, je vais commenter le processus. Tout d’abord, vous devez préparer le mur : piquer, étudier l’état. Pour appliquer la peinture à base de pigment naturel, il doit être sain, pas de fissures, pas d’humidité, Cela dépend aussi de si vous avez du ciment, peinture acrylique. Parfois, il faut le restaurer avant de l’appliquer. Dans cet espace, nous avons la chance d’avoir à disposition tous les types de support pour les peintures murales : adobe, brique, béton…
Deuxièmement, on préparons la surface où la peinture est faite. Nous mélangeons la chaux avec le sable pour obtenir ce qu’on appelle l’intonaco, et il faut l’aplatir.. C’est comme dans la gastronomie, prendre soin de la proportion de mélange dont vous avez besoin, les quantités à ne pas dépasser pour ne pas gaspiller du matériau. Peindre sur une couche fraîche permet aux pigments de pénétrer dans la pâte, et donc les couleurs durent plus longtemps qu’une simple peinture superficielle sur un substrat. Son exécution nécessite une grande habileté, et se fait très rapidement, entre la pose de la couche et son séchage complet, en une seule journée.
On met les pigments dans une même palette, la même que les étudiants vont utiliser chaque jour pour faire leurs mélanges de nuances. Parfois, nous préparons les pigments à base de minéraux, broyés très fin, ce qui nous donne une palette variée de couleurs subtiles. Nous utilisons également des pigments industriels déjà fabriqués pour des couleurs plus intenses.
Enfin, il peut être poli si l’œuvre le demande. De plus, les couleurs restent plus encapsulées, plus résistantes. On a 8 à 10h pour peindre jusqu’à ce que l’entinaco sèche.
- L’espace va petit à petit se combler d’œuvres, quels son tes projets dans un avenir proche, as-tu pensé à ouvrir une école permanente, ou disposer d’un lieu complètement dédié à la fresque, un atelier privé?
C’est l’idée, tout à coup nous continuons dans ce quatrième endroit à Oaxaca, en accueillant l’École de muralisme à Oaxaca. Une cinquième place peut être, peut-être une école permanente. La vie culturelle et artistique à Oaxaca est une aventure dynamique, en constante évolution. Cela m’encourage et pose des défis!

Nous remercions Jesús Gutiérrez pour sa disponibilité. Mentionnons qu’il dirige avec l’architecte allemand Felix Kuttruff le projet de la Biblioteca del Mar (Bibliothèque de la Mer), sur la côte du Pacifique, dans la communauté de San-Augustín.
F.H.


























La première session mensuelle a commencé en novembre-décembre 2021, pendant la fête des Morts.
Session 1 : Shannon Bouard, artiste française et Fidel Brito, artiste guatémaltèque vivant à Los Angeles
Tous deux ont choisi l’atelier de Jésus et ont fait la première session, presque ensemble. Ils ont chacun reçu une bourse pour venir étudier au Mexique pendant quelques mois.
Session 2 : Allyson et Alex, étudiants diplômés en Art plastique à Denver, Colorado, EU.
Session 3 : Ana Paula Reyes et Ekatherine Kalfopoulos, deux artistes vivant au Mexique.

Calle Xicotencatl # 303, Centro histórico, Oaxaca de Juaréz, OAX, México
Shannon Bouard – « Nos vemos », 2021
Une très jeune femme vêtue d’une robe noire est allongée sur un tapis rouge-orangé constitué de fleurs de Cempasúchil, traditionnellement utilisées dans les cérémonies mexicaines lors de la fête des morts. Le fond bleu pétrole représente des nuées dans lesquelles on distingue, gravés dans le stuc tels des fossiles, deux squelettes dansant et souriant situés l’un à gauche, l’autre à droite du visage de la jeune fille. À ses pieds, un groupe de personnages blancs, aux traits indéfinis et sans bouche, un peu comme des spectres mais dont les regards bienveillants et enfantins, la gestuelle semblent dire “au revoir” ou “adieu et bonne chance” à la jeune fille.
On peut donc voir dans cette oeuvre profonde une forme de recueillement et même de deuil, la mise en scène macabre d’un dernier regard lancé derrière soi, inaugurant d’un départ vers un ailleurs, vers autre chose. Pareille à l’alter ego de l’artiste, une jeune femme ni triste ni gaie se repose sur un sol qui est aussi le cosmos, les abîmes, et se laisse glisser dans la quête de soi ; elle laisse fuir des images, des personnes, des souvenirs du passé, dans l’acceptation d’une fin et l’espoir d’une renaissance.
Telle une figure mystique, une icône lumineuse, une vierge peinte sur une voûte d’église (lire Cosmovision de la Vierge de Guadalupe https://lapartmanquante.com/2021/09/14/hommage-a-la-vierge-de-guadalupe-selon-la-cosmovision-indigene-du-xvie-siecle-pepe-del-signo/), elle apparaît à la fois évanescente, à la fois présente dans toute son intégrité physique, émotionnelle, spirituelle.
Shannon, fraîchement diplômée en art mural à ENSAAMA de Paris, a particulièrement aimé durant son séjour 6 mois cette expression de prise de congé, nos vemos, qui est aussi vague que mañana (demain) mais toujours chaleureuse. En plus de la belle portée initiatique de cette oeuvre, on admirera sa facture avec de beaux effets de patine, ainsi que la qualité du graphisme et la palette de couleurs.
Fidel Brito – « Alegoría a la cultura maya » – 2021

L’artiste d’origine maya a souhaité représenter une cosmovisión. Il a reproduit le dessin oriinal de 3 pierres sculptées, découvertes dans son village natal guatemaltèque. Celles-ci ´étaent utilisées comme support à des récipients pour préparer la nourriture et qui symbolisent donc le foyer. Elles sont en résonance avec la déesse maya aux seins nus et aux offrandes, et avec une tortue- signe supportant les trois pierres simplifiées. Ce sont les trois étoiles les plus lumineuses de la constellation du Centuron d’Orion.
On appréciera la touche légère et la palette de couleurs assourdies, la profondeur du ciel étoilé.
lire tortuga karma https://lapartmanquante.com/2012/09/03/tortuga-karma/
Merci à toutes et tous !
Florent Hugoniot
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SOURCES :
http://michel.lalos.free.fr/cadrans_solaires/doc_cadrans/peinture_a_fresque.html