Mes maisons

Colonia Reforma agraria, Oaxaca 2021

De la maison cassée à la maison mirage

Depuis de nombreuses d’années, je vis sans réel « chez moi », accompagné de quelques affaires personnelles dans mes bagages que je dépose ici ou là, dans une errance ponctuée de havres de paix et de sécurité. À l’arrivée dans un nouveau lieu stable, je range mes vêtements dans la commode et le placard, je pose sur un emplacement réservé mon ordinateur que j’ouvre et que je connecte à la Wifi, je décore mon espace avec des souvenirs et des objets-talismans et enfin je ressors mon matériel artistique. Un rituel rodé, un peu comme on déploie un éventail de possibles à l’intérieur d’une grande boîte interchangeable, un éventail appelé à devenir plus ample au fur et à mesure de mes acquisitions et créations. J‘ai additionné je ne sais plus combien de lieux de vie, studios, maisons en colocation ou appartements à mon seul usage…

Tant d’espaces intimes de repos et de ressourcement – et encore, en laissant de côté les périodes de transition où des amis m’ont hébergé. Le fait de n’être pas propriétaire à part entière d’une maison, capital immobilier, objet de référence et d’enrichissement continu m’a conduit à accepter cet itinéraire semi-nomade. Un style de vie à la fois obligé et choisi, certes dynamique et riche sous de multiples aspects, mais improbable et peu convenable sur une longue durée. À moins que je ne devienne définitivement nomade dans l’âme…

Plutôt Bernard l’ermite que tortue ou escargot, je sais prendre possession d’un habitat sous toutes ses significations, qui pourtant ne sera pas indéfiniment le mien. J’ai l’art de remplir les vides, de mettre en valeur les espaces, de les rendre fonctionnels en respectant autant que se peut les obligations de la (co)location ou de l’hébergement, contrairement à d’autres, plus exclusifs voire agressifs en matière de territoire. Je me rappelle de propriétaires mexicains particulièrement invasifs et exigeants sur ma manière d’occuper un espace que j’entretenais, rendais parfaitement en état et pour lequel je leur payais sans problème le loyer, mais dans lequel ils estimaient avoir toujours un droit de regard et d’organisation !

De retour en France, je me suis lancé dans la (re)conquête d’un « chez moi », afin de m’en servir comme socle d’expansion sociale, matérielle et artistique, également comme base affective. Mais l’idée d’une maison à mon exclusivité, à défaut de maison idéale, me semble insaisissable du fait de la hausse des prix pour se loger dans mon pays natal, en cette période post-covid troublée. Les effets ne sont pas complètement retombés au bout de quatre ans, d’autant plus que les médias conditionnent la population à un état d’urgence et de guerre perpétuels. Je note en effet le besoin répandu chez de nombreuses personnes de se refugier dans leur bulle de confort matérielle et morale, du moins tant que cette bulle n’éclate pas !

L’idée de la maison-mirage motive l’écriture de ce texte. M’investir dans cette nouvelle publication, c’est comme faire une pause réflexive après une série de grandes traversées, de bons successifs en avant, avec un regard perplexe sur l’avenir que nous préparent les décideurs de ce monde et des coups d’œil rétroactifs, afin de voir plus clairement devant moi. La maison en tant que possession propre et projet personnel qui murit, se concrétise, se développe et se charge de biens et de souvenirs au cours des années, m’échappe. Mes placards n’ont pas beaucoup le temps de s’encombrer, les tables de garder les traces de mon passage. D’autant plus que, tel un sioux, j‘ai appris à effacer mes pas autant que possible, même si je réside rarement dans une ville en toute discrétion. En effet, j’y construis obectivement des repères, des amitiés ou des inimitiés car la vie m’amène toujours à prendre position.

Depuis l’impossibilité de m’installer durablement dans l’État de Oaxaca – un rêve romantique fondu dans le réel de la société occidentale consumériste – je me sens un peu à l’image de ces personnages condamnés à sauter en permanence d’une plateforme à une autre pour ne pas tomber dans le vide. Comme me disait une amie, ne pas avoir de domicile à soi, c’est comme avoir un trou dans la tête ! Une situation qui m’offre aussi une forme de liberté d’aller, de venir et de me projeter. Me faut-il pour autant accepter la fuite en avant dans l’instabilité, l’exclusion et l’inconfort existentiel de ce monde ? Un monde sous tension dans lequel les alertes face à un conflit mondialisé et donc un risque accru de mouvements migratoires de masse se multiplient. D’où la nécessité de disposer, au moins d’une manière symbolique ou philosophique, d’un chez soi.

