
Saynète [courte pièce comique avec peu de personnages]
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Sur le rivage de l’océan se produisent toute sorte de scènes touchantes, telles ces trois premières images ou cartes postales animées : L’homme et l’enfant, La jeune femme et la mer et La femme un peu crâne.
On y croise aussi des inconnus, qui préoccupés, perdus dans leurs pensées, qui désoeuvrés et ne paraissent pas vraiment à leur place. C’est pour cela qu’ils marchent incessamment au bord de l’eau ou s’agitent en permanence sur leur serviette, ne peuvent pas se déconnecter aux réseaux sociaux, oublieux de la beauté qui les entoure ; d’autres pourtant semblent très proches, accessibles juste le temps d’un soupir. Mais ce ne sont que des figurants dans la mise en scène balnéaire. Parfois, en déambullant sur les zones plus désertes de la plage, au détour d’un parasol, on trouve des joyaux de présence et de vie, et on plonge dans un regard grand ouvert, une brillance fulgurante dans un moment volé ou consenti de complicité. Cela va rarement plus loin qu’un échange de sourires, mais ce rayon de soleil entrevu le matin nourrira la journée entière.
Chacun imagine ce qu’il veut des autres, tisse le fil de ces vies qui glissent ou se posent autour de soi, mais restent parallèles à la nôtre. Notre ego, notre bruit intérieur (fait de ces ruminements d’idées et de souvenirs si présents à notre esprit) s’abîme un peu dans la parenthèse d’une déambulation iodée. Il n’y est pas toujours nécessaire de scruter l’horizon pour s’évader en pensée et s’échapper de soi-même, à la vigilance de soi-même. Juste un objet rejeté par les courants nous offre tout un univers de possibles, apporte d’autres clefs et renverse la lecture de ce monde.
Parmi les objets nobles et naturels tels les coquillages usés par le ressac, des galets, des squelettes de poissons blanchis par le soleil, du bois flotté quelque fois à moitié consumé – témoignage d’un feu nocturne qui illumina des coeurs à l’occasion d’une fête ou d’une célébration, une fogata désormais consumée – il y a aussi les rebus du monde industriel et productiviste : des capsules de bouteilles colorées, une savate orpheline, un masque de plongée rongé par le sel…
On trouve de tout sur les plages, qui sont les marges de nos sociétés humaines si contrôlées, si affairées. Beaucoup de songes et d’illusions s’y s’abîment dans le va et vient des vagues. Visions enfantines et ludiques, liberté des corps, dérive des sentiments, rêveries, projets et projections, elles sont un perpétuel terrain du JE.
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4 – le garçon, les chiens et le bâton
Il faisait déjà sombre sur la petite plage de la Ola, qui dessinait comme un grand U sur le large. Un adolescent y était venu jouer avec ses chiens, tous de la même race courante sur la côte : de taille moyenne, le museau fin, le poil ras variant de la couleur ocre jaune au brun. Et joueurs. Même en sautant sur le sable, ils lui arrivaient à peine à hauteur de genou ou à mi-cuisse. À ses gestes, à sa manière de mener la petite bande festive, l’adoslescent semblait un mexicain natif de la région. Son apparence à contre-jour laissant entrevoir une peau couleur caramel, imberbe, avec une musculature ronde et bien développée. Son aisance dans sa manière d’évoluer sur le sable ne recélait aucune cérémonie particulière. Il était juste concentré sur ce qu’il fallait de son activité présente, sans s’aviser des mouvements des touristes encore présents dans l’eau ou sur la terre ferme. Tout en sortant les chiens pour leur donner de l’exercice, il était venu se divertir un moment de sa routine familiale.
Le jeu consistait à lancer un bout de bois trouvé sur le rivage, puis attendre qu’un des chiens le ramène. Mais les quatre animaux avaient leurs propres règles, et c’était devenu plus le prétexte de multiples atroupements et cavalcades désordonnées. Celui qui bataillait le plus était finalement l’adolescent afin de récupérer le bâton. Mais il ne se lassait pas, les chiens non plus d’ailleurs. Un parmi les quatre était particuliêrement attentif et revenait presque systématiquement avec l’objet du désir et de toutes les attentions du groupe, mu devant l’océan par une force et une dynamique qui le dépassait, ou qui s’y fondait dans un même mouvement pendulaire et cosmique.
Les gesticulation des nombreuses pattes et de deux jambes semblaient se synchroniser par transparence avec le flux et reflux des vagues qui s’étalaient en contrebas de la pente sableuse. On n’entendait pas de son particulier (tout semblait amorti par le sable humide de la dernière ondée) sinon le lancinant chant de l’océan, comme un inspir infini.
La lumière bassait de plus en plus en intensité, et par un surprenant effet visuel, la scène devenait progressivement plus contrastée, telle un théâtre d’ombres chinoises posé sur le fond clair des vagues, toujours plus blanches, toujours plus ruisselantes. Les lames longues et écumeuses tombaient de bas en haut sur le panorama, comme un rideau liquide dans le crépuscule ; ou encore un écran numérique se lavant et se régénérant automatiquement.
Au premier plan, le petit groupe continuait son manège. On imaginait un banc de gros poissons batifollant, des dauphins jouant dans l’eau, s’approchant et reculant sans jamais s’interrompre ; un va et vient hypnotisant, offrant un spectacle cinématique qui se prolongea un temps jusqu’au fondu au noir complet.
Florent Hugoniot – San Agustinillo, juin 2021
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Au cinéma, à la photographie et à toutes ces illusions qui rendent la vie plus intense ; à mes amies Raphaelle et Nadine de Sommières.



















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“Todo acto de resistencia no es necesariamente una obra de arte aunque de cierta forma lo sea. Toda obra de arte no es necesariamente un acto de resistencia y por lo tanto de alguna manera lo es”
« Tout acte de résistance n’est pas une œuvre d’art, bien que, d’une certaine manière, elle le soit. Toute œuvre d’art n’est pas un acte de résistance, et pourtant, d’une certaine manière, elle l’est »
Gilles Deleuze
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