Une cinquième image du Pacifique

VV

La beauté boudeuse

Bruno, tout à ses souvenirs qui s’accumulaient tels les bois flottés sur le rivage, avait oublié à quel point il est si facile, depuis la plage de la Ola, d’accéder aux petits escaliers de roche et de ciment qui grimpent en pente raide vers Mazunte.

Mais où avait-il la tête ? Bruno s’était laissé entraîner dans les méandres de sa mémoire, émerveillé par le fait que tant d’univers puissent se déployer dans un si petit espace que celui du cerveau, au point de pouvoir s’y perdre tant de fois…

Tout au fond de la plage, à moitié cachée dans une petite crique de rochers, se tenait de trois quart de dos, bien droite sur le sable, une silhouette féminine élancée. Bruno essaya d’évaluer l’âge de cette apparition en fonction de la finesse de la taille. Mais c’est surtout la chevelure insolente qui lui fit penser qu’il était en présence d’une jeune femme : une longue crinière blonde et ondulée recouvrait toute la moitié supérieure de son corps comme un voile froissé. Elle dissimulait les contours de son visage, puis dévalait de ses épaules jusqu’aux reins en laissant apparaître des jambes un peu trop longilignes pour les canons de beauté de cette partie du monde. Ce qui faisait davantage ressortir la rafraîchissante cascade capillaire au creux des rocs arides.

Un caniche blanc assis à quelques enjambées semblait protéger et l’entrée de la crique, et la méditation de sa maitresse. Tout en changeant de position, s’aplatissant sur le sable, flairant et tenant les vaguelettes à distance, il ne cessait de la fixer.

Afin de ne pas déranger ce moment d’intimité qui avait quelque chose de sacré, Bruno avança vers les rochers sur la droite puis commença l’ascension des marches en galets. Surpris par le maintien hiératique et l’impression de recueillement qui émanait de la jeune femme, il s’immobilisa à une vingtaine de mètres de haut sur la falaise pour mieux l’observer.

Athlétique, elle se dressait comme un mat face à l’horizon. Elle tenait dans ses mains serrées tout près du cœur – ou du nombril – un objet, une pierre peut-être. Un certain temps elle se concentra avant de lancer avec maladresse l’objet dans les premières vagues. Bruno imaginait qu’elle se libérait d’un poids, d’un souvenir, d’un amour… Une sorte de cérémonie océanique, un deuil à achever. Puis elle se pencha, déploya un bras fin pour ramasser une poignée de sable qu’elle jeta dans la même direction, dans un geste bien moins pensé et mesuré, telle la première pelletée de terre sur un tombeau mouvant.

Encore un moment de suspension, plus court, puis la beauté nordique déserta l’espace en faisant un signe léger au caniche, qui s’ébroua.

Longeant les falaises rougeâtres, elle adressa encore un regard vers le large, offrant à demain, à l’inconnu, à son rêve californien, un visage rond, un peu bouffi par l’alcool et brûlé par le soleil mexicain, celui d’une petite fille boudeuse, inquiète et curieuse.

La petite peluche claire qui trottinait à ses pieds portait un collier orné d’un seul grelot. Les rouleaux d’eau salée en avalèrent goulûment les dernières vibrations sonores.

Florent Hugoniot

A propos lapartmanquante

Part-iciper, part-ager, part-faire, part-ir, partout et par ici !
Cet article, publié dans Déambulations poétiques, La réalité recomposée, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s