Colonia Reforma agraria, Oaxaca 2021

La maison cassée

L’appropriation et l’expulsion symbolique d’un espace de ressourcement, je l’ai vécu lorsque je n’ai plus pu me rendre à la « maison cassée » : c’est ainsi qu’enfant j‘appelais la bergerie que mes parents avaient achetée dans les années 70, dans les Alpes de Haute Provence, puis remise en état pour nos séjours en France lorsque nous vivions à l’année en Mauritanie. Ce lieu de mon enfance et adolescence est passée du statut de lieu de vie et d’accueil, ouvert à la famille au sens large et aux amis, espace de partage, d’expérimentations sociales et artistiques, à celui de lieu refermé sur lui-même puis objet de spéculation immobilière et finalement source de revenu par le locatif. Suite au remariage de mon père au début des années 90, je n’eu plus le droit d’en jouir seul ni d’y faire venir des amis, sinon temporairement, en tant qu’invité et sous surveillance des « parents », car ce bien faisait partie désormais de la dot paternelle à l’exclusivité de mon père et de son épouse en tant que résidence secondaire.

En furent bannis les amis qui étaient les témoins de l’histoire ancienne, celle où ma mère vivait et était partie prenante du projet. En furent également exclus progressivement, selon ce NOF – Nouvel Ordre Familial, lire Ronde est la Terre (3) – moi-même, mon frère et mon demi-frère. Si ce ne fut pas clairement exprimé, aucune descendance n’y fut longtemps bienvenue car cette maison était devenue un domaine réservé au bonheur et aux loisirs des « parents » qui occupaient le reste du temps leur résidence principale disposant de tout le confort moderne en Franche-Comté. Une maison cassée pour une famille recomposée… Une situation bien trop bancale !

Moi, j’étais déjà trop nomade, trop bohème, pas assez « hétéro-normé », donc peu susceptible d’avoir une lignée et d’y amener des petits-enfants ; mais désireux de l’occuper temporairement ou du moins d’y conserver un refuge et mes souvenirs, ce qui ne fut pas du tout du goût de ma belle-mère. Les stratégies d’accaparement de ce bien collectif par celle-ci furent donc de plus en plus évidentes et insistantes. Il fallait que la « maison cassée » soit pour elle à la fois valeur foncière, source de jouissance et de revenu, raison pour laquelle elle exigea de mon père qu’il lui en transmette l’usufruit contrairement à sa promesse initiale. Possiblement du fait qu’elle soit issue d’un milieu paysan, Madame a un rapport beaucoup moins romantique que moi à la terre et à la nature. La terre doit produire de la richesse et une maison est principalement un capital immobilier, dans une logique rentière et productiviste.

Maisons caravanes

Figuerolles, Montpellier 2024

Par la suite, j‘ai habité sur une durée plus ou moins longue différents espaces. Après des sauts de puce dans la région de Montpellier, selon les possibilités d’hébergement de la part d’amis qui m’offraient l’aide logistique refusée par les miens, j’ai occupé six ans un petit studio situé dans le quartier de Figuerolles, aujourd’hui démoli – voir Ronde est la Terre (2) – et où j’avais recréé mon chez-moi, avec cette sensation de vivre entre un mobil-home ou une cabine de bateau, et l’immensité des plages à trente minutes en vélo. L’arrière-pays sommiérois et les marches des Cévennes m’étaient également à portée de main. Puis je suis retourné vivre à Paris. Après quelques hébergements provisoires, j’ai atterri dans un studio confortable assez sombre d’un immeuble vétuste dans le 18e arrondissement, tout en bas de la colline de Montmartre. Pendant cinq ans, j’étais proche à la fois du Sacré Cœur, de Barbes, de la Porte de Clignancourt et des Puces de Saint Ouen. J‘aimais me lancer depuis La Villette le long du canal, déambuler à Belleville et à Ménilmontant pour faire des photos de street art, bref retrouver cette zone du nord nord-est de Paris que je connaissais déjà bien quand j‘avais 20 ans.

Ensuite, pendant mon périple mexicain, j’ai habité de nombreuses maisons qui m’ont ancré dans des grandes villes et ouvert aux paysages de ce magnifique pays. De Zacatecas à Oaxaca, ville où j‘ai vécu le plus de temps, j’éprouvais la joie de me sentir chez moi tout en étant toujours un peu à part. Au début de mon expatriation, j’ai retrouvé l’émulation et les obligations de la vie en colocation comme pendant mes années étudiantes à Paris. À Zacatecas, le fait de vivre dans la convivialité parmi les trois-quatre résidents mexicains, dans un grande maison peu entretenue mais très bien située avec une vue imprenable sur la cathédrale, m’a définitivement fait me sentir adopté par le pays et son style de vie tonique et jovial. J’étais aussi troublé par le fait que, malgré la densité des villes mexicaines, on y a davantage le sentiment d’espace qu’en France. Les espaces publics, les rues, les places sont toujours animées, les centres-villes bien entretenus et décorés en fonction des nombreuses fêtes religieuses ou laïques. Le ciel fait partie de l’urbain au Mexique, le cosmique y est resté relié au terrestre. Pour les intérieurs, en tant que célibataire je ne vivais pas dans la promiscuité familiale souvent de règle chez les Mexicains des classes sociales les moins aisées.

Mexico, été 2022

La bourgeoisie mexicaine dispose souvent de beaux espaces, car leurs maisons ou appartements modernes calqués sur le modèle nord-américain, aux cuisines fonctionnelles, aux plafonds hauts et aux ouvertures laissant généreusement entrer la lumière solaire, donnent ce sentiment de dilatation, de vide et d’expansion propre aux grandes étendues de l’Amérique et à sa démesure géographique. N’ayant jamais fréquenté la haute société de près, je sais pourtant que pour celle-ci, jouir de divers espaces de vie, amples et luxueusement agencés comme le fait de voyager régulièrement aux USA ou en Europe est aussi naturelle que le fait de respirer. Après Torreón (aux appartements facilement accessibles), Ciudad Juarez (un enfer pour le logement locatif) et Querétaro (une ville historique en pleine explosion immobilière et de plus en plus chère), j’ai enfin posé mes malles emplies de tant de souvenirs à Huatulco, sur la côte ouest. Enfin le Pacifique sud ! J’y fus plus à mon aise, seul dans un petit appartement, d’où je partais souvent tôt le matin me baigner dans l’océan accueillant, avant d’aller donner des cours de français dans le campus arboré de l’Universidad del Mar. J’ai commencé à consacrer un budget plus conséquent pour le loyer dans l’État de Oaxaca, sinon à devoir faire des concessions comme par exemple ne plus vivre dans le centre-ville.

La maison refuge

Oaxaca 2023

C’est à Oaxaca, capitale de l’État du même nom, que j‘ai passé les quatre années les plus localisées de ma vie mexicaine. C’est aussi de là que j‘ai vu arriver la vague Covid, et que je me suis replié comme tout le monde dans mon intérieur, le temps que la crise dite sanitaire finisse, que la vie sociale reprenne et les premiers traumas s’aplanissent. Par chance, j‘avais loué avant, juste à temps, un petit appartement dans une zone populaire et bon marché excentrée de la ville, que j’ai meublé selon les moyens du bord et progressivement rempli de mes créations artistiques, des lampes et des céramiques. Je ne l’ai quitté qu’une fois la vague retombée, pour rester une année supplémentaire à Oaxaca dans mon dernier appartement et y préparer mon retour définitif en France.

Je me souviens de ma sidération face au décalage dans le traitement de cette crise politico-sanitaire entre la réalité plutôt rationnelle et bien organisée du Mexique et les informations qui me provenaient de France – injonctions contradictoires, organisation de la peur et de la panique à grande échelle, confinements, passe-sanitaire et risques d’amendes lourdes, manipulation des données médicales, etc. –  grâce à une relation Internet jamais interrompue. Je l’ai exprimée sur mon blog dans quelques articles publiés de 2020 à 2022. Depuis cette opération d’expérimentation sociale et psychologique, la société française s’est irrémédiablement divisée et morcelée. Ce qui ne fut pas le cas au Mexique, la confiance en l’avenir, les habitudes sociales étant revenues, certes plus lentement mais au final complètement. Durant cette période se sont multipliées de part et d’autre de l’Atlantique des appels vidéos, des retrouvailles via le virtuel et des conversations sans fin (le temps ne comptait plus dans cette mise entre parenthèse de nos vies) avec des familiers et des amis de mes jeunes années. Ma vie au Mexique n’était absolument pas anxiogène du fait de « l’épidémie Covid », ce qui surprenait ces derniers, condamnés à se plier aux injonctions politico-sanitaires. Je sortais de chez moi en vélo quand je le souhaitais pour faire des courses, partir m’aérer, prendre le soleil… Le vélo, sain et fidèle véhicule, facteur de tant d’échappées et de bonheurs simples !

La maison prison

Oaxaca, 2021

Depuis l’injonction à « rester chez soi » de la période Covid et ses confinements, on s’est rendu réellement compte que les aléas économiques et désormais politico-sanitaires obligent davantage les moins riches et les moins protégés socialement : ceux et celles qui étaient « exposés » et n’ont pas pu, sous peine de sanctions, se mettre à l’abri dans leur confort intérieur puisqu’ils devaient assurer les services essentiels de ravitaillement, de transport public, de nettoyage/évacuations et de santé pour le reste de la population. D’autres on souffert dans des espaces réduits (en gros le lumpenprolétariat et les nouveaux esclaves) tandis que d’autres profitaient de l’arrivée du printemps depuis leurs amples séjours et leurs jardins. Sous une autre apparence, nous sommes donc revenus en quelques années à un fonctionnement féodal où les pauvres des pays développés, toujours plus majoritaires en terme de population, assurent le basique et même les loisirs à une autre partie minoritaire, planquée et privilégiée, au risque d’y laisser leur peau. Combien ont applaudi les soignants de leur balcon, mais n’ont absolument pas soutenus ceux qui demandaient avant 2020 de meilleures conditions de travail et de rémunération, ou ne souhaitaient pas se faire injecter du pseudo-vaccin inefficace, cause aujourd’hui prouvée d’effets secondaire graves, et ont été poussés à la démission ?

Les maisons disparues

Seloncourt, été 2022

En parallèle de la « maison cassée » qui m’a échappée et dont je n’ai jamais eu les clefs malgré le fait que j‘en sois partiellement propriétaire, j’ai pu disposer un temps d’un second lieu de référence : la maison de mes grands-parents maternels à Seloncourt dans le Doubs. Mais celle-ci a été récemment vendue du fait du décès du dernier habitant, un oncle. Meubles triés et récupérés par sa fille ou déposés en brocante, malles remplies d’objets désormais inutiles jetés à la décharge, décoration, photos sur les murs et bibelots volatilisés… C’est donc une trace de l’existence de plusieurs générations de mes ascendants qui s’est effacée de ma réalité. Même constat pour une maison en lotissement que mon père a habité et aménagé pendant plus de trente ans et qui conservait la plupart des souvenirs de nos années vécues en Mauritanie. Du fait de sa vente forcée par Madame et d’un changement d’adresse qui a mis l’équilibre personnel de mon père à rude épreuve, celui-ci a subi un nouveau traumatisme : la séparation des corps et des biens avec sa seconde épouse, trauma dont il ne se remettra peut-être jamais maintenant qu’il est devenu simple locataire d’un T1 dans une résidence pour personnes âgées, toujours en attente de la fin de sa procédure de divorce et de la récupération de « la maison cassée » occupée par un locataire sans gène devenu squatteur, en plus de collectionner des carcasses de voitures sur le terrain adjacent.

Comme le mentionnais dans l’introduction, mes sacs à dos, valises et malles constituent le socle de ma maison-mirage. Or un appartement, un bien immobilier est susceptible d’être visité, squatté ou cambriolé. C’est un peu pareil pour les bagages, qui sont des biens ultra-mobiliers. Lorsqu’en septembre 2023, je suis arrivé depuis Mexico à l’aéroport de Marseille-Marignane après une escale à Madrid, il manquait ma valise principale sur le tapis roulant. Elle n’a jamais réapparu. Sans domicile fixe depuis quelques semaines, je me voyais aussi amputé d’une partie de mes affaires personnelles soigneusement triées avant mon départ. Dans une vie d’itinérance, même si certains sacrifices sont pénibles ou douloureux, on apprend forcément à faire la part du matériel et du spirituel, aussi celle entre hier et demain…

Annecy, décembre 2023

La maison grenier

Du fait de mon style de vie, j’ai parsemé des affaires dans les remises, caves et greniers de plusieurs habitations. Comme je le disais, je suis devenu un spécialiste de l’emballage d’objets personnels de toute sorte pour une durée longue et indéterminée. Un peu comme un écureuil qui planque ses noix et noisettes dans tellement de caches, qu’il en oublie parfois certaines. Mes affaires de ma période montpelliéraine sont restées un bon moment dans le Jura pendant que je vivais à Montmartre dans un studio trop petit pour les accueillir. À la même période, je fabriquais des mobiles que je rangeais dans des boîtes faites sur mesure. J’ai fini par stocker ces œuvres invendues et mes affaires artistiques dans une partie de la cave du bâtiment, utilisée comme atelier par un jeune peintre sympathique. Et puis je me suis envolé pour le Mexique. Mais quand j’ai décidé de libérer définitivement le studio parisien, j’ai loué une camionnette afin de réunir mes affaires parisiennes avec mes affaires montpelliéraines chez mon frère en Haute-Savoie… Pourtant pas complètement, car demeuraient, il y a encore peu de temps, quelques affaires personnelles dans la maison de mes grands-parents maternels dans le Doubs. Depuis, j’ai tout rassemblé dans une grange, dans les environs d’Annecy. L’agencement de mes caisses et cartons n’est pas la plus fonctionnelle pour y chercher des objets ou mes propres créations, mais je considère avec amusement – et afin de ne pas tomber dans le découragement – cette installation, forcément provisoire, elle-même comme une œuvre en évolution permanente.

San Agustinillo. Oaxaca 2022

Les maisons ouvertes

Difficile d’oublier toutes ces maisons familières dans lesquelles je me sentais tout à fait à mon aise quelques jours. Au Mexique, c’étaient des posadas, quelque chose entre hôtel familial et maison d’hôtes. J‘y étais de passage et l’espace m’était loué tandis que je pouvais me connecter un temps, en fonction de mes affinités et de ma disposiion d’esprit, à l’âme du lieu. Ce fut particulièrement le cas pendant les cinq années vécues dans l’État de Oaxaca. J’avais deux « résidences secondaires » que j‘aimais retrouver régulièrement. Une à la montagne, dans une posada de San José del Pacifico où je pouvais profiter des jardins, faire des marches sylvestres revitalisantes ; l’autre au bord du Pacifique, à San Augustinillo – petit village côtier que je connu dix ans auparavant et dont j’ai constaté l’évolution rapide en spot touristique de luxe et la gentrification – dans la posada El Sueño de Frida tenue par mon amie Cristina, et où je retrouvais ma coquille océanique. La caresse mêlée du soleil et des vagues, les constellations étoilées et le chant de l’océan sont des plaisirs qu’offre toute la côte pacifique, mais là je retrouvais mes repères et des chapitres enfouis de mon expérience mexicaine. Ce village ma inspiré plusieurs nouvelles publiées sur ce blog (première partie : Quatre images du Pacifique – 1). Le lendemain de mon arrivée, j’effectuais un grand ménage de la terrasse qui était aussi la cuisine commune pour les pensionnaires, une manière de m’approprier symboliquement le lieu tout en aidant mon amie italienne dans ses l’entretien de sa posada-restaurante.

Le mazet « le vent chante », Sommières 2023

En France également je peux heureusement jouir un certain temps des maisons d’amis proches qui ont cet art de laisser naturellement leurs amis proches profiter de leur espace privé, afin de se régénérer. Ce sont en quelque sorte des doubles en remplacement de la « maison cassée ». Par exemple à Sommières chez Nadine dans le mazet qu’occupent Nadine et Rafa (2024 – Le Vent chante).

La maison virtuelle

Depuis 12 ans d’itinérance mexicaine, c’est mon ordinateur portable qui est devenu ma résidence principale ! Le bureau virtuel avec son fond d’écran figé sur la baie de Huatulco au couchant en compose la vue panoramique depuis une terrasse imaginaire, mais aussi l’entrée et le séjour, d’où je peux accéder à de multiples autres pièces : bureaux multiples avec affaires en cours, ateliers, salles de veille, médiathèques, dépots de documents et d’archives en désordre qui s’agencent en dossiers et sous-dossiers ; et même des dépendances et annexes, réserves, sous-sols et greniers sous la forme de sauvegardes sur disque dur externe. Ce blog lapartmanquante est aussi une armoire à souvenirs, une bibliothèque errante que je retrouve en me connectant sur WordPress depuis n’importe quel terminal informatique dans le monde. Mes différentes boîtes mail également, Google, Microsoft, galeries de photos sur le Cloud… ce qui signifie que je ne dois absolument pas perdre la clef absolue de ces possessions et domaines privés, sous la forme d’un petit carnet rouge et or, abîmé et scotché sur la tranche, qui renferme tous les codes d’accès raturés et réactualisés sans cesse, afin de me connecter à tous mes comptes dispersés sur des plateformes virtuelles.

La maison mirage

À Montpellier, je tourne encore en pensée autour de la maison cassée, habitée depuis tant de temps par d’autres, renfermant des souvenirs épars et parfois contradictoires, ouvertes aux passions, traversée par des intérêts et calculs étrangers… Maison qu’il me sera probablement impossible d’habiter à l’avenir ; à moins d’un miracle, je ne cultiverai pas son jardin, je n’en referai pas l’aménagement intérieur. Cette maison fut le rêve de ma mère, ses environs ma source d’inspiration artistique. Elle s’est convertie en une promesse de don de mon père à sa seconde épouse, puis désormais en maison squattée, possiblement vandalisée, dépouillée des dernières traces de moi et de ma mère. Son âme s’évapore par la toiture, les fenêtres et les portes. Elle s’est transformée en casse-tête pour la récupérer. Un rêve de maison qui n’est finalement pas le mien, je devrais peut-être m’y résoudre…

Oaxaca, 2020

Déjà il y a dix ans, je m’étais rendu à cette idée de la vendre et d’acheter avec ma part un bien immobilier dans la région de Montpellier, puis quelque part au Mexique. Mais le monde a évolué toujours plus vite, et j‘ai du mal à poser un doigt définitif sur une sphère terrestre qui tourne, tourne et me fait tourner la tête. Affaires personnelles immobilisées dans des caisses en attente de destination finale, souvenirs familiaux glissants et en recomposition selon le présent ; Plus généralement, la constitution d’un patrimoine immobilier devient de plus en plus insaisissable pour la classe moyenne et les nouvelles générations, des priorités traditionnelles s’effacent pour que d’autres, plus flexibles et fluides, s’imposent… le changement de paradigme de notre époque ne me donne pas tant le vertige, mais il m’oblige, m’oriente vers une réelle stabilité intérieure, qui ne peut advenir qu’en me débarrassant des ombres du passé et des espoirs enfuis. C’est déjà la perspective d’une île de verdure dans un océan d’incertitudes !

Après tout, nous ne possédons vraiment que notre corps, nos pensées et notre âme. Et encore, certains semblent bien tentés de s’approprier tout cela aussi. Et puis sommes nous vraiment maîtres de nos pensées, de nos désirs et de nos motivations profondes ? Raison de plus pour résister à l’invasion de notre sphère la plus intime par des intérêts étrangers inamicaux voire destructeurs, et à nourrir notre part cosmique.

Florent Hugoniot

Suite avec La maison, toit du moi et du nous

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SOURCES

J. Chevalier – A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont

http://boeldieu.com/leonard/Observation/Observation/D4F494F0-8C80-4334-834C-EA5BE8B5E4CC/234EF173-E955-4F20-96F9-0131BC8F49FB.html

Jean-Paul Demoule – dans Rue Descartes 2004/1 (n° 43), pages 104 à 111

http://danielle.chantegrel.free.fr/index.php/faq/290-archetype-maison.html

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